Opinion
- Éditorial - Les Dépêches de Brazzaville
- Réflexion - Jean-Paul Pigasse
- Le fait du jour - Gankama N'Siah
- Humeur - Faustin Akono
- Chronique - Ferréol Gassackys
- Brin d’histoire - Mfumu
- Tribune libre - Jean Kernaïse Mavoungou, docteur en finance de marché, directeur
- Idées-forces - Clotilde Ibara
- Analyse - Lucien Pambou,économiste, professeur d'économie et de sciences
Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : « C’était mieux avant ! »Vendredi 2 Mars 2018 - 12:35 Ma génération et celle de mes enfants resteront celles de la guerre. Guerre larvée et récurrente, guerre civile désastreuse, guerre sociale, avec son flot de revendications, parfois justes, parfois bidonnées. Notre aède national, Zao, chantait, au début des années 80 : « La guerre ce n’est pas bon, ce n’est pas bon ! Quand vient la guerre tout le monde bombé, tout le monde cadavéré ». Ceux qui en survivent gardent des séquelles indélébiles, parmi lesquelles, la perte de repères et l’effondrement des valeurs morales cardinales. On ne fait plus la différence entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Le vol, sacralisé, devient normal. Depuis quelques semaines, les journaux nationaux, toutes obédiences confondues, « relaient » les arrestations de ceux qui ont confondu les caisses de l’Etat avec leurs poches. La guerre a durci les cœurs. A-t-on idée, lorsqu’on est normalement constitué de détourner l’argent destiné à acheter les antirétroviraux dont dépendent nombre de nos concitoyens ? C’est criminel. Si, en ce moment, le calme et la paix incitent à l’oubli, les contrecoups de la guerre demeurent et nous rappellent que nous ne sommes pas sortis de la permissivité désormais endémique : pillage, vol, déprédations diverses. La rupture, dont parle le président de la République postule une remise en ordre. Elle concerne, en prime, la lutte contre ces fléaux de la guerre. L’Etat, en tant que force de coercition, commence enfin à user de ses prérogatives régaliennes. Face au délitement des valeurs, on est tenté de dire, avec Michel Serres : « c’était mieux avant ! ». Avant c’était mieux, parce que, nous abhorrassions le vol qui pouvait frapper toute la famille d’opprobre. Voleur, « moyibi », en lingala, était un terme dégradant. Paradoxalement, depuis la fin de la guerre, lorsque les armes se sont tues, certains ont érigé le vol, cette antivaleur, en normalité. Avant c’était mieux ! La JMNR (Jeunesse du Mouvement national de la Révolution), hormis de regrettables dérives, avait réussi à enrayer le vol au Congo. À Brazzaville, par exemple, il était courant, de jour comme de nuit, et sans crainte des chapardeurs, de laisser, hors de toute surveillance, les vêtements sur les cordes à linge. À cette époque les murs n’existaient pas, les haies vives ou de simples barbelés servaient à délimiter les parcelles. Et pourtant, pas de vol. C’était avant. Sous le CMP (Comité militaire du parti), à la fin des années 70, la peur du gendarme a contribué à façonner un nouvel être, avec de nouveaux comportements. « 7 heures de travail et non 7 heures au travail ». En effet, le retard au travail ou l’absentéisme sont d’autres formes de vol. Dans un cas comme dans l’autre, on est payé sans travailler. Les voleurs en col blanc ne sont pas uniquement ceux qui chipent dans les caisses de l’Etat. Ne pas accomplir ses heures réglementaires de travail est tout aussi grave que « voler », soustraire frauduleusement la chose d’autrui. Le coût pour le pays est lourd. « Sept magistrats révoqués par décret présidentiel », titrait le quotidien « Les Dépêches de Brazzaville », dans son édition du lundi 26 février dernier. Cette sanction et d’autres à l’horizon, ne sont que la partie visible de l’iceberg. On le sait, depuis toujours, la partie cachée de ce bloc de glace est la plus importante. Ces hommes chargés de rendre la justice ont été punis pour « fautes et manquements graves aux devoirs de leur état, à l’honneur, à la délicatesse et à la dignité de leur charge ». Il y’en a beaucoup d’autres, dans d’autres secteurs de la vie nationale, tapis dans l’ombre et qui continuent leur prédation. La noire quiétude des malfaiteurs en tous genres est perturbée. Deux mots ont retenu mon attention dans ce réquisitoire : honneur et dignité, toutes choses piétinées et bafouées au Congo. La truculence morale ne peut qu’engendrer une aversion pour les déviances. L’esprit mercantiliste a tué l’honneur, la dignité et la vertu. Beaucoup de nos concitoyens cherchent la respectabilité, quêtant sans cesse les honneurs au dépend de l’honneur. Ils plastronnent dans la ville ; leur muflerie et leur ostentation agacent tout le monde, à en croire l’opinion publique. La corruption a atteint toutes les couches de la société. Même l’université, notre alma mater, est touchée. Les ravages causés par l’intrusion des contrevaleurs au cœur de la formation de l’élite de demain est une vraie calamité pour le pays. On y assiste quotidiennement à la faillite de la morale qui atteint d’indicibles limites. « Ne jugez point », dit La Bible. Comment ne pas juger ? Pour ne pas juger il faut s’insensibiliser. Car la sensibilité est la matrice du jugement. J’en suis à un point de répulsion, qu’elle se cristallise en jugement, pour copier sur François Bégaudeau. La dérégulation sociale n’épargne personne. Tout le monde est coupable, parce que, habitué aux comportements déviants. Tout est désormais normal. Plus rien ne nous émeut. Même la bêtise. Gravissime. C’était mieux avant ! Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
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