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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : la famille, pierre angulaire de l’Etat

Jeudi 19 Avril 2018 - 14:00

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 À l’origine de la société, se trouve non pas l’individu, mais la famille. Telle est la conviction de Louis de Bonald (1754-1840), qu’il développe dans cet extrait de sa « Démonstration philosophique du principe constitutif de la société » (1820). Pour ce député « ultra » de l’Aveyron, l’une des grandes figures intellectuelles de « la contre-révolution » sous la Restauration (1814- mars 1815),  « l’Etat n’est jamais que le développement de la famille, première forme de l’unité sociale, pierre angulaire de la société et son modèle réduit. Porter atteinte à l’une a aussitôt un effet réciproque sur l’autre ».

Le Congo, notre pays, illustre bien cette réciprocité entre famille et État. Poto-Poto est un merveilleux point de repère pour l’illustrer. Dans ce quartier cosmopolite de Brazzaville, la famille reposait sur le père. La famille était essentiellement monogame. « La polygamie, ou plusieurs mariages successifs, est non une famille, mais plusieurs familles, puisque chaque mère fait la sienne ». Le cas le plus courant était la famille monogame. « Dans le père est le pouvoir, c’est-à-dire la volonté et l’action de produire et de conserver, ou de développer l’intelligence de l’enfant, en lui donnant, par la communication de la parole, le moyen d’apprendre tout ce qu’il lui est nécessaire de savoir pour sa conservation ».

Pour cela, il doit le loger, le nourrir, le vêtir, le soigner, c’est le prix à payer pour son épanouissement dans la société. À Poto-Poto, les pères, souvent de condition modeste, avaient toujours assuré leur responsabilité domestique, jusqu’au jour où la politique a fait bondir les salaires des politiques. Infirmiers, enseignants, ouvriers et autres militaires, membres du comité central du parti au pouvoir, ont vu, à l’orée des années 1970, leurs salaires fonctionnels surmultipliés. Ils devinrent les nouveaux riches de la République, véhiculés dans des voitures noires, couleur officielle du parc auto. Ils devinrent soudainement fous, c’est-à-dire se mirent à évoluer en dehors des normes généralement admises.

Poto-Poto, centre névralgique de la mondanité avec Faignond, Pavillon Bleu, Café Nono, Chez Sophie, Chez Décorads, Chez Moussouanga, Chez Cardot, j’en oublie d’autres, en fit les frais. Sans scrupules, ces voitures noires venaient « enlever» les jeunes filles au domicile de leurs parents, comme on disait à l’époque. Ce qui ne se faisait jamais. Les idylles dans ce quartier étaient clandestines. On utilisait des subterfuges pour sortir sa dulcinée, guettant au coin de la rue son éventuelle sortie pour les courses de la maisonnée. Brutalement, tout ceci disparut. Les papas de Poto-Poto, retraités ou victimes de la crise, perdirent leur mainmise sur leurs familles. Leurs filles, entretenues par ces nouveaux riches, devinrent les patronnes à la maison. D’elles, dépendait désormais toute la famille. Dépensant sans compter, au début des années 1980, ces nouveaux riches se mirent à envoyer en France, par avions entiers, les jeunes filles de Poto-Poto et d’ailleurs, puisque la faillite de la famille avait gagné toute la ville de Brazzaville. Même les quartiers « huppés » pour l’époque, OCH et Plateau des 15 ans, furent affectés par cette perte de l’autorité parentale. Au cours de la même période, une nouvelle race de citoyens fit son apparition, celle des « opérateurs économiques », vivant sur le dos de l’Etat. La vie facile, en somme.

Le népotisme, la corruption, le favoritisme s’installèrent puissamment dans le pays. L’État finit par dépérir du fait des comportements ostentatoires de ceux qui avaient le pouvoir administratif et économique. Les fondements de la famille furent profondément sapés par la disparition des valeurs qui fondaient la vie sociale à Poto-Poto : respect dû aux parents, aux anciens, au grand frère par le cadet, etc.

Mon regretté Antoine Aïssi décrivait ces valeurs dans un savoureux livre qu’il avait publié sur notre village Poto-Poto. Voilà comment en délitant les rapports dans la famille, les politiques ont porté, à cause de leur légèreté et leur absence de tact moral, un coup à l’autorité de l’Etat et à l’État, assimilé à un État voyou. La guerre de 1997 donna un coup de grâce à la société congolaise dans son ensemble, par l’aggravation des perversions sociales. La course à la FVV (Femme, voiture et villa), toutes choses, naguère, inaccessibles à toute une catégorie d’individus, devint un sport national. Qui en fait les frais dans un pays sans tissu économique diversifié ? L’État, seul pourvoyeur de la richesse au Congo. La preuve ! Depuis que le pays vit une sévère crise économique, tous ceux qui faisaient antichambre au Trésor public crèvent la dalle, aujourd’hui. Les terrasses naguère bondées du centre-ville sont désespérément vides, désormais. L’argent a fui les poches de ces sevrés du Trésor public, et ils sont nombreux, qui attendent, encore et toujours, le paiement des arriérées pour service non rendus. À la faveur de cette crise, l’Etat doit reprendre la main et sévir. Des prémisses existent, mais trop timides aux yeux de l’opinion qui attend une campagne plus âpre de moralisation de la vie publique. 

Ce papier est simplement le fruit d’une observation empirique des faits sociaux dans l’environnement de Poto-Poto ; les autres quartiers de Brazzaville n’échappant pas aux dérives décrites ci-dessus. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.                                                             

 

Mfumu

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