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Régulation des crises institutionnelles de la Cité, les vertus de la Palabre africaine

Lundi 20 Juillet 2015 - 14:16

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Le Dialogue National (DN) et la Conférence Nationale (CN) sont des mécanismes extra-judiciaires de règlement des conflits permettant d’ajuster ou de refonder le lien sociétal en cas de crise institutionnelle majeure. Ils sont issus du Droit coutumier africain, décliné : Palabre Judiciaire Africaine (PJA). Contrairement à la révision constitutionnelle qui est inscrite dans la Constitution de la République, ces mécanismes font partie des moyens de conception, de régulation et de pilotage du contrat social oral de l’État traditionnel (chefferie, royaume, empire). Ils régulent le Droit moderne lorsque le principe d’Équité devient inopérant, parce qu’agissant au niveau de l’éthique et donnant du crédit au syncrétisme juridique africain, faiblement étudié dans les facultés de Droit :

1) la Conférence Nationale est une assemblée constituante permettant au dirigeant qui l’organise de remettre en cause les fondements de l’État et de proposer un nouveau contrat social entre lui et le peuple, lorsque le risque pays rend impossibles la cohésion sociale et la sauvegarde de la paix. Ce risque représente l’ensemble des incertitudes nées de la forte volatilité des institutions et comprend trois dimensions :

- le risque politique  lié au potentiel de rupture institutionnelle, susceptible d’entraîner l’expropriation des moyens de production des investisseurs étrangers (coup d’État, guerre civile,…) ;

- le risque de crédit commercial et financier lié à l’incapacité du pays à garantir le bon déroulement des transactions commerciales et financières au niveau national, régional et international ;

- le risque juridico-légal lié à l’instabilité de l’environnement juridique des affaires et des institutions, marquée par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence de l’État de droit. Il indique l’incapacité des dirigeants à gouverner la Cité dans l’intérêt général.

En Afrique subsaharienne, la décennie 1990 a été celle de la transition politique des États de non droit, issus des indépendances politiques de 1960 vers des États de droit, par des CN tenues du 19 au 28 février 1990 au Bénin,  du 25 février au 10 juin 1991 au Congo, du 29 juillet au 3 novembre 1991 au Niger, du 10 juillet au 28 août 1991 au Togo et du 7 août 1991 au 6 décembre 1992 au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo). La durée moyenne de ces CN est d’environ 108,25 jours, la plus longue étant celle de l’ex Zaïre avec 487 jours et la plus courte celle du Bénin organisée en 9 jours. Plus la durée de la CN est courte, plus la crise est mieux régulée par la promotion des nouvelles valeurs et plus pérennes sont les institutions qui en résultent.

La Banque mondiale propose une notation du risque pays, composée de quatre indicateurs : la stabilité politique, la qualité de la réglementation, la primauté du Droit caractérisant l’équité et l’efficacité gouvernementale. En 2010, le score de la stabilité politique de l’Afrique subsaharienne était de 34,1. Six pays de notre échantillon sur 8 dont le Bénin, le Mali, le Gabon, le Niger, le Togo et le Congo ont atteint ce score. Mais entre 1996 et 2010, les scores de ces pays ont fortement chuté : la qualité de la réglementation avec un score de l’Afrique subsaharienne de 29 qui n’est atteint que par 3 pays sur 8 : le Bénin 41,60 ; le Niger 34,40 et le Mali 29,20 ; la primauté du Droit avec un score sous régional de 28,4 qui n’est dépassé que par le Mali 40,30 ; le Niger 33,2 et le Gabon 35,30 ; l’efficacité gouvernementale avec un score sous régional de 26,5, qui n’est atteint que par le Bénin 35,40 ; la responsabilité avec un score sous régional de 31,3 qui n’est attient que par le Bénin 35,40 et  le Mali 55. Le Gabon et le Tchad voient leur note se dégradée durant la période étudiée ; le contrôle de la corruption, la cote sous régionale de 32,1 n’est atteinte par aucun pays de l’échantillon. Cela indique une résurgence de la corruption, l’anti valeur, indiquant que les dirigeants n’ont pas incarné suffisamment l’intérêt général ;

2) le Dialogue National est une assemblée non constituante dont l’objectif est de proposer au dirigeant qui la sollicite, le réajustement des institutions et de leur mode de fonctionnement dans la Loi fondamentale, sans remettre en cause les fondements de l’État. Du 13 au 17 juillet 2015, le Congo a organisé cette assemblée alors que les autres États se sont engagés depuis 2003, directement dans la révision constitutionnelle par voie parlementaire ou référendaire, avec plus ou moins de succès. Mais, le DN qui réajuste le contrat social par consensus avant le référendum populaire n’est pas une panacée.

En effet, ce mécanisme suppose le rétablissement de l’égalité de tous les citoyens devant la Loi fondamentale, le respect de cette Loi par les dirigeants et le consensus de tous pour que le contrat social s’harmonise en quatre phases : 1) le refroidissement des passions par l’envoi par le dirigeant suprême des émissaires agréés auprès de l’opposition, permettant de calmer les hostilités, après une trêve (les consultations) ; 2) la purge des rancœurs qui implique des joutes et plaidoyers verbaux  au cours desquels chaque partie exprime ses douleurs, ses frustrations et, par là, expurge ses rancœurs accumulées ; 3) le redressement des torts qui consiste à déterminer les responsabilités des uns et des autres et les compensations des victimes après des enquêtes objectives afin d’aboutir à la prise de décision à l’unanimité, dont l’exécution incombe à chacune des parties engageant son honneur et son respect de la « parole donnée» (rappel des valeurs éthiques) ; 4) le scellage de la réconciliation qui assure la guérison des plaies, sauvegarde la solidarité et la cohésion sociale, à travers l’échange des cadeaux symboliques et la formation d’un Gouvernement d’union nationale, composé de nouvelles personnalités incarnant l’intérêt général.

Ainsi, les mécanismes de la PJA, peuvent-ils réhabiliter le Droit moderne en réactualisant l’enracinement de l’équité grâce au réajustement des valeurs éthiques et des acteurs qui les incarnent dans la gouvernance de la Cité ? Leur efficacité dépend de la capacité des dirigeants à les formaliser dans la Loi fondamentale, à les respecter et à gouverner la Cité dans l’intérêt général.

 

 

 

Par Emmanuel Okamba, Maître de Conférences HDR en Sciences de

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