Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez milité pour un droit au travail décent. Ce droit est-il respecté en France malgré la conjoncture ou y a-t-il encore des progrès à faire ?
Damarys Maa-Marchand : Ce n’est pas une question de conjoncture. Le migrant, quand il quitte son pays d’origine, aspire à trouver un travail décent à l’étranger. Beaucoup ne savent pas ce qui les attend, ils ne sont pas préparés à ce que la réalité diffère de ce qu’ils ont dans leurs rêves. Le migrant qui quitte son pays pour poursuivre ses études et décide de rester pourra se débrouiller. Le migrant qui part à l’aventure pour faire fortune, mais sans maîtriser la législation du pays d’accueil, ni le fonctionnement de ses administrations sera surpris à son arrivée. Parmi ceux qui partent à l’aventure, certains ne savent ni lire ni écrire, parlent peu ou pas la langue du pays. Beaucoup décident de rester et vivrons dans la clandestinité, dans la peur, la précarité et la promiscuité. Certains s’en sortiront à la faveur d’une régularisation massive, d’autres pas, vivant du travail « au noir », sans protection. Aujourd’hui, compte tenu de la hausse du chômage en France et en Europe, trouver du travail relève d’un exploit, si bien que le migrant malgré ses diplômes doit quelquefois accepter tout travail qui se présente à lui. Trouver un travail décent reste difficile. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille est toujours inapplicable, car elle n’a jamais été ratifiée. Qu’attend donc la France, pays des droits de l’homme pour le faire, comme plusieurs pays du monde d’ailleurs ? Les migrants eux-mêmes devraient davantage se mobiliser pour demander aux pays qui n’ont pas ratifié cette convention de le faire.
LDB : Est-ce que les femmes migrantes s’en sortent mieux ou moins bien que leurs homologues masculins dans leur intégration socio-économique ?
Cela dépend des conditions dans lesquelles la femme est partie de son pays et quel statut elle avait au départ. Aujourd’hui, les statistiques indiquent qu’en France comme dans toute l’Europe, la migration se féminise. Certaines fuient les violences dont elles sont victimes dans leurs pays. Il faut donc distinguer la femme migrante réfugiée, la femme venue poursuivre ses études, ou bien rejoindre son mari. Parmi toutes ces catégories de femmes le facteur clef est le niveau d’instruction de ces femmes avant leur départ. La femme migrante qui a bénéficié du dispositif « regroupement familial » et qui possède un niveau scolaire ou une formation pourra une fois son statut administratif régularisé, accéder au marché du travail. Pour celle au contraire qui ne sait ni lire ni écrire, son intégration socioéconomique va être plus compliquée, car elle va dépendre totalement de son mari, du bon vouloir de ce dernier, y compris pour faire les démarches qui vont lui permettre d’obtenir un titre de séjour. La migrante venue poursuivre ses études, mais qui n’a pas pu changer son statut d’étudiante en statut de travailleur rencontrera également des difficultés.
LDB : Africains et Européens ont une longue histoire de vivre ensemble. Arrivez-vous à jeter des ponts entre l’Afrique et l’Europe ?
Tout le monde a sa place pour mener des actions vers l’Afrique. En se mettant ensemble, nous serions plus visibles et nous nous rendrions mieux compte de notre apport ici et là-bas. Dans nos pays d’origine, cet apport est palpable. Tout le monde parle de l’argent que les migrants envoient dans leurs pays. Ces chiffres ne comptabilisent d’ailleurs que ce qui passe par des circuits officiels : banques ou agences de transferts d’argent. Mais les enveloppes remises aux parents par des circuits informels ou les envois de médicaments dépassent nettement les chiffres annoncés. Le travail que fait la diaspora vers les pays d’origine n’est pas suffisamment évalué et pas assez visible. Nous ne sommes pas assez organisés pour représenter de vrais lobbies et peser en faveur de situations et de causes qui nous concernent.
En ce qui concerne la fédération Ifafe, lorsque nous identifions un besoin spécifique, ou recevons une demande venant d’organisations de femmes, nous répondons dans la mesure de nos moyens. Le 8 mars prochain, nous voulons donner la parole aux femmes centrafricaines, par exemple, pour évaluer avec elles les besoins qu’ont les femmes et les enfants dans la crise que traversent actuellement le pays. Si toutes les organisations de femmes africaines se mettaient ensemble, nous serions nombreuses et plus fortes et beaucoup viendraient à notre soutien. Il a été prouvé au monde entier que ce sont les femmes qui tiennent le continent africain, par le travail, l’énergie, la force, la persévérance qu’elles déploient au quotidien. Elles sont dans les champs, sur le marché, s’occupent des enfants, des vieillards... Malgré les violences, elles ne baissent pas les bras. Les ponts existent, la fédération Ifafe fait un travail de renforcement des capacités auprès des femmes en ville et en milieu rural, et ce, en fonction des besoins qu’elles expriment. Nous leur apportons le soutien en matière de formation, l’orientation vers de potentiels partenaires financiers locaux. Nous souhaitons encourager et soutenir une démarche qui consiste à aller expérimenter les projets de femmes qui ont déjà vu le jour et réussi dans d’autres pays les pays voisins.
LDB : Comment les femmes peuvent-elles être actrices du développement ici et là-bas ?
Nous leur demandons d’être d’abord actrices et citoyennes là où elles résident. Si ici elles ne sont que consommatrices, elles ne peuvent être actrices du développement là-bas. Ici, il faut qu’elles soient visibles et qu’elles fassent tout pour devenir des citoyennes à part entière dans leur quartier, leur immeuble, dans les écoles de leurs enfants. Qu’elles prennent position partout, qu’on les voie, qu’on les entende et qu’elles soient responsables. Il ne faut pas se limiter à travailler, faire les courses à Château-Rouge ou percevoir les aides administratives. Il faudrait de temps à autre qu’elles se posent la question : « Quelle est mon implication dans les activités de mon quartier ? Quelle a été ma contribution dans la réalisation de tel projet ? Est-ce que je participe aux réunions de parents d’élèves ? Est-ce que je m’inquiète pour le sort des autres enfants que les miens ? Comment puis-je contribuer au mieux vivre ensemble dans ma commune ? ». Participer à la fête des voisins, aller donner quelques heures de bénévolat auprès des associations qui aident les autres, par exemple, les Restos du cœur, le Secours populaire, etc. Elles y apprendront beaucoup et trouveront la force d’entraîner d’autres personnes pour aller peut-être réaliser des projets dans leurs pays d’origine. Bref, ne restez pas passives ! Se mobiliser ne rapporte pas des millions pour soi-même, mais au moins on a la satisfaction d’agir et d’être utile à quelque chose.