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Rokhaya Diallo : «Je ne ressens pas le besoin de me définir»

Lundi 3 Mars 2014 - 0:30

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Rokhaya Diallo est une femme engagée. Inutile de la définir, car ses activités touchent de multiples domaines qui poursuivent le même objectif, l’égalité pour tous. Femmes et hommes, Noirs et Blancs. Et c’est pour Les Dépêches de Brazzaville qu’elle revient sur son parcours

Rokhaya Diallo Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez une personnalité unique ; or vous portez beaucoup de casquettes différentes. Comment vous positionnez-vous ? Activiste militante, journaliste chroniqueuse ou essayiste engagée ?

Rokhaya Diallo : Cette remarque revient souvent lors des entretiens, car il est difficile de me définir par une seule activité. Je pars du principe que nous sommes de cette génération de « flasheurs », car nous avons plein d’activités avec des flashs entre chacune. De manière générale, il est difficile aujourd’hui d’être cantonné à une seule activité. Pour moi, toutes les activités vont dans le même sens. Simplement j’utilise différents supports pour m’exprimer. Et la finalité, c’est ce qui compte le plus. En définitive, je ne ressens pas le besoin de me définir. Je m’adapte selon les circonstances, avec une nouvelle casquette maintenant : celle de réalisatrice de documentaires, dont je vous parlerai après.

LDB : Depuis 2011, on observe une bibliographie florissante. Par quelle volonté écrivez-vous ces ouvrages ?
Il y a d’ores et déjà de nombreux ouvrages contre le racisme. Cependant, j’ai ressenti le besoin d’écrire avec des propos intelligibles et compréhensibles par le plus grand nombre. Pour moi, c’est important de parler le langage de tous. De plus, en utilisant des exemples qui font écho à la majorité, je pense que l’ouvrage est plus utile.

LDB : Votre documentaire, très novateur, diffusé sur France O en décembre 2013, Les Marches de la liberté, a été une réussite. Pensez-vous que la situation des Noirs de France est similaire et à celle des Afro-Américains sur certains points ? Si oui, lesquels ?
Tout d’abord, il y a une partie des Noirs qui ont une histoire similaire avec les Afro-Américains, ce sont les Ultramarins. L’esclavage a été notre parallèle. Les Américains ne se rendaient pas compte de l’impact de la France dans la traite négrière. D’ailleurs, même nous, en tant que Français, on l’oublie, car il y a des esclaves qui ont subi le même sort que les Américains (Martinique, Guadeloupe). Mais nous n’avons pas voulu croiser l’histoire des Noirs de France et des Afro-Américains, car nous ne voulions pas exclure dans le mouvement anti-raciste les Maghrébins qui ont beaucoup participé aux marches de la liberté. Ils étaient d’ailleurs en majorité lors de la marche de 1983 s’inspirant de Martin-Luther King.

LDB : Considérez-vous que la France n’a pas fait son devoir de mémoire vis-à-vis de son passé colonial et de sa diaspora ?
Non. Là, nous avons eu un exemple avec les trente ans de la marche pour l’égalité (décembre 2013) ou la célébration a été ridicule en France ! On dit souvent que c’est le mai 68 des enfants d’immigrés, et pourtant les célébrations ont été misérables. C’était en plein retour du racisme avec l’affaire Taubira, et les célébrations ont été insignifiantes. C’est triste.

LDB : Quels préjugés entendez-vous au quotidien à l’encontre de la diaspora dans votre milieu (RFI, La Matinale) ?
Lors des conférences de rédaction, il y a beaucoup de condescendance mal placée. Par exemple, une journaliste de Libération voulait systématiquement indiquer les origines des gens, mais tout le monde sait que ce n’est pas une information. C’était mon émission, j’ai eu le dernier mot. La condescendance mal placée a des limites. Dernier exemple en date : le reportage « La Religion en entreprise » dans mon émission sur LCP. Au moment où un entrepreneur musulman vient nous parler de son business apparaît un fond de musique orientale ajouté (rire).

LDB : Êtes-vous féministe ?
C’est un mot que je revendique. Dans l’inconscient collectif, c’est une action violente, alors qu’il n’en est pas ainsi. Toutes les féministes ne sont pas contre les hommes, hargneuses ! Être féministe, c’est revendiquer l’égalité entre les hommes et les femmes. Je regrette que ce mot ait une connotation négative, car je le suis, au même titre que je suis antiraciste.

LDB : En décembre 2012, vous participez à la manifestation en faveur du projet de loi ouvrant le mariage à tous les couples tout en remarquant « la faible présence de personnes noires ». À votre avis, pourquoi ?
C’est vrai, mais c’est au-delà du combat pour le mariage homosexuel. C’est la question de la convergence des luttes. Il y a un féminisme blanc, par exemple, qui ne tient pas compte qu’il faut pour certaines femmes agencer deux luttes. Autre exemple, certaines associations, qui sont contre l’homophobie, vont être islamophobes en partant du principe que les musulmans sont homophobes. Alors que pas du tout ! C’est compliqué de conjuguer deux discriminations. Par exemple, dans mes associations féministes je ne me retrouve pas en tant que femme noire, mais comme une femme. Comme si je n’avais pas d’autres combats ! Et c’est difficile de conjuguer les deux. Double bagage !

Rokhaya Diallo est une militante française associative et chroniqueuse pour la télévision et la radio. Elle préside l’association Les Indivisibles. Rokhaya est aussi l’auteur de nombreux ouvrages touchant aux problématiques d’égalité et de racisme en France. Elle a été classée en 2013 par le magazine Slate en 36ème position parmi les 100 Françaises les plus influentes. 

Propos recueillis par Grâce Loubassou

Légendes et crédits photo : 

Rokhaya Diallo ©DR