Interview. Yoka Lye Mudaba : « Le dossier de construction du campus de l'INA avance bien »Jeudi 30 Novembre 2017 - 12:00 L’Institut national des arts (INA) totalisera un demi-siècle le 2 décembre. Son expertise n’est pas à remettre en cause quand on sait qu’il a piloté le volet scientifique et culturel du XIIe sommet de la Francophonie en 2012. Le directeur général de cet institut, Yoka Lye Mudaba, s’en félicite et brosse le portrait robot de ce qu’il tient pour une référence comme seul institut congolais et d’Afrique centrale qui promeut les arts de la scène au niveau supérieur. Dans cette interview exclusive avec Le Courrier de Kinshasa, il se réjouit aussi de la construction prochaine du campus de l’INA qu’il voudrait "déghettoïser" et s'ouvrir encore plus au monde. Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous dire la cause de la grande effervescence observée ces derniers temps à l’INA ? Yoka Lye Mudaba (Y. L.M.) : L’INA aura ses 50 ans le 2 décembre. Il a été créé le 2 décembre 1967 mais les cours ont commencé au mois de février. Le 5 décembre, à 19h, est prévue une soirée de gala jubilaire à la Halle de la Gombe pour fêter l’événement. Et, tout au long de l’année, le temps qui nous reste jusqu’en février, se tiendra un symposium pour réfléchir sur l’état de l’INA mais aussi des arts de la scène et de la gestion culturelle. Et enfin, il y aura une soirée de théâtre. L’on a jusqu’ici beaucoup parlé de la musique mais pas suffisamment des arts de la scène et du cinéma, c’est ainsi que nous comptons organiser cette manifestation dédiée au théâtre et au cinéma vers février. L.C.K. : Cette organisation est bien intéressante, mais au-delà, comment se porte l’INA au bout de ses 50 ans? Qu’y a-t-il à retenir du travail fourni jusque là ? Y. L.M. : Je crois que l’INA a vécu au rythme de l’évolution du pays avec ses hauts et ses bas. Nous avons eu des périodes de gloire mais aussi de basse tension mais, à mon avis, il me semble que l’INA restera une référence ne fût-ce que de par son statut. Il est le seul institut au Congo, et en Afrique centrale, à pouvoir faire la promotion, au niveau supérieur, j’allais dire universitaire, des arts de la scène. C’est aussi le seul qui a une faculté de gestion culturelle. À un haut niveau, jusqu’au deuxième cycle, nous nous préparons déjà, à moyen terme, à organiser le troisième cycle. En ce qui concerne ce que l’INA a fait jusque là, il faut considérer qu’un institut universitaire, supérieur, a trois objectifs. Le premier a trait à l’enseignement, le deuxième à la recherche et le troisième à l’utilité sociale. Du point de vue de l’enseignement, rien que statistiquement, de tous les instituts d’art, l’INA est le seul à avoir le nombre de professeurs qui est le nôtre, je le dis avec beaucoup de modestie. Et, nous avons beaucoup contribué à booster les nouveaux cycles dans les autres « instituts cousins ». Donc, de ce point de vue, nous avons également fourni énormément d’effort d’« inculturer », adapter les enseignements universels aux réalités locales. Un bon travail a été fait à ce niveau pour que les réalités de notre pays puissent être consignées et même universalisés. Le programme, quant à lui, a été enrichi. Nous avons trois sections, je citerais les arts dramatiques, au pluriel à présent, parce que l’on y met la danse, le cinéma, le ballet, le théâtre, évidemment la musique avec toutes ses variantes. À commencer par la musique classique qui est la base pour la discipline du métier, le jazz, la musique traditionnelle mais aussi les chorales qui se sont intégrées. Et, troisièmement, il y a la section gestion culturelle où l’on apprend comment gérer les entreprises culturelles, l’administration culturelle, les grands projets culturels du pays, ce qui constitue un grand défi. Du point de vue de la recherche, nous avons un centre culturel où l’on retrouve tout le travail que nous faisons, les anthologies que nous produisons sur la scripturalité, c’est-à-dire la mise par écrit des systèmes oraux de nos musiques. C’est le Centre d’études et de diffusion des arts (Cédar) qui s’en occupe. C’est un travail à poursuivre, notamment dans le domaine des arts dramatiques. Ensuite, il y a l’utilité sociale. L’INA a beaucoup travaillé avec l’Union européenne dans cette perspective toutes ces dernières années, depuis cinq ans, mais aussi avec l’Unicef et l’Unesco, pour pouvoir utiliser les arts comme un support de mobilisation sociale. Ceci, autour des thèmes comme la violence faite à la femme, l’hygiène, la défense de la femme minorisée, etc. Voilà en quoi consistent l’utilité et le service communautaire du domaine des arts. Nous avons, par ailleurs, ma foi, le grand projet de bâtir le nouveau campus de l’INA avec la coopération chinoise. Il avance bien, les 5 et 6 octobre derniers, nous avons organisé un grand colloque avec la Chine pour pouvoir le lancer. Des intervenants congolais et étrangers, dont des Chinois, en ont parlé en toile de fond de la réflexion autour des enjeux du partenariat donnant-donnant Chine-Afrique-RDC. Un tas de choses se fait, mais les problèmes, nous en avons un tas. Les premiers sont d’ordre logistique. Nous fonctionnons dans des conditions difficiles, voire limitées, sans frais de fonctionnement avec des rémunérations compliquées. Mais l’enthousiasme fait que nous sommes en mesure de transcender ces difficultés. L.C.K. : Qu’en est-il concrètement, à ce jour, du projet de construction du futur campus de l’INA ? Y. L.M. : Lors de la commission mixte RDC-Chine tenue à Beijing, en juillet 2015, les présidents des pays ont signé un document sanctionnant ces travaux. Parmi les dix projets qu’il contenait, il y en avait un concernant la construction d’un campus à Kinshasa. Au fur et à mesure des négociations, il est apparu que ledit projet pouvait être étendu à la construction de grands centres culturels africains. Il en faudrait un dans les sous-régions, au nord, au centre, à l’est et à l’ouest de l’Afrique. L’on devrait commencer par le Congo. Et, ce projet de Centre culturel artistique pour les pays de l’Afrique centrale sera couplé avec celui de l’INA. Les études de faisabilité ont été réalisées par une délégation de douze experts chinois en concertation avec douze de leurs pairs congolais de la présidence, des ministères des Travaux publics et aménagement du territoire, de l’Enseignement supérieur, etc. En nous réunissant tous en septembre 2016, nous avons identifié le lieu, neuf hectares en face du Palais du peuple. Après les études de faisabilité, nous avons signé un accord. La deuxième phase va consister en l’aménagement car le terrain est très accidenté avec des tas de handicaps liés à sa nature. Les Chinois vont y travailler et passer à la troisième étape, la construction. Donc, le dossier de construction du campus avance bien. En outre, après le colloque qui a récolté un énorme succès, les Chinois ont décidé d’octroyer à l’INA un lot d’instruments de musique et d’équipements de son avant le 31 décembre de cette année. L.C.K. : Quelles sont les perspectives à court terme de l’INA pour les trois années à venir ? Y. L.M. : Elles vont d’abord dans le sens de l’enseignement. Notre combat, c’est d’installer le troisième cycle. Nous avons raté de près ce challenge, parce que l’une des conditions pour l’organiser était d’aligner au moins dix professeurs attitrés, pas de visiteurs. Nous en avons maintenant entre sept et huit, mais c’est certain que d’ici à l’année prochaine, nous aurons notre dizaine. Nous avons fait en sorte que tous nos chefs de travaux s’inscrivent pour le troisième cycle, une douzaine l’a fait à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (Ifasic). Ce, en attendant que nous puissions avoir nos propres structures du troisième cycle. Deuxièmement, nous voulons renforcer notre partenariat avec l’étranger, il nous faut "déghettoïser" l’INA car l’une des forces d’une institution, c’est d’évoluer en réseau. C’est vrai que nous le sommes avec la Belgique francophone et un tout petit peu avec la France, mais c’est peu. Troisièmement, nous devons être en contact avec les milieux d’emploi. Ce n’est pas facile du tout car les métiers de la culture se structurent laborieusement, il faut que nous puissions arriver à connecter l’équation formation à celle de l’emploi. Voilà le combat que je mènerai à court terme, pour les deux, trois ans à venir, si je suis encore là. Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo : Yoka Lye Mudaba, directeur général de l’INA (Adiac) Notification:Non |