Cinéma: sixième édition du Festival du Film Africain de Louxor

Mardi 30 Mai 2017 - 9:56

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Après le Fespaco (festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), la ville de Louxor (en Egypte) a elle aussi servi en mars dernier de tribune aux cinéastes venus du continent. Un rendez-vous qui a permis aux journalistes, producteurs, réalisateurs et autres amoureux du septième art de débattre sur l’avenir de cet art qui pour des raisons économiques, conjoncturelles et politiques a du mal à réellement prendre son envol sur le continent.

Une centaine de films (venus de plus de dix pays) ont été projetés lors de la 6ème édition du Festival du Film Africain de Louxor nommé officiellement Luxor African Film Festival (LAFF) dans la magnifique ville de Louxor en Egypte. Une façon pour les organisateurs de réunir toute la crème des cinéastes du continent afin de renouer les liens avec l’Afrique en général via le film. Des moments précieux et riches que les cinéastes (ancienne et nouvelle génération), tous logés à la même enseigne, ont particulièrement apprécié. « J’ai pu durant douze jours voir des films que je n’aurai peut-être pas l’occasion de voir, échanger avec des cinéastes et j’ai pu aussi apprécier les débats à la fin des projetions…. », explique Caroline, (membre du jury court métrage) visiblement  satisfaite.

Cette édition a récompensé les grands noms du cinéma africain à l’image de Mahmoud Abdelaziz (Egypte), Kelthoum Bornaz, (Tunisie), Tahia Kariouka, (Côte d’Ivoire), Abderrahmane Sissako, (Mauritanie). Elle n’a pas pour autant écarté le travail accompli ces dernières années par la nouvelle génération des cinéastes en leur consacrant un podium pour se révéler au public. « Je suis contente d’être à Louxor car cela m’a permis non seulement de parler de mon film mais aussi de regarder d’autres films qu’on n’a toujours pas l’occasion de voir. D’échanger ou de discuter sur des éventuels partenariats dans le domaine de la production et de la diffusion de nos œuvres », a fait savoir la réalisatrice Thiaw Rama (dont le film The revolution won’t be televised a bien été accueilli) qui a félicité les organisateurs de ce festival et a invité d’autres pays du continent à faire autant.

Soucieux de montrer une Afrique dynamique et pleine d’espoir, les organisateurs de ce festival ont mis la barque haute. Ils ont proposé lors de cette édition des films de qualité (techniquement et artistiquement) avec des trames et des thématiques singulières à l’image de « Shashamane », de Giuli Amati Italie, qui pose la thématique de l’identité et de la reconnaissance via la revendication des peuples venus de la Jamaïque avec l’intention de trouver une terre d’accueil en Ethiopie. Mais tout est désillusion car malgré leurs efforts d’intégration, ceux-ci n’ont toujours pas obtenu la nationalité et ne sont toujours pas acceptés par la population locale.

« Children of the moutain », de Priscillia Anany (Ghana) plonge très rapidement le public dans la vie d’une jeune femme qui donne vie à un enfant peu commun. Rejeté dès sa naissance par sa mère et renié par son père, cet enfant est un fardeau pour son entourage et la société dans lequel il vit. À travers larmes, la colère et le rire, le réalisateur nous introduit dans la vie de cette femme, qui pour trouver des réponses à la malformation de son fils, consulte pasteurs, médecins et même féticheurs… Un film qui raconte comment certaines maladies congénitales  sont encore considérées  comme des sorts ou des signes de malédiction  dans certaines contrées du monde.

Joseph Oesi, (Sud Afrique) dans « Black Lives Matter »  pose sa camera sur le massacre de Manari.  En effet, après la découverte de la platine, les ouvriers réclament une meilleure prise en charge. Une revendication qui coûte cher à la population puisque des centaines de personnes trouvent la mort lors de ce massacre. Et au réalisateur de se poser la question « À qui profite les richesses africaines ? ». Répétée tout au long du film, cette question sert de fil conducteur au narrateur qui nous présente une Afrique du sud en pleine décadence après les années Mandela. Il se sert aussi des œuvres  et du discours d’un peintre activiste qui nous raconte l’Afrique du sud contemporaine. Enfin au-delà de la trame, la qualité de l’image et du son restent sans conteste des éléments qui accrochent dès les premières minutes de la projection.

« Mali blues » de Lutz Gregor ( Mali-Allemagne)  est un film sur l’activisme des artistes qui luttent encore sur le droit de s’exprimer librement car considérer comme des éveilleurs de conscience dans leur pays. À travers le portrait d’une grande artiste malienne, d’autres grands noms de la musique africaine parlent aussi de leur expérience et des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur travail.

Si son titre est exotique, le contenu de « Bois d’ébène », dernier né de l’artiste Moussa Touré (Sénégal),  est cruel, insoutenable à certains moment de la projection. Et pourquoi ? Le réalisateur nous ramène à une époque cruciale de l’histoire de l’Afrique : la traite négrière. Tout de suite on embarque dans un bateau où des hommes et femmes arrachés brutalement à leurs terres avec la complicité des leurs partent vers une terre inconnue.  Enfournés au fond d’un bateau et entassés les uns sur les autres, les passagers (quand ceux-ci ne sont pas à la surface du bateau pour prendre l’air), sont la plupart du temps allongés sur le dos et attachés  par des cordes pour les empêcher de bouger. Des images insoutenables et cruelles renforcées par le récit du capitaine de bord dont les ordres sont suivis à la lettre par les moussaillons. Mais la cruauté atteint son apogée  au moment où des hommes et des femmes sont vendus comme des bêtes de foire à des maîtres sans scrupules …Même l’histoire d’amour entre les deux passagers ne réussira pas à effacer les images barbares et les paroles blessantes entendues tout au long de la projection. On y sort un peu sonné avec des interrogations auxquelles malheureusement on n’obtiendra pas de réponses.

Des films qui ont suscité de formidables échos car éloignés des images misérabilismes (famine, guerre, maladie, génocide…) qu’ont longtemps fait l’objet du cinéma africain comme l’a indiqué Sani Magori, (membre du jury court métrage primé lors de la première édition de ce festival en 2012) qui pense qu’il est temps de raconter l’Afrique autrement. « Notre continent a beaucoup de chose à raconter et nous avons besoin de telles initiatives pour faire vivre notre cinéma », explique Sani qui est honoré de faire partie du membre de jury ( court fiction)  car dit-il que « Même si je ne présente pas de film cette fois-ci, venir ici c’est une manière pour moi de mettre ma pierre à l’édifice afin que le cinéma africain se développe ».

Jocelyne, canadienne, installé au Caire depuis cinq ans, et passionnée de cinéma est rayonnante de joie à la fin de la projection. « Je reviens à chaque édition. Et c’est toujours avec une joie profonde que je découvre de nouveaux réalisateurs. Et le must-have ici est que l’on peut discuter avec les réalisateurs sans protocole. Des échanges qui nous permettent de mieux comprendre le point de vue du narrateur », a expliqué cette dernière visiblement satisfaite.

Joseph de l’Afrique du sud, catégorie long métrage, heureux de représenter son pays à cette édition confie : « C’est une belle opportunité pour moi de présenter mon film lors de cette édition. C’est aussi une façon pour moi de faire connaître ce qui s’est passé lors du massacre de Masari dans mon pays ».

Enfin, si aux premières heures de cet événement, les salles étaient peu remplies, elles ont été par la suite pris d’assaut par les « louxorois » pour qui ces retrouvailles ont été une belle opportunité de voyager à travers le monde via les images. Par ailleurs, en dehors des projections, d’autres événements ont rythmé le festival, comme la visite des lieux historiques et de la ville qui ont permis aux festivaliers et Égyptiens de renforcer leurs liens.

 

 

Berna Marty

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