Vient de paraître : Alexis Tobangui publie « Regard sociologique sur l’autorité en milieu militaire »

Mercredi 23 Novembre 2016 - 10:00

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 L’abbé Alexis Tobangui, enseignant-chercheur à l’Université Marien-Ngouabi au département de sociologie, vient de publier un nouveau livre aux éditions universitaires européennes, intitulé : « Regard sociologique sur l’autorité en milieu militaire ». Dans l'interview qu’il nous a accordée, l’auteur revient sur les grandes lignes de son ouvrage.

Les Dépêches de Brazzaville : Qu’est ce qui explique le choix de ce titre « regard sociologique sur l’autorité en milieu militaire ?

Alexis Tobangui : J’ai choisi ce titre pour montrer que l’autorité est aujourd’hui au cœur de nombreux débats dans des domaines aussi divers que la sociologie, la psychologie, la pédagogie, les sciences politiques, le droit, la théologie, avec souvent, en arrière-plan, une mise en cause des autorités instituées. En effet, la problématique de l’autorité appelle des interrogations concrètes et existentielles auxquelles chacun est confronté. Au niveau social, la montée de la violence dans le quotidien, de l'incivilité de la délinquance organisée, en passant par la violence sexuelle et le meurtre, touche particulièrement les jeunes en cette époque, que ce soit en tant que victimes ou en tant qu'auteurs. Ces comportements transgressifs prennent une ampleur particulière dans leur intensité comme dans leur durée. Les conflits d'autorité restent monnaie courante à tous les échelons et à toutes les sphères de la société : le politique, la religion, l'école, la famille, aussi bien que dans le domaine de la culture, de l’éducation, de la morale, etc. L’autorité est donc ce par quoi on obtient une obéissance volontaire, sans avoir à donner d’explication et sans user de la moindre contrainte physique. Le cas de l’autorité dans l’armée rend compte des implications des rapports à l’autorité hiérarchique dans un cadre bien spécifique de l’exercice du commandement militaire.

LDB : Selon vous, comment s’exerce l’autorité militaire ? Sur quoi repose-t-elle ? Comment l’acquérir ?

A.T : Selon de nombreux travaux, l’exercice de l'autorité en milieu militaire relève souvent du registre du « non négociable ».  L’univers militaire a toujours incarné l’archétype de l’autorité hiérarchique, c'est-à-dire la subordination incontestable à des ordres et des décisions énoncées par le supérieur hiérarchique comme représentant mandaté de l’institution. Cette relation fait partie intégrante du contrat moral qui lie le militaire à l’institution. Notre enquête a retenu les caractéristiques suivantes : le savoir, le savoir-faire et savoir commander qui passent obligatoirement par la connaissance des valeurs militaires ainsi que des aspects relationnels de la légitimité guerrière fondée sur la compétence du militaire. C’est par exemple la capacité d'agir face au danger qui fonde l'autorité et le prestige des chefs militaires.

LDB : En tant que sociologue, quel regard portez-vous sur l’autorité militaire ?

A.T : Le métier militaire, sans être au-dessus des autres, n’est pas un métier comme les autres. Le militaire est investi de la capacité d’user de la force, de l’autorité (d’armes et engins de guerre…). Cette mission exige d’entretenir au sein de l’institution militaire des spécificités par rapport à la société civile. C’est ce qui justifie les règles particulières qui régissent le métier militaire, notamment qu’elles soient relatives à l’autorité, à la disponibilité, à l’obéissance, à la discipline, etc.

Notre enquête montre qu’au sein de l’institution militaire, on n’apprend pas l’autorité, mais le commandement, en passant par une éducation de la personnalité de l’officier qui est à la fois un chef et un décideur. C’est en ce sens que pendant la cérémonie d'investiture des chefs militaires, on utilise la formule suivante : « Officiers, sous-officiers, soldats… vous reconnaîtrez désormais pour votre chef, M. X, ici présent, et vous lui obéirez en tout ce qu'il vous commandera ... ».

 A ce propos, deux phrases sont récurrentes dans les discours des interlocuteurs : « Le chef c’est celui qui montre le chemin. » et « Si le chef s’assoit, les hommes se couchent ». Et plusieurs cadres ont fait référence à cette citation du général Stouff :« Commander, c’est décider, traduire sa décision en ordres clairs, vérifier leur exécution. Il ne faut jamais oublier que dans l’armée, le chef qui commande est celui qui, dans la situation extrême, dira : feu, à l’assaut, ne tirez pas. Il ne sera suivi que si, au-delà de ses qualités propres, il a été reconnu en tant que chef par ses subordonnés. »

« La soumission à l’autorité » et la question de la responsabilité apportent un éclairage important pour la compréhension de cette problématique. Peut-on imaginer une opération militaire au cours de laquelle planerait le risque de la mort donnée ou subie et où chacun pourrait, sur le terrain, dans l'action, faire ce que bon lui semble ? L’autorité est donc nécessaire, ce qu’aucun des acteurs que nous avons rencontrés ne conteste.

 L’autorité passe par des règles clairement établies, connues de tous, discutées et critiquées parfois, évaluées et actualisées, par des contrats qui définissent les comportements et les résultats attendus et les délais. Elle passe aussi par la réhabilitation des sanctions, des sanctions justes et éducatives, dans le cas où le contrat et les règles ne sont pas respectés

Cependant, l’autorité est également le lieu de la violence symbolique. Comme le rappelle Marcelli (2003), si l’autorité est au fondement du rapport social, il faut reconnaître qu’elle a un lien originel avec la violence. Mais elle est là pour la contenir, l’empêcher, la canaliser. Elle a pour rôle de protéger le groupe contre sa propre violence. Elle le fait en créant une distance, un contrôle, en rappelant les limites, les règles, la loi et en inscrivant la vie du groupe dans une histoire. Il faut reconnaître aussi qu’il y a une violence symbolique nécessaire dans l’exercice juste d’une autorité qui pose des limites, qui rappelle la loi, qui dit non, qui sanctionne, qui met des exigences pour faire grandir, pour que l’autre n’en reste pas là où il est.

Si, dans le milieu civil ou militaire, l'autorité est souvent assimilée à un pouvoir devant lequel on s'incline, par crainte ou par respect, sans que son détenteur soit contraint d'employer la force. On l’appréhende de plus en plus aujourd'hui sous l'angle des relations entre personnes. Que ce soit dans l’armée ou dans le civil, la façon d'exercer l’autorité a évolué et le style des rapports humains a changé.

 

Roger Ngombé

Légendes et crédits photo : 

Couverture du livre

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