Interview. Barbara Kanam : « J’ai envie d’être une femme d’impact »Jeudi 28 Juillet 2016 - 19:54 La diva congolaise jouit désormais d’une bonne cote de popularité et se réjouit d’avoir cessé de paraître inaccessible pour le grand public, d’être parvenue à se défaire de l’étiquette de « chanteuse VIP ». Elle nourrit de belles ambitions et entend être plus engagée dans la société, quitte à ressembler à ses devancières Nina Simone et Miriam Makeba qu’elle a, en particulier, souligne dans cette interview exclusive avec Les Dépêches de Brazzaville.
Les Dépêches de Brazzaville : Pourquoi vous semblait-il si important de vous faire connaître à Kinshasa et en RDC ? Barbara Kanam : C’est bien d’être connue à l’étranger mais il est important d’avoir une base. Si vous n’en avez pas, vous avez le sentiment d’être comme un papillon qui voltige. J’étais à l’extérieur, j’ai fait un retour à la base, certains ont l’impression que j’ai reculé car beaucoup me disent : "Tu n’es plus très présente à l’international…" Et maintenant que nous avons un gros souci avec les combattants, qu’on a du mal à se produire à l’extérieur, c’est bon d’avoir une bonne base locale. Moi, j’avais besoin de l’avoir et les sollicitations que j'y ai reçues m’ont permis de renforcer ma perception de la musique congolaise, de nouer des liens avec mes homologues congolais. Mais en même temps, cela m’a vraiment permis de me ressourcer et toutes les sollicitations d’ici m’ont donné l’opportunité de me rapprocher de mon public. LDB : Votre pays vous a fait bon accueil, quel est à présent le grand défi qui vous reste à relever ? BK : J’ai maintenant le souci de transmettre ce que j’ai acquis, mon parcours, c’est aussi une histoire que je pourrais relater aux autres. L’utiliser pour encourager les autres. Donc, dans mes objectifs, j’envisage la scolarisation et l’encadrement des jeunes, me battre pour cela. Je pense qu’à ce jour, il faut faire entendre nos voix pour que les enfants aient accès à la scolarisation, que ce soit gratuit, aux soins médicaux, aux choses essentielles finalement de la vie. Mon objectif aussi, c’est de produire d’autres artistes, leur donner un coup de main. Voilà, j’ai beaucoup de projets qui demandent beaucoup de moyens. Cela peut paraître prétentieux mais il faut être comme Martin Luther King, avoir un rêve. Il a eu le sien et Obama est devenu président alors que c’était inimaginable autrefois. Je pense que dans la vie, il faut avoir des rêves même quand cela semble difficile. Et un autre de mes objectifs, vu que je suis une femme de vision, c’est de conquérir le monde, de pouvoir exporter notre culture, changer aussi l’image de notre pays. Car, très souvent, elle véhicule une image triste, de guerre, de viols de femmes et quand on parle de violences, il ne s’agit pas seulement de l’Est. Les femmes subissent tout type de violences même ici à Kinshasa. C’est des violences verbales, le harcèlement sexuel et les violences conjugales qui sont des sujets tabous ici. Une femme mariée ne parle pas de ces choses. Il y a beaucoup de choses à faire. Je pense être une voix des femmes. J’ai participé à la journée internationale de la lutte contre les violences faites à la femme, parce qu’il en existe une maintenant, c’est une avancée. Aujourd’hui quand des femmes se font violer, elles ont le droit de se plaindre et les coupables sont punis, cela n’existait pas il y a quelques années. LDB : Presqu’aussitôt après votre arrivée à Kinshasa, vous avez reçu deux prix pour Karibu, maintenant à ce que je sache, vous ne les comptez plus… BK : (gros rires). Je n’ai pas toujours l’habitude de trop parler de moi. Est-ce un défaut ou une qualité, je ne saurais pas le dire… Mais c’est vrai que j’ai reçu pas mal de prix depuis quand j’y pense. Là récemment, j’ai eu le prix de la femme de l’année lors de la soirée du prix présence Congo avec le magazine Diplomatica. J’ai été très honorée parce que je suis la femme de l’année des deux Congo. Représenter toutes ces femmes du Congo-Brazzaville et de la RDC, je me suis dit : « Mon Dieu, quel honneur ! ». J’ai dédié ce prix à toutes ces femmes dignes, courageuses que je trouve extraordinaires qui, malgré tout ce qu’elles subissent, traversent, restent debout, se battent. Il y a beaucoup de femmes qui sont dans l’anonymat mais travaillent dans des ONG, s’occupent d’orphelins et des femmes violées. Je les ai rencontrées et j'en ai eu les larmes aux yeux parce qu’elles sont méconnues. Alors, j’aimerais faire en sorte que ma notoriété profite à ces femmes afin qu’elles soient vues, entendues et aidées. J’ai eu deux Ndule awards consécutivement en 2012 et en 2015 comme meilleure voix féminine de la RDC. Il y a eu les Okapi awards. Là, je suis nominée à Brazzaville comme meilleure artiste féminine d’Afrique, au Mali aussi pour le mois d’octobre. C’est vrai que j’ai reçu beaucoup de récompenses mais il faut que je garde les épaules assez hautes pour porter tout ça. Je ne dois surtout pas baisser les bras. Ce n’est pas facile dans ce métier où tous les coups sont permis, votre vie étalée. Les gens disent ceux qu’ils veulent sur vous, chacun se permet de vous traiter comme il veut… Mais en même temps, c’est cela le prix de la gloire, je crois. Il faut savoir faire avec. Mais, aujourd’hui, je suis très heureuse de voir que l’on a compris enfin qu’être artiste et, surtout, femme, c’est aussi une profession à part entière et qu’on leur accorde du respect. Car le prix Présence Congo de Diplomatica n’a rien à voir avec les artistes. Habituellement, ce sont les diplomates, les ministres qui sont primés mais il se fait que moi, une chanteuse, je me retrouve dans ce monde de gens qui assument de hautes responsabilités, c’est une avancée. Donc, une artiste est perçue comme une sorte de ministre, d’ambassadrice quelque part. Merci à toute l’équipe de Diplomatica qui a porté ce regard-là sur nous. Et finalement, merci à vous aussi, les médias, merci aux Dépêches de Brazzaville qui, depuis le début, ont toujours eu un mot d’encouragement pour Barbara. Le travail que vous faites nous permet de mieux faire passer nos messages et de faire comprendre aux gens ce que nous sommes et ce que nous représentons, je pense. LDB : Quel est, jusqu’ici, votre plus beau souvenir de scène ? BK : Mon plus beau souvenir, c’est le New Morning parce que c’était très difficile. Peu d’artistes congolais parviennent à se produire de nos jours à Paris. J’ai eu le cran de le faire et les gens sont venus malgré tout. J’ai l’avantage que mon public soit international, de partout. Les mélomanes étaient originaires du Burkina, du Nigéria, du Mali, de Côte d’Ivoire, etc. C’était énorme qu’ils soient venus malgré que la menace des combattants plane toujours surs nos musiciens. Ils ont fait fi de tout cela car ils voulaient écouter ma musique, voir leur artiste. Cela a été un de mes très bons souvenirs. Mais il y a aussi un de mes concerts ici à Kinshasa qui m’a marqué. Les gens ont souvent pensé que Barbara est une artiste VIP. Dernièrement j’ai fait un très bon concert au Roméo Golf, je pense que celui-là était VIP mais j’ai eu l’occasion de jouer dans des coins plus populaires de la ville. Vous ne pouvez pas imaginer l’émotion que j’ai ressentie face à la sympathie et l’amour que les gens m’ont manifesté. J’en ai eu les larmes aux yeux. Des mélomanes sont venus me donner des billets de 500 FC, 1 000 FC, c’était touchant de voir leur joie en donnant tout ce qu’ils avaient. Je me suis réjoui d’avoir pu créer un contact direct avec ce public de condition modeste. Avant, il avait l’impression que Barbara était quelqu’un de distant et depuis je suis heureuse d’avoir pu nouer un lien avec cette masse. C’est elle le vrai peuple qui vous porte, fait de vous ce que vous êtes. Merci à toutes ces personnes qui aiment Barbara car, si avec ma voix je peux leur donner un peu de bonheur, alors je dis, merci Seigneur, j’ai réussi mon pari. LDB : À votre avis, pourquoi les chanteuses du Congo sont-elles souvent à l’ombre d’une star masculine ? Très peu, vous l’avez dit, émergent par elles-mêmes sur la scène. BK : Je me bats pour cela nuit et jour et j’en souffre. C’est vraiment un monde de macho. Ici, si vous n’êtes pas coaché par un homme qui vous prend par la main, c’est très difficile de faire son chemin. On vous met des bâtons dans les roues à tous les coups. Pourtant, les hommes on des sponsors facilement. Il leur suffit de frapper à une porte et on leur donne tout mais pour les femmes, c’est tout autre chose, un vrai parcours du combattant. Dans l’esprit de certaines gens, quand c’est une femme le rapport change, c’est subitement du donnant-donnant. Quand vous dîtes non aux propositions qui sont faites alors, vous êtes mise à l’écart et quand vous dîtes oui, plus personne n’a de considération pour vous. Voilà pourquoi je me bats toute seule. Je ne vais pas condamner tous les hommes, il y en a qui sont exceptionnels et ont compris qu’il faut donner un coup de main sans plus. Mais pour une femme, il est très difficile d’émerger. Surtout chez nous les Bantu où plusieurs pensent que la femme est faite pour demeurer dans la cuisine. Une femme qui se montre, c’est une femme qui provoque, qui cherche. On ne s’imagine pas que c’est juste pour un métier. Quand je danse et chante sur scène, ce n’est pas forcément pour faire des doux yeux aux hommes. Je suis là pour faire plaisir à un public qu’importe qu’il soit fait de femmes ou d’hommes. Nous avons un problème de mentalité, la culture y est pour quelque chose. Une femme s’occupe de la cuisine et n’a pas à danser devant les gens sinon, elle est prise pour quelqu’un de facile, une femme accessible. Et, moi j’ai un défaut, je souris tout le temps. Je n’ai pas appris à garder le visage sévère. Je souris indifféremment aux hommes et aux femmes dans la rue, c’est spontané. Mais il arrive aussi que le sourire soit mal interprété. Une femme qui sourit est facile. Donc, il faut faire face à beaucoup de choses à la fois, notamment faire attention à son habillement. Pourtant, nous sommes très proches de l’Occident donc notre culture est assez mixte. Autant on est Africains, autant on est « Occidentaux » quelque part dans notre façon de nous vêtir. Nous portons des jeans alors que dans certains lieux, c’est déjà un problème. Se présenter sur scène en mini-jupe ce sera la catastrophe, vous risquez des jets de pierre… Au Congo, il faut jouer sur tout cela. L’accoutrement, la façon de se tenir et c’est difficile d’émerger parce qu’une femme qui chante, c’est sans doute une femme facile et quand vous ne l’êtes pas, on pense tout de suite : « Ah, celle-là, pour qui se prend- elle ? Hé, bien ! on va voir jusqu’où elle va aller ». Donc, voilà, je m’accroche parce que j’y crois et je ferai en sorte que les choses changent. Que les femmes soient respectées et que nous ayons notre place aussi sur cet échiquier musical, nous allons y arriver. Il y en a déjà tout de même puisque nos aînées ont pu le faire. Pourquoi pas nous, pourquoi pas celles qui nous suivent ? Moi, j’encourage toutes les artistes féminines mais je pense que nous devons aussi veiller sur notre comportement et agir pour changer la donne. Si nous nous comportons de manière correcte, je crois que les gens apprendront aussi à nous respecter. Nous avons la responsabilité de faire en sorte qu’on nous accepte, nous puissions émerger par notre travail car c’est lui qui donne toutes ces récompenses. Pour me retrouver prix Présence Congo, moi, une femme, je n’ai aucun contact avec ceux qui l’octroie, je n’ai fait des beaux yeux à personne. Dernièrement, j’étais la marraine de la grande soirée organisée pour les 90 ans de la reine Elizabeth II d’Angleterre alors que je ne connais pas l’ambassadeur de Grande Bretagne, il ne me connaissait pas. Ce sont des femmes qui ont voulu ma présence. Certes, les beaux yeux peuvent servir d’une certaine façon mais quand vous travaillez, les gens ont beaucoup plus de respect et finalement plus de considération pour vous. Je pense que nous, les artistes féminines, nous devons aussi nous efforcer de changer la donne. Montrer une autre facette, pas seulement celle de la facilité, de la provocation et de la vulgarité. Je pense que l’on peut être tout à fait sensuelle, sexy, parce qu’on a le droit de l’être, c’est le côté charme que Dieu nous a donné, sans être vulgaire. C’est possible. L.D.B : Si Barbara Kanam n’était pas chanteuse, quel profession aurait-elle exercé ? BK : (Elle part d’un gros rire). Ça c’est une bonne question ! C’est vrai qu’avant d’entamer ma carrière, je ne pensais pas que j’allais finir chanteuse. Ça n’avait pas été mon rêve de le devenir. Ah, non ! Moi, j’ai eu un parcours d’une enfant catholique, d’une fille presque modèle. Un parcours plutôt normal, de bonnes études, très bonne élève à l’école. Je me dis qu’à la fin de l’université je serai peut-être avocate, médecin ou économiste. Mais j’ai toujours eu un grand rêve, je pense que si je n’étais pas chanteuse, je serai à l’image d’Hillary Clinton. Pourquoi pas ? Je pense que j’aurai été une des premières femmes présidente de la République. (De nouveau un gros rire). Mais, à présent, avec tout ce que je vois autour de moi, j’ai peur de la politique. Mais, il est vrai que j’aime bien prendre les choses en main et être leader d’opinion. J’ai envie d’être une femme d’impact, voilà. Une femme qui impacte, révolutionne. J’aime les femmes engagées à l’instar de Nina Simone et Miriam Makeba. Je les aime beaucoup car je trouve qu’elles ont su allier la musique à des engagements. Je pense que oui, j’aurai bien voulu être vraiment une femme leader d’opinion, engagée qui a quelque chose à dire, peut parler pour son pays au nom de toutes les femmes. Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo1 : Barbara Kanam
Photo2 : Barbara Kanam animant la soirée anniversaire des 90 ans de la reine d’Angleterre, Elizabeth II
Photo 3 : Barbara Kanam invitée à la journée internationale de lutte contre les violences sexuelles
Photo 4 : Barbara Kanam coupant le gâteau en qualité de marraine de la soirée célébrant les 90 ans de la reine Elizabeth II
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