Toma Muteba Luntumbue : « La biennale de Lubumbashi permet de faire connaître les artistes de la RDC »Mercredi 6 Avril 2016 - 16:56 Artiste, historien de l’art et professeur en Belgique, Toma Muteba Luntumbue a été le directeur artistique de la quatrième biennale de Lubumbashi, Rencontres Picha, qui s’est déroulée du 9 octobre au 8 novembre 2015. Les Dépêches de Brazzaville : Comment avez-vous apprécié le déroulement de la dernière édition de la Biennale de Lubumbashi ? Toma Muteba Luntumbue : C’était une très belle et émouvante édition mais dont l’organisation fut extrêmement difficile en raison d’une insuffisance de moyens. Picha ASBL, la structure fondatrice et organisatrice de la biennale, a aussi connu une restructuration importante. Nous avons néanmoins pu bénéficier du patronage symbolique du ministre de la Culture, M. Banza Mukalay et du maire de la ville de Lubumbashi. Plusieurs partenaires lushois nous ont fourni une aide matérielle et financière. La biennale a pu compter sur l’aide de structures étrangères actives à Lubumbashi comme l’Institut français, Wallonie-Bruxelles. Des partenariats avec le Goethe Institut de Kinshasa, Pro Helvetia, Africalia, Institut français, entre autres, nous ont permis d’assurer l’essentiel. Mais il faut rendre hommage au Pr Donatien Muya, directeur du Musée national de Lubumbashi, décédé quelques jours avant la fin de la biennale, qui nous a autorisés à occuper l’ensemble des salles du Musée. La Biennale a duré un mois, alors que la précédente, celle de 2013, n’avait duré que quatre jours. Le public était nombreux sur les différents sites notamment à l’Institut des beaux-arts. L’artiste brésilienne Monica Nador y a réalisé une fresque avec un groupe d’élèves, à partir de motifs inventés par ces très jeunes futurs artistes. Plusieurs artistes de Lubumbashi ont pu également participer à des ateliers organisés en amont avec un autre grand artiste brésilien, Henrique Oliveira. L’exposition monographique de l’artiste congolaise Michèle Magema à la Halle de l’Étoile de l’Institut français a remporté un grand succès public mais elle a posé la question de la faible représentation des femmes dans l’espace artistique en RDC. C’est un écueil auquel il faut s’attaquer de toute urgence. LDB : Combien d’artistes ont pris part à la biennale ? TML : Il y avait en tout 28 artistes sélectionnés. Plusieurs jeunes artistes lushois ont été les assistants des artistes (congolais ou étrangers) invités à la biennale. LDB : Comment avez-vous apprécié le travail artistique des artistes de Lubumbashi ? TML : Il y a un vivier d’artistes extrêmement vivace. Nous pouvons nous enorgueillir d’avoir des personnalités d’un très haut niveau. Le photographe Sammy Baloji, par exemple, fait depuis une dizaine d’année une carrière internationale très remarquée. Georges Senga, photographe, Jean Katambayi, plasticien, qui participaient à la biennale, comptent parmi les jeunes artistes émergents, récemment primés et qui ont bénéficié de résidences à l’étranger. Le potentiel artistique ne se limite pas qu’à Kinshasa. Il y a des créateurs de grands talents dans différents domaines dont les œuvres sont insuffisamment connues et accessibles en RDC. Aujourd’hui, les arts et la culture constituent des enjeux démocratiques et des leviers pour l’émancipation des citoyens et des citoyennes. Les artistes sont là pour établir des ponts, bouleverser certains schémas de pensées, remettre en question les idées reçues. LDB : Comment se défendent les artistes congolais au niveau international ? TML : Les artistes visuels congolais ont une belle réputation. Plusieurs connaissent un véritable succès commercial. Chéri Samba dont le Museum of modern Art de New-York vient d’acquérir une œuvre reste le cas exemplaire. Qu’on l’aime ou pas, il compte parmi les peintres les plus connus au monde. Bodys Isek Kingelez était un génie artistique qui, bien que très apprécié internationalement, demeure pratiquement inconnu dans son propre pays la RDC. Il est mort dans une indifférence particulièrement choquante, l’an dernier. Que vont devenir ses œuvres ? Sont-elles encore en RDC ou entre les mains d’un collectionneur, à l’étranger, définitivement invisibles pour le public congolais ? Si l’intérêt pour la production artistique de la RDC est important, il faut se méfier de certaines expositions qui en donnent une image folkloriste ou se complaisent dans une vision riante qui fait croire que le peuple congolais est dénué de conscience. La globalisation marchande est avide d’identités et de motifs culturels faciles à digérer. Ce qui nous manque, par-dessus tout, ce sont des commissaires d’exposition ou encore des critiques d’art qui puissent aussi donner un commentaire éclairé sur la complexité des arts actuels et aussi de donner un juste reflet de l’histoire de l’art en RDC. Souvent des ouvrages sur l’histoire de l’art de notre pays sont écrits par des étrangers. Beaucoup se déclarent spécialistes après avoir passé deux week-ends à Kinshasa. Trop peu d’ouvrages ont été écrits et publiés par les Congolais eux-mêmes au sujet de leur art. Bien que la RDC ait une richesse culturelle, nous souffrons encore de beaucoup trop de méconnaissance de notre propre patrimoine et de l’invisibilité de nos talents. Patrick Ndungidi Légendes et crédits photo :Photo1:Toma Muteba Luntumbue
Photo 2 : Quelques visiteurs lors de la Biennale Notification:Non |