Africajarc & son « Grin littéraire »Vendredi 2 Août 2013 - 19:30 C’est l’endroit du festival où l’on peut flâner à la recherche d’un livre, rencontrer des auteurs, des éditeurs et assister à des conférences ou des lectures. Le comédien sénégalais Amadou Gaye a par exemple lu des extraits de l’œuvre de l’écrivain djiboutien Abdourahman Waberi samedi en fin de journée. Samedi également, mais plus tôt dans l’après-midi, a eu lieu une table ronde sur la pensée africaine et les enjeux de l’acculturation due à l’arrivée de l’islam et du christianisme. Il y eut en effet de nombreux courants d’acculturation en Afrique, parmi lesquels figure en première place la colonisation. Pour comprendre l’Afrique contemporaine, il faut analyser ces mutations d’envergure. Cette conférence proposait des pistes de réflexion grâce au regard des différents intervenants (philosophes, sociologues et écrivains) qui ont témoigné avoir rencontré dans leur vie ou dans leurs œuvres la problématique de l’acculturation des valeurs africaines face au défi de la modernité et de la mondialisation. Sous l'animation de Roland Colin, proche de Léopold Sedar-Senghor et témoin privilégié de la décolonisation, on retrouve parmi les intervenants Ken Bugul (ou Mariétou Mbaye pour les intimes, grande figure de la littérature francophone ayant souvent pris position sur la condition des femmes), Souleymane Bachir Diagne (docteur en philosophie et professeur à Colombia University), Lazare Ki-Zerbo (fils du grand historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, docteur en philosophie, enseignant à l’université de Ouagadougou et fonctionnaire international à la Francophonie au sein de la direction des droits de l’homme), Henri Senghor (neveu et filleul de Léopold Sédar-Senghor), Christian Valantin (ancien gouverneur de la région de Thiès au Sénégal) et Soro Solo (journaliste et animateur depuis 2006 de l’émission L’Afrique enchantée sur France Inter). Chacun selon son histoire et son pays a tenté d’expliquer les étapes de cette acculturation et ce que cela impliquait. Roland Colin a tenu à débuter cette discussion par l’intervention du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne car celui-ci se préoccupait déjà, dans un texte daté d’une vingtaine d’années, de l’avenir de la tradition en Afrique et tentait d’analyser comment des courants venus d’ailleurs, comme l’Islam, avaient pu faire alliance avec certaines cultures africaines ancestrales. Tout ceci est d’ailleurs toujours d’actualité au Mali, avec les dommages causés par l’importation de cultures étrangères. Souleymane Bachir Diagne explique comment s’est faite la rencontre entre ces religions. L'islam et le christianisme se sont imposés de deux manières différentes : contrairement à la démarche salafiste visant à abandonner toute autre croyance et à faire table rase de son passé, la démarche soufie, beaucoup plus mystique, accepte les traditions existantes. Le christianisme, arrivé en Afrique par le colonialisme, s’est lui aussi constitué par effacement la plupart du temps. En outre, il est important de voir que l’acculturation s'effectue dans les deux sens : ces religions ressortaient bien souvent chamboulées de leur périple sur le continent africain. Souleymane Bachir Diagne et Henri Senghor s’accordent à dire que les « religions du terroir » sont multiples, mais partagent toutes la même notion de « force de vie », chaque être est une force vitale et doit être considéré comme tel. Lazare Ki-Zerbo a ensuite rappelé le rôle particulier qu’a joué l’Éthiopie catholique au Moyen-Âge et ce qu’elle a inspiré, déplorant le fait que cette histoire reste méconnue en Afrique. Il porte la trace de l’acculturation dans son histoire personnelle, car son héritage est animiste mais son grand-père a été christianisé après avoir été soigné et guéri par des hommes de l’Église catholique. Il rappelle de manière très juste que les identités cohabitent en Afrique, à l’image de l’utilisation de plusieurs prénoms pour une même personne (un animiste et un musulman ou un animiste et un catholique, etc). Dans la logique, la liturgie devrait donc être selon lui adaptée au contexte culturel (d'où la question récurrente du mariage des prêtres en Afrique, ou ailleurs). Soro Solo a lui aussi relaté une expérience familiale très significative : pour gagner sa vie et devenir commerçant, son père s’est converti à l’islam ; ensuite, les bonnes écoles étaient les écoles catholiques donc il y a étudié durant toute sa scolarité ; et enfin, les vacances se passaient au village où l’animisme était partout, dans chaque arbre et chaque cours d’eau. Il a donc fallu digérer ces trois religions, ces trois vérités qui s’imposaient à lui. Il a finalement expliqué que l’animisme correspondait le mieux à ses idées : la représentation de Dieu peut être une femme, le démon n’existe pas et n’est donc pas représenté comme étant noir, et il n’y a surtout aucune hiérarchie entre les hommes. Ken Bugul a provoqué quant à elle l’hilarité en affirmant : « Je suis Dieu » au début de son intervention. La religion est néanmoins un véritable centre d’intérêt pour elle, tant dans ses livres que dans sa vie personnelle : elle est passée de l’étude du Coran à une fascination pour le judaïsme puis pour le bouddhisme. Elle a rappelé que tout le monde fête Noël chez elle à Dakar : « Ce lien au-delà du religieux est le seul véritable rempart contre l’extrémisme. » Un festival pluridisciplinaire Pauline Pétesch Légendes et crédits photo :Photo : Table ronde sur la pensée africaine (© Adiac) |