Interview. Bernard Clist : « De très grandes fouilles qui n’ont pas d’équivalent dans toute l’Afrique centrale »

Jeudi 16 Novembre 2017 - 11:15

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Trois conférences ont été tenues la semaine dernière en guise de restitution des résultats des recherches interdisciplinaires menées sur les origines et l’histoire ancienne du Royaume Kongo, dans le cadre du projet KongoKing. Le 8 novembre, les Prs Koen Bostoen et Igor Matonda ainsi que le Dr Bernard Clist ont présenté, au Centre Wallonie-Bruxelles, l’essentiel des travaux réalisés entre 2012 et 2016 en linguistique historique et en archéologie. Dans cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa, ce dernier revient sur des détails du volet archéologique qu’il a dirigé, un ouvrage qui n’a pas son pareil en Afrique centrale.

 

Les trois conférenciers exposant au Centre Wallonie-Bruxelles

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment peut-on vous présenter à nos lecteurs  ?

Bernard Clist (L.C.K.)  : Je suis Bernard Clist, professeur et docteur, je travaille à l’Université de Gand. Je suis une sorte de mercenaire français embauché par les Belges pour le projet KongoKing. J’ai été responsabilisé pour diriger et coordonner tout le volet archéologie de ce projet pluridisciplinaire.  

L.C.K. : À quoi se résumait l’activité archéologique ? Aviez-vous suivi votre cahier de charges à la lettre ou l’aviez-vous modifié face aux réalités du terrain ?

B.C. : Oui, tout à fait ! Au début, en théorie, après avoir consulté toutes les archives, tous les documents scientifiques publiés sur le Royaume Kongo, nous avons fait une synthèse en 2011, il y avait beaucoup de choses à faire. En 2012, nous sommes partis sur le terrain dans l’optique de travailler sur les Mbanza, les agglomérations du Royaume Kongo et un cas où c’était une implantation économique qui n’était pas du tout une capitale provinciale, Ngongo Mbata. L’objectif c’était de faire des fouilles dans la capitale Mbanza Kongo, le chef-lieu provincial de la province de Soyo, en Angola, à Mbanza-Soyo et en RDC, travailler sur Mbanza-Nsundi, la capitale de la province Nsundi du Royaume Kongo et Ngongo Mbata, ce centre économique très important du XVI e au XVIII e siècle. Finalement, en 2012, nous n’avons pas pu débloquer des autorisations de recherche en Angola. C’est à ce moment-là que le projet s’est regroupé à cent pour cent sur la RDC et sur le sud de la République du Congo, dans la région cuprifère de Boko-Songo. Et là, par contre, nous avons pu suivre le programme préétabli, limité à la RDC. C’est ce qui nous a permis de faire de très grandes fouilles qui n’ont pas du tout d’équivalent pour toute l’Afrique centrale. Mbanza-Nsundi d’un côté avec plus de 500 000 m2 fouillés presque d’un bloc, à 10km au nord de Kisantu et Ngongo Mbata se trouve à 8km à l’est de la frontière angolaise, à l’est de la petite ville frontalière de Kimpangu. C’est à partir de ce noyau dur de données que nous avons pu développer des séquences pour Kindoki, Mbanza-Nsundi du XIII e au XIX e et même au XXsiècle, c'est encore un village sur cette colline-là. Et, à Ngongo Mbata du XVI e au XVIII e siècle, l’on a pu, pour la première fois, développer une séquence culturelle en analysant les poteries, les objets funéraires, les importations européennes, etc. Plein de choses qui n’avaient jamais été étudiées et l’on a fait des séquences complètes allant, très grosso modo, du XIII e au XIX e siècle. Il s’agit donc, pour la plupart, des nouveautés pour pas mal de choses et avec des éléments archéologiques illustrant la période avant le contact avec les Portugais en 1483, avant leur arrivée à pied à la capitale en provenance du port de Mbanza Soyo. Et en plus de ces deux grandes fouilles, l’on a fait d'autres de moindre importance sur trente-cinq autres sites, au nord et au sud du fleuve Congo, toutes limitées au Kongo-Central avec une petite concentration de fouilles secondaires faites le long de la rivière Nkisi.

L.C.K. : Comment la population locale a-t-elle accueilli cette expédition de travail  ?

B.C. : De manière générale, sans aucun problème. Mais, bien sûr en 2012, comme c’était la première fois qu’elle voyait des archéologues débouler, il a fallu expliquer la fouille, les besoins du directeur de fouille. Et quand cela a été fait, il n’y avait pas d’antagonisme particulier mais plutôt de la curiosité. La population se disait : « Tiens, ces gens-là viennent chercher notre vieille histoire ! », cela ne l'intéressait pas plus. Le premier intérêt pour elle, c’était lorsque l’on a déclaré que nous voulions des ouvriers, l’on devait embaucher des ouvriers, donc des villageois pour les fouilles mais en plus des femmes et des jeunes pour toute la logistique et le campement de fouille, parce que l’on habitait au village. Nous avons fait onze mois de terrain sur quatre ans. Nous les avons passés dans les villages, en vivant avec eux. Nous nous couchions et nous nous levions à la même heure qu’eux et mangions aussi avec eux, etc. À chaque fois, les grandes fouilles à Ngongo Mbata, Mbanza-Nsundi et Kindoki ont employé cinquante personnes venant principalement du village où l’on était et quelques fois, des villages périphériques. À Ngongo Mbata, j’ai été jusqu’à employer des personnes venant de douze villages différents du plateau comme ceux de la plaine. C’était un apport économique assez important pour les villages. La plupart me disaient que l’argent allait permettre de scolariser les enfants pour l’année, cela révèle l’importance que le projet représentait pour eux. Par la suite, ils ont compris la valeur des recherches, en manipulant les objets, en discutant avec moi et entre eux. Ils étaient devenus très intéressés et se trouvaient valorisés, sachant qu’eux-mêmes retrouvaient, aidaient à retrouver leur patrimoine historique. C’est passé d’une collaboration tranquille à une collaboration de plus en plus intéressée, surtout à Kindoki et à Ngongo-Mbata. Sur ces sites-là, je suis revenu pratiquement chaque année et nous y avons fait un mois complet de fouilles, passé quatre semaines au village chez eux. Les autres deux mois, j’étais occupé à faire des fouilles ailleurs au Kongo-Central.

L.C.K. : Pensez-vous leur avoir révélé quelque chose de plus sur leur propre histoire  ?

B.C. : L’affaire n’est pas bouclée du tout, c’est-à-dire que l’on est passé d’une ignorance à une certaine compréhension et un enthousiasme pour elle. C’était le cas pour une partie des villageois, d’autres sont restés sur leur position tout à fait neutre. Se disant : « Nous travaillons parce que nous sommes payés pour. Nous n’avons pas trop compris à quoi cela sert mais continuons comme cela ». Après tout un travail de communication, de valorisation du patrimoine, le premier souci c’est d’arriver à leur refaire passer le message chez eux. Ngongo Mbata, c’est à la frontière de l’Angola, il faut prendre la route de Matadi, sortir sur la gauche sur Kwilu-Ngongo et enfiler toute la route de terre jusqu’à Kimpangu, ce n'est pas mal d’heures de route. Et, l’un de mes rêves, nous sommes venus une semaine pour faire des conférences en vue de restituer à la population congolaise ce que nous avons acquis. Lundi, c’était à l’Institut des musées nationaux du Congo, aujourd’hui mercredi à Wallonie-Bruxelles et demain à l’Unikin. Nous avons eu une semaine chargée mais mon vœu, c’est que j’aille descendre en 4X4 à Ngongo Mbata avec mon projecteur, mon ordinateur et mon écran, puis à Mbanza-Nsudi. Ils seront contents de me voir, parce que je serai le premier à le faire en Afrique centrale, tous mes collègues ne le font pas, personne ne le fait. J’aimerais revenir vers les ouvriers pour leur offrir un cinéma de plein air en quelque sorte. Faire une conférence un peu comme celle que nous avons tenue ici avec les mêmes images comme à Kinshasa, la capitale, mais au village carrément. Il faudrait faire une restitution auprès des ouvriers et de la population qui nous ont aidés à recueillir les œuvres, peut-être que la pièce va finalement tomber pour les derniers villageois un peu interloqués. Je crois que c’est une obligation éthique sur le plan professionnel d’essayer de le faire. Ce n’est pas si compliqué que cela, avec un peu d’effort, je vais arriver dans les villages où nous avons fait les deux grandes fouilles. Oui, il faut que je le fasse.

L.C.K. : Une anecdote qui vous revient de ces moments vécus au village ?

B.C. : Oui, les anecdotes, il y en a beaucoup. D’un côté, de manière très générale, le fait d’avoir passé onze mois au village, de vivre avec eux, faisait qu’au bout d’un certain temps, les chefs de village, les chefs coutumiers, les chefs de groupement, etc., savaient que le soir nous pouvions boire un verre sous la tente-réfectoire du camp de base au village. Et là,  ils se libéraient un peu avec l’habitude et me racontaient des choses qu’ils n’auraient pas dites à quelqu’un d’autre. Un jour, en 2014, je crois, à Ngongo Mbata, un vieux papa du village de Kimfuti, qui est l’un des deux situé de part et d’autre de la zone de fouille, est venu me voir. C’était la troisième année que je le voyais et avec le temps, il avait acquis une confiance, savoir qu’il a fini par se dire : « le Blanc présent là cherchait notre passé et qu’il est quelqu’un de sérieux. Je peux aller le voir pour parler des vieilles choses ». Il est venu et l’on s’est mis à l’écart, il ne tenait pas à me parler devant les autres. Il m’a dit : « Si cela t’intéresse, je peux te montrer la tombe du fondateur du clan fondateur du village Kimfuti ». Il a essayé de me la trouver dans la brousse brûlée, nous ne l’avons pas retrouvée mais il soutenait qu’elle devait se trouver par là. J’ai envoyé ensuite une équipe d’une dizaine d’ouvriers à qui j’ai demandé de tout couper et brûler le reste, de dégager le terrain sur quelques centaines de mètres carrés et afin de voir si nous trouverions le fameux tas de pierres dont le vieux m’avait parlé. On l’a retrouvé finalement à trente mètres de l’endroit qu’il avait indiqué. C’était le seul tas de pierres des environs. Nous avons creusé une tranchée en dessous du tas de pierres pour voir si vraiment il y avait une tombe. En fait, il n’y en avait pas une mais quatre. Je n’avais pas élargi mais c’était le début de tout un cimetière dont j’ai montré une illustration ici. Elle n’avait aucune relation avec le premier fondateur du clan Kimfuti, c’était encore plus vieux. Le hasard, c’est que le tas de pierres avait été posé par-dessus. Voilà éventuellement que la tradition orale pouvait se joindre à l’archéologie pour dire que cela pousserait la réalité historique de la tradition beaucoup plus loin. Et là dedans, à part quelques restes osseux, etc., l’on a trouvé, à côté de ce que je pense avoir été la tête à cause de toutes les dents qu’il y avait là, les restes d’une boîte en bois (je le dis à cause de la présence de petits clous en fer là) et au centre de ce rectangle de clous, il y avait trois crucifix et une médaille religieuse, ce sont les quatre objets que j’ai mentionnés lors de la conférence. Ce lieu, ce cimetière qui date du XVIe - XVIIe siècle a été découvert grâce au papa dont j’avais acquis la confiance au bout de trois ans à Ngongo Mbata. Ce qui marque l’importance de la régularité des contacts et la confiance que moi, en tout cas, j’ai toujours gagnée auprès des gens. J’en ai donné un exemple mais j’en ai vécu plusieurs où des vieux sont venus enfin me dire quelque chose. En règle générale, partout, c’est la même chose.

Propos recueillis par

 

 

 

 

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Les trois conférenciers exposant au Centre Wallonie-Bruxelles Photo 2 : Bernard Clist, au centre, donnant un aperçu des trouvailles archéologiques faites à Ngongo Mbata

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