Interview : Sorel Eta : « Ce n’est pas la surface du bâtiment qui fait la grandeur du musée, mais son contenu »

Samedi 2 Avril 2016 - 10:52

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Au cœur du marché intendance à Brazzaville, le musée du patrimoine culturel des autochtones Aka a ouvert ses portes sous la direction de Sorel Eta, ethnologue de la forêt selon ses propos. Un espace qui reçoit régulièrement élèves, étudiants, et touristes et où, l’on peut admirer via des photographies, ouvrages et vidéos l’histoire et le quotidien des peuples Aka. Une façon pour Sorel de promouvoir non seulement la culture Aka, mais aussi  et surtout le  dialogue des cultures. Rencontre.

Les Dépêches de Brazzaville ( L.D.B) : A quand remonte ta rencontre avec le peuple Aka ? Et pourquoi avoir décidé d’arrêter tes études universitaires ?

Sorel Eta (S.E) : C’est en 1995, que je rencontre le peuple Aka et sa culture. Je venais d’avoir mon bac et j’avais décidé de ne pas poursuivre les études universitaires. Ce qui a fortement déplu à mon père car j’étais pour tout vous dire un élève brillant. Mais à cette époque, j’avais envie de réaliser mes rêves, et animé par les enseignements de Jean Paul Sartre qui écrivait dans son ouvrage l’Existentialisme est un humanisme « …l’homme est l’avenir de l’homme, le chemin se fait en marchant etc. », j’ai donc décidé de faire ma route malgré les critiques et avertissements de mon entourage car déjà à cette période, j’avais horreur de la conformité. Bref je rêvais d’autres choses. Je quitte donc Pointe Noire où toute ma famille était installée et me retrouve à Impfondo dans le cadre d'un contrat de travail  que j’avais obtenu. Et quand je suis arrivé dans cette contrée, ce qui m’importait était le gain. Aujourd’hui avec le recul, je peux vous dire que je ne suis pas fière de moi dans la mesure où j’ai également participé à un moment de mon parcours à la destruction de la nature. Quand j’ai rencontré les autochtones Aka, j’ai compris que je faisais fausse route. J’ai donc arrêté mon travail d’exploitant forestier, pour redorer leur patrimoine historique et culturel. Et ça été un véritable choc de voir comment ils étaient traités par les bantous. C’était des relations de maître à esclave. Ce qui m’a poussé à devenir entre parenthèse « ethnologue de la forêt », mais je peux vous assurer que cela n’a pas été facile de me faire accepter au début. Aujourd’hui je fais partie du clan puisqu’ils me font désormais confiance et m’ont ouvert des portes et dévoiler des secrets, auxquels je n’avais pas accès.

L.D.B : Qu’est ce qui t’a motivé à ouvrir un musée sur le peuple Aka ? Un musée d’une telle auvergne, pourquoi l’avoir confiné dans cette petite case ?

S. E : Ceux qui m’ont connu à Pointe Noire savent que ma maison ressemblait toujours à un musée. J’exposais des choses çà et là. A une certaine période, je louais une maison ou je ne faisais qu’exposer mes objets d’art récoltés lors de mes voyages à Impfondo. Malheureusement beaucoup de gens ne comprenaient pas l’importance de ces objets, et je m’étais juré qu’un jour je devais avoir un musée où je pourrai tout exposer.  Et ironie du sort, je me retrouve quelques années plus tard, aux Dépêches de Brazzaville où j’ai travaillé au musée Galerie du Congo. Après mon départ de ce service, j’ai eu une très forte envie de créer un espace où j’exposerai tous mes trésors recueillis lors de mes voyages concernant le peuple Aka. Et quand l’idée d’ouvrir un musée m’est venue, j’ai pensé à ce lieu historique puisqu’il date des années 45 et selon l’histoire, des militaires tchadiens en assuraient la sécurité à l’époque de l’Afrique équatoriale française. Et quand mon père a acquis cette parcelle, il a conservé la case tandis que les autres propriétaires ont détruit les leurs.  Elle fait à  peine environ 10 m2 certes, mais comme j’aime à le répéter, ce n’est pas la surface qui fait la grandeur d’un musée mais son contenu. L’important pour moi est de mettre en valeur cet héritage culturel Aka.  Si un jour j’ai plus de moyens, on pourra songer à l’agrandir parce qu’en effet, quand tu as une visite scolaire de plus d’une dizaine d’élèves comme tout à l’heure, c‘est difficile de gérer tout ce monde. 

L.D.B : Que trouve-t-on dans le musée ?

S. E : Dans ce musée, il y a les objets de la vie quotidienne qu’on appelle patrimoine matériel, des photographies qui illustrent la vie des Aka dans la forêt, de la documentation écrite et des fichiers audio, de la musique. Et pour moi c’était important de le faire dans ce quartier (Talangaï) parce que nous n’avons pas d’espace culturel ici. Et les élèves sont abandonnés à eux-mêmes, même quand ceux-ci ont une envie folle d’apprendre, de découvrir… En outre,  plus on inculque aux enfants le goût des arts et de la culture très jeune, plus ces derniers s’y intéressent. Au début j’invitai régulièrement les écoles aujourd’hui, de plus en plus d’écoles ont pris le relais.  Ce sont eux qui sollicitent des visites et les enfants sont super motivés surtout au moment des ateliers qui se déroulent sur place, une  belle façon de les faire découvrir, les objets, les habitudes de ce peuple.  Et parfois certains ont du mal à repartir.

L.D.B : Quelle est donc la fréquence de visite au musée Aka ? Et qui vient dans ces lieux ?

S. E : Je ne reçois pas tous les jours et les visites se font sur rendez-vous. Il suffit de m’appeler et le tour est joué. Je reçois toutes les personnes possibles, en solo, en groupe, étudiants qui abordent la question des pygmées, chercheurs, des adultes, des enfants, des intellectuels, des non intellectuels. Mais j’aime beaucoup les visites scolaires car, j’aime partager mon savoir avec les enfants.

Pensez-vous que le fait d’avoir ouvert un pan sur la culture Aka, permettra aux bantu de « respecter » les peuples autochtones ?

S. E : Bien évidemment, moi aussi j’avais des préjugés sur les autochtones, mais à force de les côtoyer et chercher à les comprendre, je leur ai accepté tels qu’ils sont. Et grâce à la vulgarisation du yodler via le groupe Ndima (musique Aka) que je dirige, beaucoup de congolais savent dorénavant reconnaître les sonorités musicales de ce peuple et c’est une grande fierté pour moi vu qu’à long terme mon objectif primordial est de promouvoir le dialogue de culture, c'est-à-dire l’acceptation de l’autre et par conséquent la tolérance. Je voudrais emmener les gens à les accepter tels qu’ils sont, à respecter leur culture à ne pas les mépriser mais à accepter la diversité. Une belle démonstration pour être accompagné par le ministère de la Culture je crois.

L.D.B : Votre renommé sur le plan mondial, comment l’expliquez -vous ?

S. E : À la base c’est le travail et uniquement le travail. Après nous sommes sur les réseaux sociaux comme facebook où nous avons une page. Et grâce à cela j’ai reçu des gens du parc Odzala qui sont venus visiter le musée. Il sied aussi de souligner qu'au-delà du travail ethnographique,  je fais aussi le travail touristique. Je reçois beaucoup d’étrangers qui viennent découvrir le Congo, surtout le nord du Congo, et particulièrement l’univers des autochtones. De plus, je tourne beaucoup avec le groupe Ndima et dernièrement nous étions en Europe, en Amérique latine et en Asie…

L.D.B : Maintenant que le musée a une certaine renommée quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?

S. E : Je continue à effectuer des tournées avec le groupe Ndima, vu qu’au-delà de la promotion de la musique Aka, nous présentons aussi des expositions sur la vie des Aka à travers le monde. Mais ma plus grande ambition est que le Congolais découvre ce lieu. Valorisons notre culture.

 

 

Propos recueillis par Berna Marty

Légendes et crédits photo : 

Sorel Eta, l'ethnologue de la forêt, lors d'une visite de son musée

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