Interview. Bienvenue Sene Mongaba : « beaucoup d’auteurs prennent conscience qu’ils peuvent écrire en lingala »

Mercredi 27 Janvier 2016 - 15:52

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Chimiste de formation, bienvenue Sene Mongaba est le fondateur et l’animateur des éditions Mabiki, dont la particularité est de publier des ouvrages en langues locales de la RDC, notamment en lingala. L’ASBL dispose également d’une école à Kinshasa où tous les enseignements sont dispensés en lingala. 

Les Dépêches de Brazzaville : En quoi consistent les activités de l’ASBL Mabiki ?

Bienvenue Sene Mongaba : Nous travaillons pour la promotion de la littérature africaine. Depuis 2007, nous organisons le Salon des littératures africaines en Belgique écrites et orales (Slabéo). Nous invitons les auteurs africains à venir présenter leurs œuvres aux publics africain et belge. La littérature africaine est aussi orale, mais parfois elle n’est pas prise en compte. Nous avons également une maison d’édition où nous publions des romans, des essais, des bandes dessinées en lingala et dans d’autres langues de la RDC, à savoir le Kikongo, le Tshiluba et le Swahili. Mais nous avons l’ambition de publier également dans d’autres langues africaines. Par ailleurs, Mabiki œuvre également sur la question de l’intégration citoyenne en Belgique. Sur un autre registre, Mabiki s’investit également dans l’éducation en RDC. Nous produisons ainsi des livres et des réflexions en lingala actuellement, mais par la suite nous aimerions que ça soit dans d’autres langues du pays. On ne peut pas développer un pays grâce à une langue que la population ne maîtrise pas. C’est pourquoi nous proposons du contenu en lingala sur tous les sujets enseignés.

LDB : Combien d’ouvrages ou combien d’auteurs avez-vous publiés depuis l’existence de Mabiki ?

BSM : Nous avons actuellement 58 publications, notamment 3 bandes dessinées, 6 livres pour enfants, 5 romans en lingala, un roman en tshiluba, 1 livre sur le Kizonzi (palabre) écrit en kikongo, lingala et français. Nous avons publié également une douzaine d’essais ainsi que des livres sur le système éducatif congolais. Pour ma part, en tant que chimiste, j’ai publié le tableau périodique bilingue (français et lingala) qui est largement utilisé dans le district de la Tshangu à Kinshasa. Nous avons également publié une dizaine de romans en français.

LDB : En général, vous éditez combien d’exemplaires pour un ouvrage ?

BSM : Cela dépend. Le tableau périodique notamment a été tiré à 50.000 exemplaires. Nous les avons écoulés en trois ans. Les romans sont généralement tirés à 500 exemplaires. Le nombre d’exemplaires dépend aussi des auteurs. Certains sont très entreprenants et peuvent atteindre 1000 ou 2000 exemplaires. Nous sommes une petite structure et nous n’avons pas de gros moyens de diffusion, de distribution et de communication. Nous varions souvent entre 250 et 2000 exemplaires pour nos tirages classiques. Mes deux romans « Fwa-Ku- Mputu » et « Bo ko bandela » ont déjà dépassé les mille exemplaires. Nous avons édité le livre « Ebamba » de Richard Ali. Il n’a pas encore dépassé les 500 exemplaires mais c’est un livre qui évolue très bien. Il a été primé dans le projet « Africa 39 » qui réunit des jeunes auteurs africains. Pourtant c’est un livre écrit en lingala. Nous sommes actuellement en négociation avec un éditeur américain qui va le traduire en anglais. Ce roman a un avenir tout tracé.

LDB : Ce sont des ouvrages que vous vendez ou que vous distribuez ?

BSM : Nous les vendons. Les gens doivent prendre conscience que le savoir a un coût. Mais nous ne les vendons pas au prix plein en RDC. Nous ne cherchons pas à engranger des bénéfices. Mais cela rentre dans le cadre de l’éducation des masses.

LDB : Vos livres sont des traductions des ouvrages existants ou bien ce sont vos propres productions ?

BSM : Ce sont nos propres productions, directement publiés en lingala, Tshiluba, Kikongo ou swahili. Jusqu’à présent, nous n’avons encore traduit aucun livre.

LDB : Les auteurs des ouvrages se trouvent en Belgique ou au Congo ?

BSM : Certains auteurs résident au Congo. Il s’agit notamment de Jean-Paul Yawidi, Richard Ali et Idriss Makaja. D’autres sont en Belgique et en France. Certains autres qui vivaient en Belgique sont retournés au Congo. Moi-même je vis entre la Belgique et la RDC.

LDB : Les auteurs eux-mêmes souhaitent rédiger en lingala ou bien c’est Mabiki qui le leur suggère ?

BSM : dans le passé, on pensait que c’était impossible de rédiger en lingala. Avec l’action de Mabiki, beaucoup d’auteurs prennent conscience qu’ils peuvent écrire en lingala et nous recevons de plus en plus de manuscrits en lingala et dans d’autres langues de la RDC.

LDB : l’ASBL Mabiki dispose-t-elle d’une représentation à Kinshasa ?

BSM : Oui. Notre siège à Kinshasa se trouve dans la commune de Kimbanseke. Nous y avons également une école dénommée institut Nsene Nsene et qui dispose aujourd’hui d’un niveau au secondaire. C’est dans cette école que nous mettons en pratique notre objectif de fournir du contenu congolais au programme scolaire national. Tous les enseignements se déroulent en lingala. Néanmoins, les élèves ont également un cours de français et d’anglais. Mais la totalité des cours sont dispensés en lingala.

LDB : C’est conforme à la réglementation en vigueur ?

BSM : La RDC est l’un des rares pays en Afrique où la loi-cadre permet l’enseignement dans les langues congolaises. La loi stipule que les langues de l’enseignement sont les langues congolaises et le français. Il n’existe donc aucune interdiction au niveau de la loi.

LDB : Etes-vous en contact avec d’autres structures en Afrique qui publient des ouvrages en langues locales ?

BSM : en   Afrique du sud, c’est très développé car le gouvernement soutient ce type d’initiatives. Au Sénégal également, nous travaillons avec quelques personnes. La Tanzanie était déjà très évoluée sur le sujet avec Nyerere. Mais ils ont pris du retard à un moment donné lorsque la Banque mondiale leur a imposé l’enseignement en anglais. Néanmoins, cette année ils ont repris l’enseignement en Swahili. Nous sommes dans un réseau et nous avons déjà dépassé l’étape de la revendication. Nous sommes à l’étape de la création.

LDB : Quels sont les projets au sein de l’ASBL Mabiki ?

BSM : Nous préparons le prochain Slabéo. En principe, nous devrions organiser la 5e édition au mois d’octobre prochain ou peut-être en 2017. Notre plus grand projet est de publier une série sur l’histoire de l’Afrique et après sur l’histoire des deux Congo.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Bienvenue Sene Mongaba lors du Brussels African Market

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