Interview. Diana Ramarohetra : « Un artiste est une personne à part entière comme les autres »

Lundi 29 Septembre 2014 - 18:15

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Animatrice de l’atelier de formation qui a outillé une vingtaine d’artistes sur les droits de l’Homme, droits artistiques et culturels à l’Institut français du 22 au 24 septembre, Diana nous a fait le point sur ces assises organisées dans le cadre du projet Artwatch Africa orchestré par l’entremise de son chapitre national RDC et le Collectif Lamuka dans l'objectif de mettre en place un cadre d’échanges actif et permanent de réflexion sur la problématique des droits artistiques et culturels.

Diana Ramarohetra en pleine communication lors de l’atelier Les Dépêches de Brazzaville : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs  ?

Diana Ramarohetra : Mon nom est Diana Ramarohetra, je suis chargée du programme Artwatch Africa, un projet d'Arterial network. Artwatch Africa a pour objectif de défendre et de promouvoir les droits des artistes et la liberté d’expression créative.

LDB : Dans quel contexte circonscrivez-vous l’atelier que vous avez animé pendant trois jours à Kinshasa ?

DR : Cette année, le projet Art watch africa s’est focalisé sur la formation, à savoir les droits de l’Homme, les droit des artistes et les droits culturels. Ce, après s’être rendu du compte de la nécessité de sensibiliser les artistes à la connaissance de leurs droits, de les apprendre à les défendre et d'établir une plate-forme de dialogue. Dans d’autres pays, comme cela a été le cas avec le Congo, nous avons invité des artistes, des organisations des droits de l’Homme et aussi quelques membres du gouvernement car ce sont toutes les entités qui doivent prendre part à l’amélioration de la situation des artistes dans leurs pays.

LDB : Quel est l’objectif à long terme de l’atelier ?

DR : À long terme, c’est d'éradiquer les répressions dont sont victimes les artistes dans les pays où des fois ils sont arrêtés parce que leur œuvre est mal interprétée et censurée. Dans le cas du Congo, avec les débats que nous avons eus, j’espère qu’il y aura une campagne fructueuse qui pourra aboutir à l’établissement du statut des artistes, une meilleure compréhension des droits d’auteurs et des droits voisins ainsi qu’à faire comprendre que l’artiste a sa place à part entière dans l’économie du pays mais dans son rôle sociétal.

LDB : À la lumière de vos entretiens avec les artistes, à quel niveau se situe leur problème, peut-être un cas qui vous a mis mal à l’aise ?

DR : Je n’ai pas vraiment eu de cas qui  m’a mis mal à l’aise énormément parce que je retrouve des cas similaires dans mon pays ou dans bien d’autres. Mais là où j’ai ressenti une certaine acuité, c’est au niveau de la considération que les gens ont des artistes, la place de la coopération internationale, j’ai reçu beaucoup de plaintes à ce sujet mais j’ai observé une passivité des acteurs. Et d’où la nécessité de cette formation ou du moins une de ses actions d’aider à agir, à participer. Car l’un des facteurs des droits de l’Homme est de participer au développement. Or, il est apparu dans certains débats que l’on préfère rester passif parce que l’on croit à la fatalité. Le premier jour l’on m’a dit que cela ne sert à rien d’agir parce que de toutes façons certaines gens prennent les décisions pour les auteurs. Cela est vrai et se vérifie vraiment dans nos pays, c’est-à-dire que l’on ne participe pas, l’on ne nous consulte pas et c’est malheureux. Ce n’est pas un cas particulier au Congo et c’est toujours des débats qui me rendent triste. Il y la société civile quand on parle des droits de la femme ou de la démocratie mais il n’y a pas de société civile pour défendre les artistes, ce qui est bizarre. Pourtant, nous consommons l’art inconsciemment et l’artiste est le meilleur ambassadeur de son pays, vous avez de grands noms et une culture très riche et pourtant personne n’est là pour les défendre. Dès lors, Arterial représente la société civile, nous sommes l’une des seules organisations de la société civile qui défend l’art et la culture.

LDB : Selon vous, sur quel front les artistes doivent-ils de batailler ?

DR : Déjà, il faut que l’artiste participe à l’amélioration de sa situation. Cela veut aussi dire que le gouvernement doit accepter que l’artiste l’aide à mettre en place les mécanismes appropriés. Le point sur lequel il convient de batailler c’est de laisser l’artiste participer à l’économie de son pays. L’artiste n’est pas seulement un élément qui rend joli. Qui est juste fun, un peu rêveur. L’artiste a sa part de responsabilité dans la société. Il est là pour éduquer, interpeler les consciences, participer à l’économie. Il faudrait que l’on arrête de voir juste le côté divertissant. Un artiste est une personne à part entière comme les autres. Pourquoi l’on pense souvent qu’un artiste n’a pas de soucis ? Eux aussi ont des besoins comme chacun des citoyens. Besoin de logis, d’avoir un travail et de mener une vie digne dans ce qu’ils sont et font. Pourquoi l’on ne respecte pas cette dignité que l’on demande pour les autres ?La photo de famille des participants à la fin de l’atelier

LDB : Pensez-vous que l’artiste lui-même a conscience que son rôle dans la société va bien au-delà du divertissement qu’il offre ? Le problème ne part-il pas de là  ?

DR : Je ne pense pas que tous les artistes en sont conscients. C’est l’objectif de la formation qui entend démontrer la valeur de l’artiste. Nous l’avons donnée à une vingtaine d’artistes et nous pensons que par effet de carte l’on peut atteindre le plus grand nombre. L’artiste n’est pas toujours conscient de son importance et comme il n’a pas de système viable pour vivre de la qualité de son art, il joue le jeu en faisant des produits très commerciaux. Il vend un peu son âme créatrice quitte à s’adapter aux standards commerciaux. Je fais du bling bling, je joue à la vedette et c’est tout ce que je suis. Il y a beaucoup pour qui tout ce qui importe c’est d’être la vedette. Me balader en lunettes noires, je ne suis pas là pour apporter que ce soit…Il faut du tout pour faire un monde, je ne suis pas contre ce genre d’artistes qu’il faudrait accepter comme ils sont mais il ne faudrait pas en rester à ce niveau-là. Il y a des artistes conscients de la valeur de leur travail.

LDB : Au bout du compte, les artistes contribuent à cette image peu valorisante que la société se fait d’eux…

DR : Oui, mais c’est un peu comme un enfant. Lorsqu’il est brimé, soit il finit par se taire et arrête d’agir, soit il trouve un moyen pour attirer l’attention sur lui et cela va dans le mauvais sens de la chose.

LDB : Quittez-vous Kinshasa le cœur serein, rassurée que la formation portera ses fruits ou pensez-vous que c’est une goutte d’eau dans l’océan ?

DR : Des fois, oui, c’est l’impression que cela me donne mais en même temps, je pense aussi que certaines choses sont restées même si c’est tout petit. D’où l’intérêt d’entretenir souvent des communications. Si l’on fait une seule action, cela ne sert à rien. Les gens oublient car il y a tellement de choses après ces trois jours, tous reviendront à leur quotidien avec d’autres soucis et responsabilités. Et, le projet se poursuit sur le long terme au-delà de ces trois jours. C’est pour cela que nous avons essayé d’établir un comité de sorte à voir avec le Collectif Lamuka quelle activité mettre en place. J’en ai proposé. Il reste à en faire le suivi, je vais voir dans quelle mesure les aider. Au final, tout bien considéré, ce n’est pas une goutte d’eau dans l’océan mais je dirai une goutte dans un verre où il y en a pas beaucoup mais si au fur et à mesure, l’on y rajoute des gouttes de plus, l’on arrivera à accumuler la quantité.

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Diana Ramarohetra en pleine communication lors de l’atelier Photo 2 : La photo de famille des participants à la fin de l’atelier