Portrait d’Africajarc : Émile Biayenda et Les Tambours de BrazzaSamedi 24 Août 2013 - 19:41 Chaque semaine, découvrez le portrait de personnalités croisées au festival Africajarc. Cette semaine, c’est Émile Biayenda, le fondateur des Tambours de Brazza, qui est à l’honneur. Une tempête les a empêchés de jouer sur la grande scène, mais ce n’est que partie remise car ils espèrent bien y retenter leur chance l’année prochaine. En attendant, Émile Biayenda revient pour nous sur son parcours et évoque ses nouveaux projets À la croisée des musiques pygmées et du jazz Fondateur et directeur artistique des Tambours de Brazza, Émile Biayenda est avant tout batteur et percussionniste. Autodidacte, il apprend les percussions dès son plus jeune âge en famille au village et il participe aussi très tôt à la chorale de son église. Quand il arrive à Brazzaville en 1979, il côtoie de grands musiciens comme Biks Bikouta qui insuffle aux jeunes la passion du jazz et du be-bop. Devenu professionnel, il joue huit ans auprès de Zao, devient batteur du groupe de jazz Africa Brass puis crée le premier festival de jazz à Brazza. Depuis vingt ans, il mène en parallèle des Tambours sa carrière solo de batteur jazz et il a collaboré avec de nombreux musiciens comme Benoît Delbecq, Jean-Jacques Avenel, Didier Fréboeuf ou Fayçal el-Mezouar. Il décide en 1987 de se plonger dans l’apprentissage des rythmiques traditionnelles : fasciné par les musiques pygmées, leur composition, leurs polyphonies vocales et leur structure polyrythmique, il passe six mois chez les pygmées Baabi avec son ami d’enfance Franck Moulet. Les pygmées lui apportent un autre regard sur la conception de la musique et la manière de jouer à plusieurs. Cette influence de la musique traditionnelle lui a permis de comprendre certaines bases rythmiques du jazz et d’envisager des ponts pour marier les instruments et les univers. Depuis les années 1940, la guitare, la basse et la batterie sont devenus les incontournables de la musique congolaise tandis que la sanza et les tambours étaient cantonnés aux musiques traditionnelles. Le projet d’Émile Biayenda est donc de croiser ces instruments et de proposer une nouvelle voie musicale. Tout cela participe de la fondation des Tambours de Brazza. Naissance du groupe À la suite de son apprentissage chez les pygmées, il se lance à Brazzaville dans des ateliers d’initiation et de formation aux techniques traditionnelles du tambour Ngoma pour les jeunes. Un noyau de musiciens se forme à partir de ces ateliers, et les Tambours de Brazza naissent en 1991. Le tambour est l’instrument de base, trois tambours différents sont utilisés : le petit tambour, le kidoukoulou, qui fait l'ouverture ; le deuxième tambour, le muana ngoma ; et le tambour sacré, le ngouri ngoma qui fait les solos. Ces tambours renvoient au temps où le grand tambour, ancêtre des percussions, était le compagnon de tout un continent : voix des ancêtres et moyen de communication. Enrichie par la batterie de jazz qui mène l’orchestre, par la guitare basse, le chant et par la présence des danseurs, leur musique mêle modernité et tradition. Émile Biayenda part des rythmes traditionnels, emprunte à la tradition la rigueur dans la composition pour la mener vers d'autres horizons et créer des croisements artistiques inédits. Né à Bacongo, quartier de Brazzaville où la musique est très présente tout genre confondu, le groupe s'enrichit de ses batteurs qui viennent du hip-hop comme Fredy Massamba, du reggae ou des ballets traditionnels. C’est à partir de 1994 que les Tambours de Brazza se font connaître, grâce aux jeux de la Francophonie où ils gagnent la médaille d’argent. Commencent les premières tournées, puis l’ambition de bâtir un centre de formation et de création à Brazzaville, mais le rêve s’effondre avec la guerre civile. Le groupe est bloqué au Bénin pendant deux ans, puis en 2000 la plupart des membres du groupe quittent l’Afrique pour l’Europe. Émile Biayenda remonte le groupe avec le soutien du festival Musiques métisses à Angoulême et depuis le groupe est installé en France avec certains musiciens vivant en Belgique et en Allemagne. Cette histoire a forgé l’identité du groupe : un groupe à la croisée des cultures, des rythmes, à l’énergie communicative qui offre des spectacles époustouflants aux chorégraphies périlleuses et qui véhicule des messages de paix et de fraternité. Avant eux, il existait des formations équivalentes comme les Tambourinaires du Burundi, mais ils ont apporté une autre manière de pratiquer la percussion en forme de big-band avec orchestre, arrangements complexes et mise en scène travaillée. Sur la route des caravanes En janvier dernier est sorti leur septième album, Sur la route des caravanes, qui marque leur vingtième anniversaire et le lancement d’une nouvelle tournée. Un grand concert pour célébrer cet anniversaire a eu lieu à Paris au Trianon le 1er février dernier. Trois membres sont là depuis le début (Pierrick Nzoungani, Fredy Massamba et Émile Biayenda), les autres membres du collectif changent selon les albums et les tournées car une nouvelle orientation musicale est donnée à chaque nouveau projet. Dix musiciens ont participé à ce nouvel album : six percussionnistes (Charlique Prince Malonga, Arsène Louhoumi Nkanza, Ghislain Makoumbou, Vivien Mbizi, Rostand Nganga et Pierrick Nzoungani), un guitariste (Basile Ntsika), un bassiste (Francky Moulet), un chanteur (Fredy Massamba) et un batteur (Émile Biayenda). Les instruments aussi changent selon les projets : pour ce disque, ce sont les instruments de la musique classique qui sont à l’honneur, la contrebasse, le violoncelle, le violon et la clarinette. Sur la route des caravanes raconte l’histoire de la route de l’esclavage en Afrique, de Zanzibar à Pointe-Noire. L’album retrace cet itinéraire, le tambour voyage et rencontre d’autres instruments sur sa route. Des invités de marque ont participé au projet, comme Ray Lema, Gino Sitson, Caien Madoka ou Régis Gizavo. Le soutien de Ray Lema est important, car c’est lui qui a ouvert la voie en travaillant sur l’adaptation des rythmes traditionnels kongo au piano. Et maintenant ? Ce groupe de référence aimerait évidemment poursuivre sa tournée au Congo et offrir un spectacle de qualité aux Congolais. Émile Biayenda souhaiterait créer des ateliers professionnels concernant le spectacle vivant au Congo, car, explique-t-il, « il n’y a pas besoin de faire des ateliers de percussions, le niveau est là, mais il s’agit de savoir comment monter un spectacle, le vendre, attirer les producteurs et à quoi correspondent les métiers de régisseur, ingénieur son, manager, etc. Il n’existe aucune formation au Congo ,alors que ce serait nécessaire pour avancer. » D’autant qu’Émile Biayenda est familier de ce genre d’initiative puisqu’il collabore chaque année au festival Musiques métisses sur des projets de décentralisation : un groupe de musique arrive un mois avant le festival et va dans les écoles pour mener des ateliers et échanger avec les plus jeunes, par exemple. Le festival accueille également des stagiaires venant de partout dans le monde pour qu'ils observent le déroulement du festival et se forment à un métier en particulier. Du côté de ses projets en solo, Émile Biayenda fait partie du Trio Kongo avec Ray Lema et Franck Moulet au sein duquel ils travaillent sur les musiques du Bassin du Congo. Il collabore également à ARB Music, une collection de CD de musique pour les enfants, sur les titres Danse, la forêt dense ou L’Afrique de la forêt. Pour les Tambours de Brazza, la fin de l’année s’annonce bien. Ils poursuivent leur tournée par un concert le 25 août à Argenteuil (en plein air, entrée libre), le 6 octobre à la Ferme du buisson avec Ray Lema dans le cadre du Festival d’Île-de-France (ils vont partager sur scène le travail mené avec les élèves du conservatoire de Noisiel), le 18 à Andrésy, puis ce sera le grand départ pour le Pays-de-Galles puisque le groupe est sélectionné pour participer au plus grand festival professionnel des musiques du monde, le Womex (World Music Expo), qui a lieu du 23 au 27 octobre à Cardiff. Ils joueront cinq dates lors de cette dix-neuvième édition, ce qui est une grande opportunité car tous les producteurs de musiques du monde seront présents. Nous n’avons donc pas fini d’entendre parler des Tambours de Brazza ! Pauline Pétesch Légendes et crédits photo :Photo 1 : Emile Biayenda. (© Franck Moulet) ; Photo 2 : Les Tambours de Brazza au festival Nuits d'Afrique. (© DR) |