Les Dépêches de Brazzaville : Le 2 Juin, l’Italie va célébrer sa fête nationale. Qu’est-ce qu’elle représente pour un pays comme le vôtre qui n’a jamais été colonisé et sous quel signe sera-t-elle fêtée ?
Nicolo Tassoni Estense : L’Italie est parmi les grands pays européens qui ont accédé à leur indépendance assez tard. Nous considérons que nous avons aussi vécu une histoire partagée et une histoire de domination étrangère. Des portions du territoire italien furent un certain temps sous la domination de la France, de l’Espagne et même de l’Autriche. Pour notre pays, la fête nationale est une occasion de célébrer l’unité d’un peuple, bien qu’en elle-même la date du 2 juin évoque le référendum qui a marqué le passage de la monarchie à la République. Comme pour d’autres pays, c’est avant tout la fête de l’unité d’un peuple qui a gagné après beaucoup de temps son indépendance. Pour ce qui est de la fête de cette année, nous avons décidé de la placer sous le signe de l’annonce de l’exposition universelle de Milan 2015. Cette exposition est pour nous le grand événement de 2015, elle est à l’échelle mondiale. C’est un événement qui est en train de connaître beaucoup de succès en termes de participation des pays. Elle sera une grande vitrine pour l’Italie, un grand moment de débat autour du thème « Nourrir la planète », qui est un thème transversal qui couvre l’agriculture, mais qui couvre aussi le développement durable et les nouvelles technologies. Je suis très content que le Congo ait été l’un des premiers pays à avoir immédiatement accepté la participation et avoir nommé son commissaire d’exposition.
La présence italienne au Congo semble être discrète alors que l’histoire entre les deux pays est pleine de symboles. Que peut-on dire de la coopération culturelle entre les deux pays ?
Je nuancerai votre propos sur la coopération discrète. La coopération culturelle est bien-là, j’en ai même fait un des points forts de mon programme en tant qu’ambassadeur. Elle est basée sur un ensemble de liens, de symboles, de valeurs qui sont absolument partagés. Il y a toujours de l’espace pour faire mieux. Donc toute initiative de coopération culturelle est toujours la bienvenue. En même temps, tout ne peut pas être fait par les institutions publiques. Je parle en tant qu’ambassadeur, car nous avons des moyens limités, un personnel limité. J’ai privilégié surtout la collaboration dans le secteur du cinéma, parce que son public est relativement facile à organiser. J’essaie de pondérer quelques grands événements avec une coopération courante qui se fait facilement. L’autre chose dont je suis fier, c’est le fait qu’on ait réussi à augmenter le nombre d’étudiants Ccongolais qui se sont rendus en Italie où ils se sont inscrits dans les universités italiennes. Année après année, ont réussi à ajouter au moins six étudiants. L’année dernière, on était arrivé à quarante. Mais, je souhaite pour le reste que des initiatives partent de la société elle-même, partent des institutions culturelles elles-mêmes, et non simplement de l’ambassade.
Vous avez organisé en 2012 une exposition de photos inédites sur Pierre Savorgnan de Brazza, de même que l’exposition Ephémère au Musée-Galerie du Bassin du Congo en 2013. Y a-t-il eu des retombées après ces deux expositions ?
Les deux événements sont très différents l’un de l’autre. L’exposition Ephémère que nous avons organisée en collaboration avec le Musée-Galerie du Bassin du Congo et le groupe Les Dépêches de Brazzaville était très intéressante, puisque c’était une tentative de créer un événement de haute culture, c’est-à-dire sur l’excellence des éditions italiennes pour un public très raffiné. C’était un pari qu’on a fait de voir si quelque chose qui avait un angle relativement riche dans le panorama culturel italien pouvait avoir une réponse positive au Congo. La réponse a été excellente. L’exposition des photos inédites sur Pierre Savorgnan de Brazza, dont je suis particulièrement fier parce qu’il a été un grand effort pour l’ambassade d’Italie a eu une vocation universelle, dans le sens où l’idée était justement de restituer au Congo une partie de sa mémoire visuelle. Il reste que le livre qui a été publié à l’occasion a relancé beaucoup cette perspective de dimension d’archives et de photographies.
Que réservez-vous aux amoureux des œuvres d’art pour cette année 2014 ?
Nous travaillons sur plusieurs pistes, si bien que je ne suis pas en mesure de vous répondre avec précision. Je voudrais travailler sur l’architecture, notamment sur l’idée d’un colloque d’architectes italiens et congolais en me basant sur le fait que la majeure partie des architectes congolais ont été formés en Italie, parce que l’Italie est une référence en la matière. Il y a aussi bon nombres de projets non pas culturels mais aussi à vocation économique, engageant des architectes italiens au Congo. Tout cela me fait penser que ce moment de rencontre doit être un accès aux défis urbains en Afrique.
L’École de peinture de Poto-Poto pourrait-elle bénéficier de votre soutien pour participer à l’exposition universelle de Milan 2015 ?
J'y suis tout à fait ouvert. La question est que chaque pays adhérent présentera son pavillon. Le Congo est dans un espace de pavillons encadré par un sous-thème fédérateur dans le domaine agricole. Mais, je pense que l’École de peinture de Poto-Poto, qui est le fleuron de la culture congolaise, aura une exposition à l’intérieur de ce pavillon. J’ai aussi un avis sur le pavillon du Congo. Il devrait valoriser ses parcs nationaux. Cela rentrerait dans le cadre du développement durable qui est le thème central de l’exposition. Car il y aura un public de quelques millions de spectateurs qui va participer à cette exposition.
En septembre 2006, la musique congolaise était au rendez-vous à Clivio en Italie lors de La Nuit du Congo à… Une preuve que les artistes congolais voulaient bien d’une coopération entre les deux pays dans ce domaine. Mais, il se trouve que les groupes italiens ne se produisent pas du tout au Congo…
Depuis que je suis ici au Congo, nous avons pu réaliser avec le soutien d’autres entités au-delà de l’ambassade, deux concerts, notamment celui de la musique lyrique au plais du Parlement qui a connu un grand succès, et un concert de musique contemporaine à Pointe-Noire. Si on n’a pas fait un peu plus, c’est parce que ça coûte un peu plus cher. C’est donc au-delà des moyens financiers à ma disposition. Dans des opérations complexes de ce type, il faut qu’il y ait un pool d’investisseurs qui ont de l’intérêt pour cela. Il faut mobiliser des forces privées pour que cela puisse tenir, bien sûr sous la coordination d’une ambassade. Pour preuve, lorsque j’étais à New Delhi en Inde, j’ai collaboré à l’organisation d’un grand festival lyrique, qui nous a coûté environ 150 000 euros. Les artistes congolais, je sais qu’ils se sont produits en Italie lors de la première édition de La Nuit du Congo à…, ça été d’ailleurs un grand succès. Il y a aussi le groupe musical du peuple autochtone Aka qui va se produire en Italie, c’est une chose excellente. Je suis ouvert et serais ravi de faire plus sur le volet musical, le problème c'est qu’il y a des coûts non négligeables.
Le Congo semble moins convoité par les entraîneurs sportifs italiens. Peut-on espérer un changement de ce côté-là ?
Je pense que oui ! Il y a deux faits nouveaux qui se sont passés. Le premier, c’est que le Congo participe depuis l’année dernière au tournoi des jeunes talents, réservés normalement aux clubs sportifs et non aux équipes nationales. Une exception spécifique a été faite pour le Congo. C’est une vitrine importante au niveau international mais aussi au niveau italien, qui permet aux chasseurs de talents italiens d’avoir une possibilité de mesurer les jeunes Congolais lors de ces matchs. Par ailleurs, je sais aussi qu’il y a eu des Congolais qui ont été appelés à faire des textes et des interviews avec d'importants clubs italiens. Le deuxième élément qui me pousse à être positif, c’est le fait que depuis quelques mois la nationale des jeunes Congolais est entraînée par un entraîneur italien. Je pense que cette osmose avec le milieu du foot italien va se consolider plus facilement. Bien sûr, la France reste le plus grand partenaire dans ce domaine, vu les liens culturels qui sont là et font que ça se passe plus facilement. Mais quand je suis arrivé ici, il y avait zéro coopération sur ce plan, aujourd’hui différentes choses se sont passées et différents clubs italiens nous ont demandé de voir de près les footballeurs congolais. Je pense qu’il faut être positif. C’est une question de temps, mais ça va certainement s’ouvrir, et je l’espère fortement, car pour les jeunes sportifs congolais, pouvoir évoluer en Italie serait quelque chose de très positif et d’enrichissant.