L’Atlantique noir de Nancy Cunard

Samedi 15 Mars 2014 - 3:52

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Le musée du Quai-Branly à Paris met en lumière le destin de Nancy Cunard à travers une exposition consacrée à son ouvrage, Negro Anthology, paru en 1934

Nancy Cunard est une icône moderne. Une muse qui inspira les photographes Man Ray ou Cecil Beaton, les peintres Wyndham Lewis et Eugene MacCown. Elle était aussi l’amie des surréalistes René Crevel ou Louis Aragon, l’éditrice de Samuel Beckett, une voyageuse, une militante, une affranchie, une scandaleuse.

Nancy Cunard est née en 1896, d’un riche Anglais et d’une héritière américaine. Elle a grandi avec la haute bourgeoisie londonienne du début du XXe siècle puis s’est installée à Paris en 1920 après un divorce et la mort de son amant tombé pendant les combats de la Première Guerre mondiale.

À Paris, Nancy Cunard fréquente les cercles intellectuels des Années folles et s’investit dans la littérature en fondant la maison d’édition The Hours Press. En 1928, elle tombe amoureuse du musicien de jazz afro-américain Henry Crowder, n’en déplaise à son entourage, dont sa mère, qui lui tourne le dos. Ces attaques et attitudes racistes lui inspirent l’ouvrage polémique Black Man and White Leadership. Nancy Cunard, indignée, révoltée, confirme sa lutte anticolonialiste, antifasciste et anti-impérialiste. Elle écrit sur l’annexion de l’Éthiopie par Mussolini et sur la guerre civile qui frappe l’Espagne. En 1931, elle se lance dans l’élaboration de Negro Anthology en réunissant 150 contributeurs issus du journalisme, de la littérature, de la politique et des arts. Trois ans plus tard sort l’œuvre panafricaine la plus importante jamais réalisée, éditée à 1 000 exemplaires, dont il ne reste plus que deux aujourd’hui.

Negro Anthology aborde l’histoire politique, sociologique, littéraire, fictionnelle et artistique de l’Afrique ancienne et contemporaine à travers des écrits d’auteurs indépendantistes africains, intellectuels afro-américains, surréalistes français, écrivains avant-gardistes anglo-saxons. L’ouvrage collectif vise à « démontrer que le préjugé racial ne repose sur aucune justification (…) que les Noirs ont derrière eux une longue histoire sociale et culturelle, et que ceux qui les rejettent comme des sous-hommes ignorent tout de leur histoire passée de leur civilisation, de leur lutte », explique Raymond Michelet (proche collaborateur de Nancy Cunard) dans des propos rapportés par le magazine L’Express. On y retrouve, entre autres grandes signatures, celles de l’auteur et anthropologue Zora Neale Hurston, William Edward Burghardt Du Bois, l’homme d’État Kenyan Jomo Kenyatta ou encore le Nnamdi Azikiwe, premier président du Nigeria décolonisé. Pour la première fois dans l’histoire, « la parole est donnée aux dominés » pour dénoncer la ségrégation raciale, analyse Sarah Frioux-Salgas, commissaire de l’exposition.

L’exposition met en lumière cette œuvre commune et son influence et rend hommage à son initiatrice, dont son ami Georges Sadoul parlait en ces mots : « S’il y eut jamais, dans ce siècle, une Lady, une grande dame dans le vrai sens du terme, par son intelligence, sa culture universelle, son courage, son désintéressement, ce fut Nancy Cunard. »

L’Atlantique noire de Nancy Cunard au Musée du Quai-Branly à Paris, du 4 mars au 18 mai.

Morgane de Capèle