Alain Mabanckou : Lumières de Pointe-Noire, le récit d’une vie…Jeudi 17 Janvier 2013 - 13:00 À la faveur d’une invitation de l’Institut français, l’auteur de Demain j’aurai vingt ans séjourna à Pointe-Noire avec sa compagne pendant deux semaines. Et ce fut l’occasion, pour lui, de revenir après vingt-trois ans d’absence sur les lieux de son enfance et de revisiter quelques épisodes ayant émaillé sa jeunesse parmi les siens dans la ville océane Le tour de force réussi dans ce livre est que le lecteur a le sentiment qu’il s’agit non d’une autobiographie « personnelle », mais de l’histoire d’une famille, alors qu’il s’agit précisément de se raconter à travers les autres. Sont tour à tour évoqués les demi-frères, les oncles, la grand-mère (qui, selon ses rêves, n’attend que l’arrivée d’une femme blanche pour quitter cette Terre et rejoindre la lumière éternelle) ainsi que toute sorte de mentors (le dragueur, le professeur de philosophie) et surtout l’affection particulière pour les cousins jumeaux avec qui il partagea longtemps la couche et dont la jumelle, très malade durant le bref séjour, réussira à échapper à la malédiction de la chambre isolée de cet hôpital qui recèle quelques légendes tenaces symbolisées par le personnage de Basile, véritable gardien des enfers. La figure de la mère est dominante dans cette galerie de portraits où l’autobiographie prend quelquefois des allures de règlement de comptes avec le réel auquel l’écrivain réserve quelques coups de griffe qui sont autant de coups d’écriture, tout en veillant à ne pas tricher avec la vérité. C’est ainsi que le père biologique est renvoyé dans les limbes de l’anonymat au profit du père adoptif qui prend le statut et tous les attributs de la paternité tout en restant un quasi-intrus dans la relation privilégiée entre la mère et l’enfant. Au-delà de l’anecdote, ce récit ouvre un large champ de possibles dans la transgression d’un ordre établi à la fois par les conventions les plus tenaces (convenances sociales, voire éditoriales, quant à la pudeur liée au « moi haïssable » !) et se donne à lire, notamment, comme une réponse aux attentes des nombreux jeunes écrivains en herbe qui eurent l’occasion de lui demander la recette de son succès. Le retour sur sa propre initiation dans la forêt de Louboulou, par exemple, donne des éléments sur les sources lointaines des Mémoires d’un porc-épic et, plus globalement, sur la part du substrat culturel de base de l’individu social dans l’imaginaire personnel d’un auteur. Sans compter que de Louboulou (Bouenza) au quartier Voungou, puis à la rue Louboulou du quartier Rex, ce qui voyage, c’est moins les membres d’une famille d’origine bembe que les racines de leur patrimoine immatériel inscrit dans la conscience de chacun. Ce qui, éventuellement, modestement, donnerait une explication du succès de l’auteur auprès de divers publics dans le monde. Dans sa composition, l’ouvrage apparaît comme un mixte dans lequel le lecteur pourra se demander si les photos servent de légende au texte ou si, à l’inverse et selon une tradition consacrée par Barthes, le récit sert de légende aux diverses images dont le caractère documentaire ajoute à la véracité et à l’authenticité du propos. En grattant le récit autobiographique, il arrivera probablement au lecteur de trouver un autoportrait de l’écrivain avec moult biffures et repentirs… Lumières de Pointe-Noire, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 2013, 282 p. R. S. Tchimanga Légendes et crédits photo :Alain Mabanckou. |