Les Dépêches de Brazzaville : Comment êtes-vous parvenu à les unir, alors que bon nombre n’ont pu le faire ?
Jean-Rufin Omboumbou : Ç’a été simple comme bonjour. Nous avons apporté un autre message aux enfants, en leur disant, qu’en dépit de tout ce qui les divise, ils ont un patrimoine commun qu’ils ont légué, et aux mélomanes, et à la nation ainsi qu’au public africain. Il était donc de bon aloi qu’un événement comme celui-ci soit organisé afin qu’ils soient ensemble dans l’intérêt de la nation. Ne pas le faire, c’est manquer de respect à la nation. Nous leur avons dit que leur point commun était qu’ils font partie du patrimoine culturel congolais le plus précieux. Et nous leur avons fait comprendre qu’ils sont obligés de faire quelque chose pour revaloriser la nation, car ensemble ils constituent une force, et cela est plus que leurs divergences. C’est dans ce sens-là que nous les avons abordés. C’est donc un anniversaire qui se fête en deux phases : la première phase, Roga-Roga a fêté avec les nouveaux, et cette fois-ci c’est une autre version, c’est-à-dire la continuité, avec les anciens qui ont commencé ce groupe. Ainsi donc, le 28 décembre nous sommes à Pointe-Noire ; le 1er janvier 2014 au stade Félix-Éboué de Brazzaville ; le 4 janvier au stade de Dolisie et le 11 janvier à Owando, capitale du département de la Cuvette.
Y a-t-il des artistes qui ont posé des préalables ?
Individuellement, il n’y a pas eu trop de préalables. Ils ont tous manifesté la volonté de jouer ensemble, sauf qu’ils ont exigé de nous de garantir la quiétude. C’est ainsi que dans le contrat, nous avons mis le code de bonne conduite qui sanctionne l’artiste en cas d’indiscipline ou d’attaque personnelle. Pour nous, c’est une messe musicale de remerciement à Dieu. Parce qu’à titre de rappel, pendant les événements de 1997, Extra Musica, qui était hors du pays, a été la première couche de la société civile à pousser un cri du cœur à Dieu pour bénir le Congo en arrêtant la guerre. Ils l’ont fait dans la chanson Lossambo, de Roga-Roga. Lorsqu’on écoute cette chanson, c’est comme si Dieu répondait présent à ce cri du cœur. Car nous avons arrêté la guerre nous-mêmes, nous nous sommes réconciliés nous-mêmes, ce qui fait que nous reconstruisons le pays nous-mêmes. C’est pourquoi nous avons voulu que la nation soit reconnaissante vis-à-vis de ces enfants qui ont demandé à Dieu la fin de la guerre, la paix qui est une condition sine qua non pour le développement du pays.
Pour certains sociétaires qui ont fait défection, c’est Roga-Roga qui pose problème ; est-ce vrai ? A-t-il signé son contrat sans aucun souci ?
Je vais vous dire que c’est la première personne à donner le quitus sur l’événement, contre toute attente. Pourtant nombreux sont ceux qui l’ont diabolisé, en parlant de lui dans le sens négatif. C’était également le point de vue des autres artistes que nous avons rencontrés. Par exemple, lorsque nous avons contacté Guy-Guy Fall qui se trouve être l’opposant le plus farouche de Roga-Roga, il nous a envoyés vers Roga-Roga en nous disant si vous voulez que ce concert se réalise, il faut qu’il donne son accord. Mais s’il refuse, le concert n’aura pas lieu. Et quand Serge Mayembo et moi sommes allés voir Roga-Roga, nous n’avons pas rencontré la résistance de ce dernier. Bien au contraire, il nous a dit je suis d’accord, mais est-ce que les autres l’ont fait ? Allez voir Doudou Copa. Lorsque nous sommes arrivés chez Doudou avec l’accord des autres, ce dernier nous a envoyés chez Oxygène. Et du coup, ils ont tous signé sans poser trop de conditions. Ce n’est qu’après la signature des contrats que certaines exigences ont commencé à naître sur l’interprétation des 20 ans.
Comment aviez-vous arbitré ces interprétations sur les 20 ans ?
C’est simple ! Extra Musica a fait 20 ans, mais ce qui est vrai, ce n’est pas tout le monde qui a fait 20 ans. Il suffit de reconstituer ces 20 ans par les albums pour trancher. De la création d’Extra Musica jusqu’à aujourd’hui, il totalise 9 albums. Ça veut dire qu’il y en a qui ont fait deux albums et sont sortis, certains encore quatre albums, et d’autres ont fait les 9 albums ; ils sont au moins quatre. Mais, ils ne l’ont pas fait seuls, il y en a qui ont participé dans ces 20 ans, mais en deux catégories : les anciens sociétaires et les nouveaux venus. Le débat a tourné autour de là. C’est surtout ceux qui sont partis, qui ne voulaient pas que les nouveaux jouent. Nous leur avons dit que c’est serait fausser le concept, car il voudrait dire que ceux qui sont partis, ceux qui sont arrivés et ceux qui ne sont jamais partis jouent ensemble. Car, cette interprétation des 20 ans répond à ce que nous avons promis au peuple, c’est-à-dire le souvenir et présent. Ne pas faire cela serait dangereux, parce que nous risquerions d’exclure la majeure partie des mélomanes, car il y a des mélomanes qui sont nés entre cet intervalle, c’est-à-dire de 0 à 20 ans, or ceux-là, ne connaissent pas trop le passé ; ce qui compte pour eux c’est le présent. Ce débat pour nous n’est pas le plus important, c’est ce qu’on appelle le bourrage de dossiers dans le jargon juridique. Le fond pour nous, c’est que tout le monde a accepté de jouer. Et nous leur avons dit que nous n’avions pas réuni les musiciens pour faire sortir un leadership. Nous sommes venus servir à la nation, l’exemple de l’unité, la consolidation de la dynamique de paix engagée dans le pays.
Quel est l’apport du gouvernement dans ce projet aussi salutaire pour la musique congolaise ?
Le gouvernement a trouvé le projet très salutaire, surtout quand on parle de la réconciliation nationale qui tient au cœur du gouvernement et en particulier au chef de l’État. C’est ainsi que nous avons donné un concept à cet événement : l’unité et la paix. C’est la République réconciliée en miniature culturellement. Parce qu’Extra Musica réconcilié, c’est le Congo réconcilié culturellement. C’est toutes les sensibilités ethniques de la nation qui se retrouvent là.
Avec 9 albums déjà produits, ce concert aura lieu en combien d’heures et comment aviez-vous calé le répertoire ?
Nous sommes en train d’envisager un concert d’au maximum trois heures. Quant au répertoire, nous prendrons deux chansons pour certains et trois pour d’autres albums. Mais le concert de Brazzaville prendra un peu plus de temps, parce qu’il se jouera le 1er janvier 2014. C’est un véritable cadeau que nous offrons aux Congolais. Car jamais on ne retrouvera plus tous les sociétaires anciens et nouveaux d’Extra Musica vivants et sur la même scène. Nous avons voulu aussi ressusciter la fibre patriotique. De notre côté, nous avons prouvé que nous sommes des patriotes ; aux Congolais de le prouver aussi, surtout que nous constatons comme par simple coïncidence qu’il y a des artistes de l’extérieur qui vont jouer le jour même.
Quelles sont vos ambitions ?
Nous voulons aller plus loin avec ce concept. C’est pour cela que nous avons signé avec ces enfants pour deux ans. Nous pourrions alors affronter les grandes salles d’Europe en passant d’abord par les salles africaines. Nous sommes déjà beaucoup sollicités, et d’ailleurs, les gens n’ont pas cru que nous sommes des Congolais, parce qu’ils doutent que les Congolais puissent organiser de tels concerts. Nous lançons aussi un appel au gouvernement et au père de la nation, s’ils peuvent s’approprier l’événement pour offrir un véritable cadeau de fin d’année aux Congolais, ce serait une très bonne chose. Imaginez-vous que le chef de l’État décide de la gratuité de ce concert, ce serait une fierté, surtout que le père de la nation a été toujours à l’écoute de ses enfants à l’image de ce qu’il fait pour le football. Voilà pourquoi, nous sollicitons qu’il offre le cadeau de fin d’année aux Congolais en prenant à bras le corps ce concert.