Interview. Prince Djungu : « Écrire sur soi, c’est un exercice très difficile »

Mardi 22 Novembre 2016 - 18:41

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Dans cet entretien exclusif avec Les Dépêches de Brazzaville, le jeune auteur livre un aperçu de son premier roman et parle de sa démarche. Cette autobiographie qui est du reste aussi sa première publication revient sur une séquence de sa vie. En vente en librairie à Kinshasa depuis sa sortie fin octobre, "J’ignorais encore nager dans les flots de la vie" n’a pas été aisé à écrire. Il y a pris le risque de se dévoiler, quitte à partager un épisode pas très reluisant de sa vie qui, néanmoins, pense-t-il, « pourrait aider ou inspirer beaucoup de jeunes ».

Prince Yannick Djungu Simba

Les Dépêches de Brazzaville : Comment devrait-on vous présenter à nos lecteurs  ?

Prince Yannick Djungu  : Je m’appelle Prince Yannick Djungu Tambwe, je suis un jeune congolais et je m’essaie à l’écriture. Je suis aussi un jeune écrivain, un grand passionné de littérature et des médias. Né à Kinshasa et ayant grandi en Belgique, je vis un peu entre ces deux mondes-là. Fils d’écrivain et de metteur en scène aussi. Je parle peut-être un peu moins de ma mère, mais elle est actrice de cinéma et metteur en scène de formation.

L.D.B. : Vous venez de sortir votre tout premier livre et il a un titre assez singulier… Comment devrait-on le comprendre ?

P.Y.D.  : Oui, c’est ma toute première publication, mon tout premier roman. J’écris habituellement mais c’est la première fois que je publie. Ce n’est pas facile d’intituler ses écrits. Quand tu finis un article, un bouquin ou une chanson, ce n’est pas toujours évident de trouver un titre qui te parle. Et moi, ce titre me parlait bien. J’invite ceux qui vont me lire de retenir le titre et après lecture du bouquin, ils comprendront le vrai sens de ce livre parce que c’est une image. Je compare juste la vie à une mer, un fleuve et parfois, quand on apprend à nager, on essaie, on tente de faire des brassées, ça marche, ça ne marche pas, c’est un peu comme ça la vie. Elle n’est pas toujours droite, on essaie des fois ça peut marcher ou ne pas marcher. Mais, à la fin avec beaucoup de pugnacité, de patience, de ténacité, on y arrive. Donc, c’est simplement une partie, je dis: "J’ignorais encore nager dans les flots de la vie". Est-ce que maintenant je sais le faire ? Ça, c’est une autre question, mais cette partie de la vie-là, j’étais un peu dans ces flots en tentant de bien nager ou naviguer.

L.D.B. : Vous affirmez avoir coutume d’écrire. Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans l’arène avec la publication d’un roman ? Cela n’aurait pas été plus facile de commencer l’aventure avec une nouvelle, par exemple ?

P.Y.D.  : Cela aurait été plus facile, c’est vrai. Et quand je disais que j’allais publier, mes amis pensaient que j’allais écrire un grand essai sur la politique parce que je suis passionné de politique ou un grand livre de réflexion ou peut-être des nouvelles comme vous le dites, parce que j’aime bien tout ce qui est anecdote, petite nouvelle. Mais je me disais que pour un premier bouquin, j’avais quand même besoin d’une certaine légitimité. Je me voyais très mal débarquer dans ce monde-là et commencer à raconter certaines choses. J’avais besoin, avant que l’on me lise autrement, faire en sorte que les gens me connaissent un peu. L’œuvre en elle-même est une autofiction. Il y a certes une grande partie de biographie dedans, une autobiographie assaisonnée avec quelques fictions. Ce n’est pas trop fictionnel non plus. Je tenais à ce que le lecteur sache un peu qui je suis avant de savoir que je peux écrire d’autre. Donc, c’est cela qui explique le choix du roman à la place d’un autre genre littéraire.

L.D.B. : Dans ce cas, peut-on prétendre que "J’ignorais encore nager dans les flots de la vie est votre carte de visite" ?

P.Y.D.  : Oui, c’est vraiment une très belle image. On dira que c’est une carte de visite, une présentation qui n’est pas totale et juste quelques pages car on ne peut pas non plus tout dire sur soi-même et ce n’est pas non plus axé uniquement sur ma personne. C’est aussi un peu ma vision des deux sociétés dans lesquelles j’ai vécu. Une vision comparative par rapport à mes expériences personnelles et mon parcours. 

L.D.B. : Êtes-vous de ceux qui pensent que l’on sait mieux parler de soi parce que l’on se voit mieux se voir soi-même déjà à travers le reflet d’un miroir, que de faire écrire sa biographie par quelqu’un d’autre ?

P.Y.D.  : J’ai beaucoup travaillé dans le domaine du journalisme, je suis aussi journaliste. J’écris facilement sur les autres, je ferais sans problème un portrait de Fedora, par exemple. C’est vrai que quand il s’agit d’écrire sur soi, c’est un exercice très difficile. Et pour dire vrai, ce bouquin, je l’ai réécrit quatre fois pour en arriver à la version actuelle. Même après, je ne suis pas satisfait. Je me dis qu’il y a toujours moyen de s’améliorer. C’est un effort à faire qui demande de se dépasser car c’est se dévoiler, s’ouvrir un peu plus aux autres. Et j’avoue que ce n’est pas un exercice aisé parce que la tendance souvent quand on parle de soi, on dit que c’est un peu orienté, on ne parle que du côté positif de sa personne. On a plutôt tendance à cacher ou atténuer un peu les échecs ou ce qui n’a pas marché. C’est un dur exercice que j’ai eu à faire et j’ai eu vraiment du mal à y parvenir. Si je vous fais lire la première version, elle est bien différente. Là, je ne me dévoilais pas du tout, c’était un survol… J’avais fait lire à quelqu’un qui s’est montré très exigeant et a soutenu que je pouvais faire mieux que ça. En fait, dans cette version initiale, j’avais peur d’en dire un peu plus sur moi. C’était vraiment quelque chose de terne, de pas profond, de pas précis. Et pourtant, modestement, je dirais que c’était bien écrit mais ce n’était pas personnel, on ne le sentait pas transparaître. C’était comme si je parlais de quelqu’un d’autre que moi. C’était moi sans être moi parce que je ne me dévoilais pas assez, alors que dans cette version-ci, les lecteurs pourront juger par eux-mêmes. Mais je pense que je me suis lâché un peu.  La couverture de J’ignorais encore nager dans les flots de la vie

L.D.B. : Pourquoi avez-vous choisi de publier une autobiographie si jeune alors que d’ordinaire on attend ses vieux jours pour s’y mettre ? De plus, une biographie d’à peine 74 pages, ce n’est pas un peu petit… Quelle tranche de vie avez-vous confiné là dedans et laquelle est peut-être gardée pour plus tard  ?

P.Y.D.  : (rires) Est-ce qu’il y aura une suite ? C’est une très bonne question. Quand j’ai commencé à écrire j’ai été buté à ce questionnement-là. Qu’est-ce que je peux raconter en un nombre précis de page ? Déjà, on ne peut pas tout dire, ça c’est quasiment impossible. Le titre du livre c’est "J’ignorais encore nager dans les flots de la vie", donc d’une certaine manière ça signifie que c’est une partie de la vie, une séquence de ma vie que je trouve pleine de leçons. J’aimerai la partager avec les gens qui me liront mais c’est clair que je n’aurai pas pu tout raconter. J’ai fait un tri et même là, quand j’ai fini le bouquin, je pensais : « J’aurais dû ajouter ceci… ». Peut-être que ce sera la porte ouverte à une suite. Je vous invite à lire le livre.

L.D.B. : Honnêtement, dans ce livre, vous vous présentez sur votre meilleur profil ou est-ce juste ce que vous voulez que les gens sachent de vous ou encore est-ce le rendu de ce que l’auteur voit dès lors qu’il pose le regard sur soi  ?

P.Y.D.  : Je vais expliciter ma démarche. J’ai grandi en Belgique mais j’ai vécu aussi à Kinshasa et j’ai souvent remarqué que beaucoup de jeunes, moi en premier, sont en manque de modèles et de repères. Lorsque cela fait défaut, il arrive qu’on ne fasse pas de bon choix dans la vie parce qu’on ignore les choses et on avance à l’aveuglette. J’ai essayé de faire un examen de mon parcours, d’où je suis venu jusqu’à celui que je suis maintenant, j’ai vu qu’il y avait une séquence de ma vie, je le dis assez modestement, pourrait aider ou inspirer beaucoup de jeunes par rapport à ce que j’ai vécu.

L.D.B. : Y a-t-il une symbolique à travers la photo illustrant la couverture de votre livre  ? Est-ce vous, l’enfant avec la canne à pêche ?

P.Y.D.  : Oui, au fait cette photo a été prise alors que j’étais encore très jeune, on le voit, j’avais entre cinq ou six ans. J’étais avec mon grand-père que l’on aperçoit derrière-moi, il possédait des étangs au niveau de Mbudi-Kinsuka. Et les week-ends, quand on allait passer la journée avec lui, il m’apprenait à pêcher, je n’y arrivais pas mais ce jour-là, j’ai pris mon premier poisson. Il était petit, mais c’était mon premier poisson. Ça reflète un peu l’image du livre. En fait, quand je dis que j’ignorais, c’est que j’avais toujours essayé et en fin de compte j’y suis arrivé. C’est aussi un message d’espoir ou de réconfort. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui passent des fois par des moments de déception, des remises en question… Mais si on met en avant certains profils, certains parcours, on peut découvrir mais tiens, « J’ai peut-être connu ça mais il y a quelqu’un qui a vécu pire que ça et s’en est tiré », ça motive. C’est peut-être cela aussi la motivation et le pourquoi de mon livre. Et pour le faire, je n’ai pas besoin d’attendre que j’aie 70 ans ou que je meure pour publier mon autobiographie. On écrit quand on a envie de partager, de raconter quelque chose. Moi, j’avais cette envie.

L.D.B. : Le livre est signé sous le pseudonyme Yannick P. Tambwe mais à la fin, l’auteur est présenté sous sa vraie identité. Pourquoi ce détour ?

P.Y.D.  : Je tiens quand même à préciser que c’est un faux pseudonyme parce que les mots et les noms qui sont utilisés sont une partie de mon nom. J’ai simplement occulté mon premier prénom et mon nom de famille pour la bonne raison que je suis fils d’un écrivain. Mon père s’appelle Charles Djungu Simba. C’est un illustre écrivain congolais qui a écrit une trentaine d’ouvrages. Il a été journaliste aussi et est assez connu. Je me disais que si je signais Djungu, automatiquement les gens m’identifieraient à mon père. Ce qui n’est pas si mal mais j’estimais que ça serait un peu trop facile pour moi. La difficulté que j’aurais eu c’est de défendre cette identité-là parce que les gens seraient portés à faire la comparaison entre le père et le fils, à se demander si ce dernier vaut plus que son papa. Il y a ça mais aussi, je voulais que mon premier livre existe par lui-même et non pas parce qu’il a été écrit par le fils de Charles Djungu Simba. C’est vraiment ça. Je tenais à ce que les gens me jugent d’abord par le contenu et non par la forme sinon ils partiraient d’un à-priori positif se disant que le fils va écrire aussi bien que son père. Ce qui ne sera peut-être pas le cas après lecture et qu’ils en viennent à penser, il est piètre comparé à son père, mais je n’espère que ça se passera de la sorte. Les à-priori peuvent être aussi négatifs… c’est pour prévenir ce genre de réflexes naturels que j’ai pris la précaution de ne pas le signer. Il y a autre chose que vous n’avez pas souligné, le livre n’a pas de préface, j’ai fait ce choix qui entre un peu aussi dans cette même démarche. Je n’ai rien contre les préfaces, mais je me dis qu’elles sont un peu comme des béquilles surtout pour un premier bouquin. Les gens vont chercher un auteur éminent qui a fait un nom pour pousser le livre. Moi, je ne voulais pas ça. C’est osé, je sais, un challenge. Je voulais que ce soient les lecteurs qui la fassent indépendamment du fait que je suis le fils d’un écrivain. Je veux que l’on me découvre par moi-même tout en étant fier de mon père. 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Prince Yannick Djungu Simba Photo 2 : La couverture de "J’ignorais encore nager dans les flots de la vie"

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