Les Dépêches de Brazzaville : Pourquoi la tenue de ce Forum des femmes à Kinshasa ?
Yamina Benguigi : Dès ma prise de fonction, j’ai fait le constat que les droits des femmes francophones régressaient et que dans tous les conflits, leur intégrité et leur dignité étaient menacées. J’ai constaté que dans certains pays de l’espace francophone, des femmes sont en perte de droit ; d’autres sont utilisées comme armes de guerre dans les conflits armés ; pour d’autres encore, l’accès à l’éducation est interdit ; d’autres, enfin, ne bénéficient pas des droits à la santé et à l’égalité.
Ce forum est né d’une indignation. Les acquis des femmes ne seront jamais des acquis. Il ne peut pas y avoir de démocratie, de développement et de paix sans l’action et la participation des femmes à tous les niveaux, car le statut des femmes est le baromètre implacable de l’avancée démocratique des sociétés.
J’ai annoncé le 13 octobre 2012 à Kinshasa pendant le sommet de la Francophonie la création du premier forum mondial des femmes francophones, qui a accueilli en mars 2013 plus de 700 femmes des 77 pays de l’espace francophone.
Les travaux de ce forum ont posé la nécessité de porter les fondations d’un nouveau statut des femmes francophones : leur appel a été remis au président François Hollande, et je me suis engagée à porter le droit des femmes francophones comme une priorité de mon ministère en mettant en place plusieurs actions.
J’ai demandé à l’OIF, au nom de ces femmes francophones, la mise en place d’un réseau francophone égalité femme-homme. En septembre 2013, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, j’ai réuni un groupe d’experts de haut niveau pour définir les bases du prochain forum mondial des femmes francophones.
Depuis le 11 octobre 2013, j’ai obtenu que le site internet « Terriennes » de TV5-Monde soit désormais dédié au forum mondial des femmes francophones. Le 25 octobre 2013, le secrétaire général de l’OIF a lancé, en ma présence, le réseau francophone égalité femme-homme. Le 8 novembre, cette mobilisation extraordinaire a conduit le Sénégal à placer le quinzième sommet sous le thème de « Femmes et jeunes : vecteurs de paix, acteurs de développement ». J’ai demandé qu’une déclaration solennelle et spécifique sur le droit des femmes soit élaborée et annexée aux conclusions du sommet de Dakar.
La République démocratique du Congo, qui assure jusqu’en novembre 2014 la présidence de la Francophonie, a souhaité avec enthousiasme accueillir le deuxième forum des femmes francophones à Kinshasa les 3 et 4 mars 2014. Il réunira plus d’un millier de femmes francophones. Les conclusions de ce forum seront leur contribution directe à la préparation de la déclaration du prochain Sommet.
LDB : Le rayonnement de la Francophonie se fait essentiellement au travers de l’Afrique, pourquoi ? Est-ce que l’on communique suffisamment sur la francophonie en France ?YB : La francophonie aujourd’hui, ce sont 220 millions de locuteurs dans le monde. En 2050, ils seront 800 millions, dont 80% en Afrique.
Le défi qui nous est lancé est de redresser la qualité de l’enseignement du français qui s’est affaissée depuis une dizaine d’années. Il est impératif de renouveler le corps enseignant, de former des formateurs et de tout mettre en œuvre pour que la jeunesse africaine maîtrise une langue qui est aujourd’hui et sera demain la langue du travail. J’ai décidé de lancer le 20 mars le programme « 100 000 professeurs de français pour l’Afrique ». La République du Congo, où l’année 2014 est consacrée à l’éducation, sera le premier de tous les pays concernés. L’Afrique porte en elle le pouls de la francophonie, l’enseignement doit couler dans ses artères.
En France, mon programme « Le français, langue du travail » aura les mêmes objectifs, car beaucoup de Français sont éloignés du monde du travail par un manque de maîtrise de la langue. C’est une première. La langue française est la langue du travail dans tout l’espace francophone. La maîtriser à l’écrit comme à l’oral est un enjeu fondamental dans un monde numérisé où l’écrit devient le principal vecteur d’échange et de dialogue.
LDB : L’OIF renouvelle bientôt son secrétaire général. Encouragez-vous une candidature féminine, et qu’est-ce qu’une telle candidature pourrait apporter ?
YB : Le président Abdou Diouf a donné depuis plus de dix ans à la Francophonie un rayonnement incontestable, aussi bien culturel que politique. Sous sa présidence, l’organisation a œuvré aux sorties de crise dans les pays francophones, à la préparation des élections... Je ne le remercierai jamais assez de m’avoir soutenue dans mon combat pour les femmes francophones et d’avoir été aussi réactif en lançant le réseau francophone égalité femme-homme. Il a fait sien le combat pour le droit des femmes.
Pour une femme engagée depuis plus de vingt-cinq ans dans le droit des femmes et leur place dans les sociétés, ce serait de bon augure. Mais peu importe qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme. L’important, c’est sa capacité à partager et porter les valeurs de l’OIF.
LDB : Est-ce que l’élection de Catherine Samba-Panza peut être un signal fort ?
YB : Après la Gabonaise Rose-Francine Rogombé, qui avait assuré l’intérim constitutionnel de la présidence au décès du président Bongo, Mme Samba-Panza est la première femme élue à la présidence d’une République d’Afrique francophone. Son élection est un signe fort pour son peuple. Elle est déterminée et veut mener à bien la réconciliation et l’apaisement en Centrafrique face à des défis gigantesques.
LDB : Dans une récente interview, vous avez dénoncé le « plafond de verre » dont vous êtes victime alors que vous êtes ministre de la République de la France. Comment la France peut-elle se placer en exemple vis-à-vis de l’Afrique ?
YB : Si vous faites allusion à mon film Le Plafond de verre, qui exprime la discrimination au niveau de l’accès à l’emploi qui touche en particulier les Français bac +5 issus de l’immigration, qui, à diplôme et compétence égaux, n’ont pas de réponses à l’envoi de leurs CV, ni d’embauche, il est indéniable que ce « plafond de verre » qui brime leur accès au monde du travail est un apartheid invisible lié aux préjugés issus du colonialisme.
Dans son projet pour la France, François Hollande fait référence aux valeurs du socle républicain pour l’édification d’une France multiculturelle, multiraciale. Aujourd’hui, le racisme, qui se nourrit de la haine de l’autre, nous concerne tous : en France, en Europe, en Afrique, dans le monde.
Et comme le dit Eistein : « Il est plus facile de désagréger un atome que de bousculer un préjugé. »