Quand « Jazz & Vin de palme » devient un spectacle

Samedi 20 Septembre 2014 - 5:15

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Nous avons découvert cet artiste tchadien à l’occasion des trois dates parisiennes de son spectacle au mois de juin. Jazz & Vin de palme (adaptation de la nouvelle d’Emmanuel Dongala et véritable ovni à la rencontre du conte, du jazz et de la science-fiction) est l’œuvre d’un musicien particulièrement inspiré, Doro Dimanta

Son enfance passée dans un petit village au sud du Tchad, bercée par les contes et légendes de son oncle paternel, ses études entre N’Djamena et Grenoble et sa passion pour la musique noire américaine ont fait de Doro Dimanta un métis culturel passant d’un continent à l’autre avec la passion qui le caractérise. Saxophoniste de jazz, il a travaillé avec de grands noms comme Archie Shepp, Philippe Petrucciani, Jeff Gilson, Éric Barret ou Tony Pagano et enregistré un album avec son groupe Afro Blue, Andalousie, en 1994 et un album solo, Sweet pour Vivie, en 1998. Du côté du conte, il collabore régulièrement avec l’artiste sénégalais Abou Fall ainsi qu’avec Assane Kouyaté, Koldo Amestoy ou Jihad Darwiche et il collecte depuis une dizaine d’années des récits au Tchad, contribuant ainsi à la préservation du patrimoine oral.

Son histoire avec Emmanuel Dongala (écrivain congolais émérite, auteur de cinq romans, un recueil de nouvelles et trois pièces de théâtre) remonte à 1974 alors qu’un de ses cousins lui offre un exemplaire du roman Un fusil dans la main, un poème dans la poche en récompense de l’obtention de son baccalauréat. Depuis, cet auteur l’habite et l’accompagne. Doro Dimanta admire Emmanuel Dongala pour son regard toujours juste, pour sa capacité à évoquer des choses dramatiques en toute légèreté que ce soit dans Jazz et Vin de palme, Johnny chien méchant ou plus récemment Photo de groupe au bord du fleuve. Donner sa voix à Jazz et Vin de palme est une manière pour lui de rendre hommage à Emmanuel Dongala, de faire connaître au public ce texte et la littérature africaine francophone en France.

Jazz et Vin de palme est une nouvelle du recueil éponyme paru en 1982, une fable faussement naïve sur fond d’invasion extraterrestre. Les extraterrestres en question ne débarquent pas n’importe où sur terre, mais au Congo-Brazzaville. La colonisation continue : Kinshasa, Abidjan, Tombouctou puis Aulnay-sous-Bois, Litchfield… Cette nouvelle, aux détails farfelus et écrite en pleine guerre froide, préconise l’utilisation d’armes infaillibles dans la lutte contre ces extraterrestres inamicaux : leur faire consommer quantité de vin de palme et leur administrer à hautes doses les musiques de John Coltrane et Sun Râ afin qu’ils se volatilisent. L’idée de monter ce texte en spectacle s’est imposée naturellement à Doro Dimanta, le texte étant particulièrement adapté au saxophoniste de jazz et improvisateur féru de Coltrane qu’il est. Il a commencé le travail à l’automne 2012, Emmanuel Dongala lui a donné très facilement et amicalement son autorisation.

Doro Dimanta commence son spectacle par une adresse au public : qui est Emmanuel Dongala, qui est John Coltrane et comment lui-même s’attache depuis de nombreuses années à établir le lien entre parolité de la musique et musicalité de la parole en créant des passerelles entre les littératures orale et écrite. Il joue du saxophone, ténor et soprano, mais aussi du bolon, une harpe à trois cordes venue du Mali. Jean-Claude Montredon l’accompagne à la batterie. Le récit est découpé en plusieurs parties, entre lesquelles des improvisations musicales s’intercalent. Deux improvisations de saxophone, dont une surprenante performance de saxophone aquatique lors du récit de l’invasion extraterrestre, font place à une jolie interprétation du tube de Franklin Boukaka Le Bûcheron et à deux morceaux de blues, une création de Doro Dimanta intitulée Blues Miné et une composition d’Abbey Lincoln, Caged Birds. Il conclut, comme Emmanuel Dongala, par cette phrase : « C’est ainsi que le jazz conquit le monde ! » Un beau spectacle en somme, hors des sentiers battus, gorgé de poésie et d’humour !

Les prochaines dates seront signalées dans l’agenda culturel du journal du samedi. Plus d’info sur Doro-dimanta.com

« Il s'agit pour moi d'assouvir mes passions pour la littérature francophone, pour l'art du récit et l'improvisation musicale. Ici, je me suis donné comme challenge de dire le texte de la façon la plus vivante possible, sans broder, afin de respecter le style de l'auteur. » Doro Dimanta.

Pauline Pétesch