Portrait d’Africajarc : Jean-Felhyt KimbirimaSamedi 7 Septembre 2013 - 8:48 Chaque semaine, découvrez le portrait de personnalités croisées au festival Africajarc. C’est la deuxième fois que Jean-Felhyt Kimbirima, comédien et metteur en scène congolais, participe au festival : il y avait présenté Les Petites Comédies de l’eau avec la Compagnie de la Gare en 2010. Cette année, il était en quête de rencontres artistiques. Il a accepté de revenir pour nous sur son parcours Une vocation, le théâtre Depuis toujours, Jean-Felhyt Kimbirima a su qu’il voulait faire du théâtre son métier. Présent sur les planches depuis le début des années 1990, il est parvenu à se faire un nom à la fois au Congo, en Afrique et en Europe. En effet, il a joué de nombreuses pièces d'auteurs classiques et contemporains comme Racine (Andromaque), Marivaux (La Fausse Suivante), Bernard-Marie Koltès (Dans la solitude des champs de coton), Carole Fréchette (Le Collier d'Hélène), Israël Horowitz (Le Premier), Sony Labou-Tansi (Le Point virgule, Sa majesté le ventre, Couloir humanitaire), Dieudonné Niangouna (Intérieur, extérieur, Carré blanc), Sylvain Mbemba (Qu'est devenu Ignoumba le chasseur ?) ou Emmanuel Dongala (Jazz et vin de palme). Et il a travaillé avec de nombreux metteurs en scène, d’Éric Mampouya à Georges M’Boussi en passant par Serge Limbvani, Nono Bakwa, Emmanuel Letourneux ou Véronique Vellard. Tout commence à Brazzaville, une génération de jeunes étudiants a en commun la passion du théâtre, parmi eux Dieudonné Niangouna ou Jean-Felhyt Kimbirima… Après avoir joué quelque temps sur les planches brazzavilloises (majoritairement au CCF ou au CFRAD), ils décident de créer leur compagnie de théâtre : la Cie Deso naît en 1996. Mais il n’y a pas d’école de théâtre au Congo, on apprend « auprès de ». Jean-Felhyt Kimbirima fait son apprentissage auprès d’Éric Mampouya : il travaille avec lui pendant dix ans au théâtre de l’Imaginaire où il est comédien et assistant. À partir de 1998, sa carrière se développe à l’international : il est invité en résidence à Kinshasa avec son binôme Olivier Makoumbou à l’Écurie Maloba par le directeur de l’époque, Nono Bakwa. L’Écurie Maloba est une compagnie de théâtre et un centre de formation, de création et d’échanges artistiques située dans la commune de Bandal et créée en 1988. Jean-Felhyt et Olivier participent à des ateliers de création autour du projet Arrêt Kardiak, mis en scène par Emmanuel Letourneux. Le spectacle tourne en France et en Belgique en 1998 mais la période est troublée à cette époque au Congo. Réfugié à Kinshasa, Jean-Felhyt Kimbirima s’attelle à l’adaptation du texte Le Point virgule de Sony Labou-Tansi, donné par Nicolas Martin-Granel et seul rescapé dans ses affaires. S’ensuivent plusieurs années d’errance, entre l’Afrique de l’Ouest, la Centrafrique et la RDC. Alors que l’heure est à la reconstruction au Congo-Brazzaville, Jean-Felhyt Kimbirima travaille avec Dieudonné Niangouna sur la pièce Intérieur, extérieur qui tourne ensuite en France en 2003. C’est lors de cette tournée qu’ils décident à plusieurs (Dieudonné Niangouna, Abdon-Fortuné Koumbha, Arthur Vé-Batouméni et Jean-Felhyt Kimbirima) de créer le collectif Noé Culture. Le collectif regroupe quatre compagnies (Les Bruits de la rue, Deso, Kaf et Salaka) et afin de marquer son lancement est créé le festival de théâtre Mantsina sur scène. La première édition a lieu en novembre 2003, ils y croient et reçoivent de nombreux soutiens mais l’agitation revient à Brazzaville en décembre. C’est l’événement de trop pour Jean-Felhyt Kimbirima. Il décide alors de quitter le Congo. L’exil Il réside en France depuis 2003. Les débuts sont difficiles, mais il continue le théâtre. Deux projets ont été particulièrement marquants dans sa carrière : Le Point virgule, encore et toujours. Il en finit l’adaptation et assure la mise en scène et l’interprétation entièrement seul. Dans un décor minimaliste, le personnage du commandant Zenouka revient sur sa vie, ses démons intérieurs comme s’il était devant un juge d’instruction. Le spectacle est joué notamment au Lavoir moderne parisien en 2007 et reçoit le concours de Julien Parent, pour la direction d’acteur, de Bill Kouélany, pour la conception des masques, ainsi que les précieux conseils d’Éric Mampouya et Véronique Vellard. Le second projet, plus récent, est celui d’Antonia Ngoni, adaptation de l’Antigone de Sophocle pour lequel Jean-Felhyt Kimbirima a signé la mise en scène. Créé lors d’une résidence à la Friche des lacs de l’Essonne, le spectacle est porté par la Compagnie Plateau Kimpa-Théâtre et Entre noir et blanc. L’Amin est une compagnie théâtrale qui a développé depuis janvier 2012 ce projet de friche, un espace d’échange et de partage où sont accueillis des spectacles d’autres compagnies qui défendent un théâtre en prise avec la réalité. Le texte a été adapté par Kani Kabwé-Ogney, et le projet regroupe de nombreux artistes du Congo et du Sénégal. Ce spectacle invite à une (re)lecture de la tragédie grecque dans sa transposition africaine. Le père de la nation, le président Kilapi (interprété par Criss Niangouna), fait exécuter son frère Oluka qui avait participé à une rébellion armée contre le pouvoir en place. Il lui refuse toute forme de sépulture, sa femme Antonia Ngoni (interprétée par Alvie Bitémo) fait tout pour le faire changer d’avis. C’est une tragédie bantoue notamment autour de la question de la sépulture, et c’est une pièce à la portée universelle par des thèmes tels que la parole bridée ou la violence politique. En parallèle de sa carrière au théâtre, Jean-Felhyt Kimbirima a découvert la pédagogie grâce à sa rencontre avec le directeur départemental de l’école de théâtre de l’Essonne. Depuis, il dirige régulièrement des ateliers de formation théâtrale auprès des amateurs et des professionnels. Il travaille avec des publics très divers : les élèves de l’école départementale de théâtre de l’Essonne, les enseignants néo-titulaires de l’académie de Créteil, des personnes en insertion professionnelle, des étudiants de master 2 en communication ou des personnes incarcérées. Il fait également du coaching en entreprise. Son but à présent est de créer des ponts entre le milieu théâtral français et congolais (il cherche à établir des partenariats entre l’école de théâtre de l’Essonne et des structures culturelles d’Afrique centrale) et d’agir sur un territoire, il met désormais en place autour de chacun de ses spectacles une démarche en travaillant avec les habitants et les structures existantes afin de pérenniser le projet. Matanga Jean-Felhyt Kimbirima a aussi des projets au Congo. Il a mené en février 2011 des ateliers avec les doyennes du théâtre congolais : cinq femmes « matrices » (Georgette Kouatila, Céline Moundzé, Alphonsine Moundélé, Adolphine Milandou et une jeune comédienne Raïssa Nzitoukoulou) qui ont travaillé sur Le Quatrième Côté du triangle de Sony Labou-Tansi. Il est revenu ensuite pour monter un spectacle à partir de ces ateliers et un jeune auteur de Brazzaville, Willy Samba, a créé un nouveau texte à partir de celui de Sony et du sien (Mais on est où là ?) intitulé Matanga. Le spectacle a été présenté au festival Mantsina sur scène en 2011. Jean-Felhyt Kimbirima cherche aujourd’hui des financements pour faire aboutir ce projet et jouer le spectacle partout au Congo. C’est un projet qui lui tient à cœur, car ces femmes l’ont vu arriver au théâtre. Elles incarnent le modèle de la femme artiste, et c’est exceptionnel de pouvoir les voir aujourd’hui jouer ensemble après plus de trente-cinq ans de carrière. Ce spectacle a pour but de redonner la parole à la figure de la veuve, qui en est privée au Congo. Il s’agit à travers ce spectacle de créer du débat, de proposer le spectacle accompagné de rencontres avec les comédiennes et d’ateliers afin que la jeune génération s’intéresse au théâtre. Avis aux mécènes ! Pauline Pétesch Légendes et crédits photo :Photo : Jean-Felhyt Kimbirima (© Adiac) |