Phénomène « Libanga » : la musique congolaise sur une pente raide

Vendredi 22 Janvier 2016 - 21:39

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Lorsqu’il y a cinquante-six ans, Kabasele Tshiamala dit « Kallé Jeef » faisait un clin d’œil aux politiciens de l’époque sous l’air mélodieux de « Indépendance Cha Cha » en égrainant leurs noms sous l’impulsion rythmique de docteur Niko, c’était sans savoir qu’il venait là d’ouvrir une brèche qui allait révolutionner le monde musical congolais.

Cette séquence historique est un repère important qui aura posé le fondement du phénomène « Libanga » ou dédicace aujourd’hui devenu presqu’une identité de la musique congolaise moderne. D’une génération à une autre, le concept a traversé les âges prenant à chaque période de l’histoire une nouvelle connotation jusqu’à se muer aujourd’hui en un véritable business. On ne s’en passe plus. Aucune chanson congolaise des temps présents n’est exemptée des noms des personnes distillées à profusion. Il s’agit des gens qui misent parfois gros pour bénéficier d’un tel privilège. Et pourtant, jusqu’à un passé récent, il n’y avait aucune connotation mercantile dans ce chapelet des noms cités à tout- va dans les refrains. C’était le plus souvent par amitié, ou encore, par simple reconnaissance envers un proche que les Vicky Longomba, Tabu Ley, Kwamy, Ntesa et tant d’autres dédicaçaient les leurs.  Des amis d’enfance, des inconditionnels du groupe, ou encore, quelques bienfaiteurs, étaient alors cités dans leurs œuvres sans contrepartie en termes de paiement. Ce qui n’était alors qu’un épiphénomène n’était pas, pour ainsi dire, structuré comme il l’est aujourd’hui avec une tarification allant d’un artiste à un autre.   

La tendance a persisté jusqu’au seuil des années 70 avec Zaïko Langa Langa. Nyoka Longo et ses pairs s’étaient distingués, entre autres, par des lancements à la sauvette des noms des proches en plein sélène, si ce ne sont eux-mêmes. C’est lorsque les musiciens comprirent qu’ils pouvaient aussi tirer meilleure partie de cette pratique en se faisant les chantres de leurs donateurs qui ne lésinaient pas sur les moyens pour se « faire chanter » que la donne a changé. On se souvient des gens comme Lengema « Big Manager » à qui une bonne partie du répertoire du TP OK Jazz lui était destinée moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Des personnalités de cet acabit existent encore aujourd’hui et font le bonheur des artistes-musiciens de la nouvelle génération. Ces derniers ne font plus tourner leurs méninges pour offrir aux mélomanes des thématiques qu’inspirent les faits de société. Les chansons portent désormais les titres de leurs « acheteurs » vantés et déifiés à la limite.  

Dans certains jeunes orchestres de la place, les musiciens sont astreints à la débrouille, sans salaire, misant uniquement sur leurs « chansons-dédicace » à l’honneur de tel ou tel « Grand prêtre ». Ils sont souvent récompensés de belle manière avec, à la clé, une nette amélioration de leur condition matérielle. Même les animateurs s’adonnent à cœur joie à cette pratique qui, faut-il le dire, nivèle vers le bas la musique congolaise moderne. Les thématiques susceptibles d’aiguiller l’intellect ou encore des chansons éducatives ont, depuis lors, quitté l’imaginaire des artistes musiciens plus enclins à accroitre leurs revenus en un clin d’œil. A l’entame de chaque enregistrement, ils font souvent des appels de pied à l’endroit des férus du « Libanga » qui mordent facilement à l’hameçon. Des journées entières sont généralement consacrées en studio à cette séance-phare consistant au placement des dédicaces. Pour une seule chanson, on peut en compter jusqu’à des centaines, au point de rendre indigeste l’audition même de l’œuvre.

Papa Wemba, Koffi Olomide, Werrason, JB Mpiana, et tant d’autres sont passés maitres dans cet art de la dédicace qui constitue une source de revenue importante au regard des charges qui sont les siennes en tant que leaders des groupes. Et même leur simple passage dans les médias reste ponctué par des citations des noms des personnes comme si leur vie artistique en dépendait. Curieux tout de même pour des stars dont la suffisance affichée fait croire qu’ils sont à l’abri du besoin alors que, paradoxalement, elles font les lèches-bottes des grosses fortunes. Loin d’être hostile à un phénomène musical prisé autant par l’homme de la rue que par la Get society, nous pensons qu’il y a lieu de recadrer le concept pour une meilleure réadaptation face aux impératifs qu’impose la bonne musique. C’est de cela dont les mélomanes ont besoin. Qui dit mieux ?

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Fally Ipupa en plein studio

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