Note de lecture : « Maman, je reviens bientôt » ou l' Europe est une planète d’illusions pour les déserteurs de l’Afrique

Samedi 20 Septembre 2014 - 6:15

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L’immigration au cœur du roman africain. Le thème, présent déjà dans les œuvres d’Alain Mabanckou et de Liss Kihindou, est apprivoisé par Itoua-Ndinga. Cet écrivain congolais, né en 1974, a publié en août aux Éditions du Net son deuxième roman, Maman je reviens bientôt, après Le Roman des immigrés (L'Harmattan). Le roman évoque dans un style épistolaire les confidences d’un fils à sa mère sur les raisons de son retour au pays natal

« Maman, je reviens bientôt est un bon livre pour des esprits libres », lit-on au début de la préface. Cette prise de vue prématurée peut intriguer a priori le lecteur critique. Cependant, après avoir parcouru tout le volume contenant à peine 141 pages, plus d’un lecteur découvrira certainement un très bon roman écrit dans un français châtié. Ouvrage aux multiples révélations sur le vécu réel en Occident des immigrés africains.

Ce roman autobiographique se présente d’abord comme un dialogue-monologue d’un fils avec sa mère laissée à Brazzaville pour aller poursuivre des études supérieures en Europe. Par une lettre, le fils renseigne sa mère sur les méandres de sa nouvelle vie à Paris. Après dix ans de luttes et de fatigues, il expose à sa mère bien-aimée les raisons de son retour au Congo.

C’est un regard critique d’un esprit libre et humaniste qui décrit l’environnement infernal parisien des immigrés africains. L’auteur dans la peau du narrateur s’oppose à l’imaginaire d’un paradis terrestre vue à travers l’Occident par les chercheurs d’Europe. Et s’étonne du refus de l’Africain à prendre en mains son destin en se démarquant des habitudes rétrogrades au milieu d’autres peuples assez lucides qui émergent à ses dépens.

Sans visée idéologique et politique partisane, Itoua-Ndinga dénonce toute forme d’extrémisme dans le monde d’aujourd’hui. « Ils me saignent les tripes, ceux-là qui sans vergogne parviennent à se dépecer, à se détruire à cause de leurs positions religieuses, positions que je qualifie de sectaires et de fanatiques. » (p. 17) Il démontre une bonne connaissance des réalités exotiques et de celles de son pays. Des chameaux des populations goranes du Sahara à l’évocation historique des subventions intéressantes octroyées par Louis XIV aux hommes de culture, Itoua-Ndinga se fait aussi porte-parole des traditions de son terroir en évoquant avec fierté et vénération les valeurs héritées de son défunt père, mais avec une attitude quelque peu superstitieuse.

La tonalité épique de ce roman s’allie à l’intertextualité. Par l’évocation de ses lectures, l’écrivain met en évidence sa vaste culture littéraire. Ainsi on retrouve disséminés à travers le récit des titres et des auteurs comme Le Diseur de vérité d’Ahmadou Kourouma, L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Le Livre de ma mère d’Albert Cohen, La Poétique d’Aristote, la lettre d’Épicure à Ménécée, Milan Kundera, Camus, Proust, Sartre, Jacques Rabémananjara, Eschyle, Sophocle, Euripide, Alain Mabanckou et Honoré de Balzac.

Une intrusion de l’auteur semble expliquer le sens de son goût de la vraisemblance : « Cependant, au réalisme du roman, je voulais ajouter une petite pointe de sel du naturalisme. Cet indice anthropologique et journalistique de l’écriture m’intéressait beaucoup et me donnait du zèle. » (p. 114) Effectivement, c’est ce manque de lyrisme et de romantisme qui rend moins suave la lecture des premières pages de ce roman. Un livre dont on perçoit la quintessence et la littérarité qu’au bout de la lecture. À la manière de Jean-Paul Sartre, « l’écrivain a choisi de dévoiler l’homme aux hommes ».

Ces premiers jours dans la France de Jospin et de Jacques Chirac sont faits de fuite des tracasseries policières, de problèmes de logement et de difficultés à trouver un emploi décent. L’austérité de la vie professionnelle ne lui permet guère de se consacrer à ses activités intellectuelles. La politique française au temps de Jean-Marie Lepen et de Nicolas-Paul-Stéphane Sarkozy ne présage pas non plus une situation meilleure.

Quant à la question du racisme, l’auteur attribue ce travers à une minorité de « Français attardés », comme on peut le constater partout chez les sujets non évolués de toutes les races. Pour lui, la France est un État respectueux des droits universels. Il s’insurge plutôt contre ses compatriotes inciviques qui se livrent sans gêne à la délinquance. « Je suis donc différent de vos prétendus Parisiens, qui ne sont que de gros vendeurs d’illusions. Ils vous donnent l’impression d’avoir réussi en France ou en Europe, mais dans la réalité ce sont des faussaires, des contrefacteurs, des aigrefins de renom et des spécialistes des gardes à vue et des bracelets électroniques. Maman, voudrais-tu voir ton fils adoré être renvoyé à Brazzaville les chaînes aux pieds comme un malfaiteur ? » (p. 110)

Loin d’apporter des solutions aux maux qui intéressent le microcosme africain, Itoua-Ndinga se livre à un chapelet de pourquoi, comme « Pourquoi les Chinois, Indiens et Turcs, récemment arrivés en France, s’insèrent-ils mieux que nous qui avons plus de 30 ans d’implantation ? » (p. 118)

À titre informatif, Itoua-Ndinga est enseignant de lettres et animateur d'ateliers d’écriture. Hormis les deux romans évoqués, il est auteur de deux pièces de théâtre, Le Banquet de Nganga-Mayélé et Les Muselées.

Le roman Maman, je reviens bientôt est disponible à la librairie Les Dépêches de Brazzaville.

Aubin Banzouzi