Les Dépêches de Brazzaville : Si, dans l’ensemble, la littérature congolaise est reconnue au-delà de nos frontières grâce aux productions de ses grands auteurs Henri Lopes, Emmanuel Dongala et les plus jeunes Mabanckou, Nsondé… Peut-on affirmer qu’en 60 ans la littérature congolaise est arrivée à son apogée ?
Mukala Kadima Nzuji : Il n’y a ni de grands ni de petits écrivains. Il y a des écrivains tout court. Ce n’est pas parce qu’un écrivain est méconnu ou peu connu qu’il est petit. Ce n’est pas parce qu’un auteur est édité à Brazzaville et non à Paris qu’il est moins important. L’histoire nous apprend que souvent les écrivains qualifiés de mineurs se sont révélés des écrivains majeurs avec le temps. Tous ceux qui écrivent et publient contribuent à la redéfinition permanente du corpus littéraire d’un pays. Chaque écrivain a sa part et sa place dans ce corpus selon son travail d’écriture, son talent, sa sensibilité, ses perspectives esthétiques. Pour répondre sans détour à votre question, la littérature congolaise de langue française est venue à maturité, à telle enseigne qu’elle devient l’objet de son propre discours. Il suffit de voir le nombre de travaux universitaires, de colloques, d’études qui lui sont consacrés pour s’en rendre compte.
Soixante ans de littérature, mais le monde de l’édition souffre encore. Il se pose quand même de sérieux problèmes de diffusion et de circulation du livre. Les écrivains les plus connus sont ceux qui publient dans l’Hexagone. Finalement, sous quel angle les soixante ans de la littérature congolaise méritent-ils d’être célébrés ?
Il s’agit de soixante ans de littérature et non de l’édition congolaise. La littérature congolaise est la somme des textes, tous genres confondus, publiés par des Congolais. Peu importe que ces textes soient édités au Congo ou ailleurs, par des Congolais ou des étrangers ! Le plus important est qu’ils soient marqués du sceau de leurs auteurs. C’est donc cette somme de textes que nous célébrons aujourd’hui. Je pense que nous sommes d’accord sur ce point. En ce qui concerne les problèmes de diffusion et de circulation du livre, ils sont réels et relèvent du système éditorial. Mais ils sont aussi communs à pas mal d’éditeurs, pas forcément du Sud. Je connais beaucoup d’éditeurs d’Europe qui ont du mal à assurer une large diffusion de leurs produits parce qu’ils n’ont pas, entre autres choses, de distributeurs attitrés. Beaucoup de ces éditeurs meurent de leur belle mort ou sont avalés par d’autres plus puissants qu’eux ! Il est difficile pour un éditeur d’assurer la diffusion de ses livres quand il n’existe pas, là où il est implanté, d’agences qui ont vocation de distribuer le livre. L’éditeur ne peut pas tout faire. C’est pourquoi, en ce qui concerne le Congo, il faudra absolument que les hommes d’affaires, à défaut des pouvoirs publics, se tournent vers le secteur du livre et s’y investissent ; ainsi la question de la distribution et de la diffusion du livre pourrait-elle trouver un début de solution. L’expérience d’Afrilivres me paraît prometteuse. Créée en l’an 2000, cette association à vocation panafricaine est basée à Cotonou, elle est dirigée par une éditrice malgache ; son ambition est de jeter les bases d’une excellente coopération entre les professionnels du livre du Sud en vue de favoriser, à travers les coéditions et diverses autres manifestations, la circulation, la consommation et la visibilité des livres et des auteurs édités en Afrique. Les Éditions Hémar que je dirige s’apprêtent à y adhérer. C’est peut-être aussi par cette voie que nous allons résoudre le problème de dépendance intellectuelle et culturelle qui nous caractérise et qui fait que nous n’apprécions que ce qui nous vient d’Europe, quelles qu’en soient les limites.
Soixante ans de littérature congolaise : selon vous, quelles sont les œuvres majeures ayant marqué ces années ?
Je ne suis pas journaliste pour me préoccuper des questions de hiérarchisation et de catégorisation. Pour moi en tant que spécialiste des littératures africaines, les œuvres se valent étant donné que chacune d’elles nous apporte sa part de rêve et d’humanité. Je les traite donc avec les mêmes outils, d’autant que, de mon point de vue, toute œuvre sécrète ses propres critères d’appréciation. Je m’interdis par conséquent d’apprécier, comme font beaucoup de personnes, une œuvre à l’aune d’une autre. Je réponds à votre question en disant que toutes les œuvres connues et moins connues ont marqué et continuent de marquer, chacune à sa manière, la littérature congolaise de langue française. Ma réponse vous déçoit, j’en suis sûr. Je vous comprends. Mais je ne peux pas dire autre chose que ce que je pense au plus profond de moi.
Quel regard portez-vous sur le paysage littéraire congolais depuis le début des années 2000 ? La production de ces dernières années se démarque-t-elle des précédentes ? La qualité littéraire est-elle au rendez-vous ?
Un regard positif que justifient une production littéraire abondante et de qualité, la présence sur le sol congolais des maisons d’édition dynamiques, un lectorat qui se constitue, la création d'espaces de rencontres et d’échanges d’idées et d’expériences. La production de ces dernières années, tout en s’inscrivant dans la continuité en ce qui concerne les thématiques, s’ouvre aux expériences littéraires en cours sous d’autres cieux. Par conséquent, elle se renouvelle constamment tout en demeurant enracinée dans l’humus congolais.