Le nouveau festival Tazama « deviendra une plaque tournante du cinéma féminin en Afrique », selon Claudia Haïdara Yoka

Vendredi 3 Janvier 2014 - 19:24

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Tazama veut dire voir, apercevoir, constater, sentir, observer en swahili. C’est le nom d’un nouveau festival de cinéma dirigé par Claudia Haïdara Yoka. Pour cette première édition, qui débutera le 6 janvier à l’Institut français, les revenus seront versés à une fondation de lutte contre le cancer en vue de construire une pédagothèque. Des femmes cinéastes de renommée sont venues de dix pays d’Afrique pour célébrer à Brazzaville le septième art dans toute sa diversité

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Comment le projet du Festival Tazama est-il né ?

Claudia Haïdara Yoka (CHY) : Tazama est un festival de cinéma de la femme africaine. Il est né d’une quête personnelle, car j’ai fait la promesse à ma mère qui est née le 12 janvier de fêter ses 70 ans avec faste. Malheureusement, elle n’a pas vécu jusqu’à cet âge, mais elle disait vouloir plein de femmes réunies autour d’une cause pour cet anniversaire. Pour lui rendre hommage et respecter une de ses dernières volontés, il était nécessaire pour moi de réunir des femmes autour de la lutte contre le cancer. J’aime la culture et le travail des femmes en général, ce qu’elles sont capables d’apporter dans le milieu culturel. Alors je me suis rendu compte qu’on connaissait très mal le cinéma féminin africain et je me suis donné pour objectif de faire ce festival.

LDB : Sur quels critères avez-vous choisi la dizaine de femmes cinéastes qui participeront à cette édition ?

CHY : Notre un critère a été l’excellence, et qui dit excellence dit distinctions. Toutes les femmes qui participeront à cette édition ont reçu des prix pour les films qu’elles ont faits. Elles ont le souci de faire les choses dans les normes mais surtout d’exceller. Nous avons également retenu des films forts de femmes traitant de sujets d’actualité : il était vraiment nécessaire qu’elles soient là.

LDB : Quelle programmation avez-vous prévue pour cette première édition ?

CHY : Nous recevons une dizaine de femmes avec des sujets sur la traite de l’enfant, sur Calypso, une diva hors pair. On a des sujets qui interpellent, portés par des artistes venus du Nigeria, du Cameroun, du Gabon, de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Sénégal, du Maroc, du Congo et de la République démocratique du Congo. Je pense vraiment que chacun va y trouver son compte. Le challenge est de divertir les spectateurs en leur faisant prendre conscience que, derrière ce festival, il y a une maladie à combattre.

LDB : Il existe partout en Afrique de festivals de cinéma de grande envergure. Pensez-vous que Tazama vient combler un vide à Brazzaville ?

CHY : En juillet 2003, nous avions tenté l’expérience avec le festival Écrans Noirs pendant une semaine. Il y avait une demande et elle demeure pour ce genre d’activité. Écrans Noirs s’est arrêté par manque d’appui et de soutien des autorités publiques et privées. Un festival de cinéma doit être soutenu, il y a une demande et on pense que Tazama, dans sa particularité de s’adresser aux femmes, apporte quelque chose de nouveau. Je crois d’ailleurs qu’il est le premier festival féminin soutenant une cause. Et je pense que ce festival deviendra une plaque tournante du cinéma féminin en Afrique, car à Ouagadougou, il existe des rencontres de femmes cinéastes, mais Tazama peut se démarquer par sa particularité.

LDB : Pourquoi avoir choisi Last flight to Abuja de Obi Emelonye en film d’ouverture ?

CHY : le film d’ouverture a été choisi pour deux raisons : nous l’avons programmé parce qu’il a connu un succès retentissant car il raconte l’histoire vraie de l’avion qui s’est écrasé entre Lagos et Abuja dans les années 2000. La deuxième raison c’est qu’en ce moment, les actrices nigérianes ont le vent en poupe : il existe une nouvelle génération d’artistes dans ce pays tout comme il existe une nouvelle manière de filmer. La qualité des films nigérians actuels est exceptionnelle. Ce sont des films sur lesquels on peut miser du fait qu’ils s’exportent aux USA et il me paraissait important de commencer ce festival avec des films qui montrent que le cinéma africain est en train de sérieusement évoluer. Son réalisateur a été invité, car il a une façon très particulière de filmer la femme. Il la sublime et le sujet de la conférence étant l’artiste africaine des indépendances à nos jours, je pensais qu’il fallait rendre hommage à Céline Loader, une grande actrice nigériane.

LDB : Qu’avez-vous prévu pour pérenniser ce festival ?

CHY : Je ne sais pas encore. C’est une aventure très éprouvante qu’il serait difficile de réitérer si nous ne sommes pas accompagnés par des partenaires. Nous allons certainement laisser passer une année et ensuite revenir, mais pas dans le même pays : ce sera probablement un festival itinérant. Après la première édition, j’ai dans l’idée de tourner dans un autre pays d’Afrique : on va essayer de créer les conditions et d’aller vers les pays qui sont culturellement engagés, car on ne peut pas être artiste au Congo et se sentir valorisé.

LDB : Pourquoi n’avoir mis que des films documentaires en compétition ?

CHY : Parce qu’à côté des fictions, les femmes font des films documentaires qui attaquent les vrais sujets : elles font avancer les choses et participent à la prise de décision. Nous nous sommes limitées aux deux Congo, nous avons reçu des films du Rwanda, du Burkina, mais on ne pouvait pas tout embrasser pour la première édition et nous avons pensé qu’il était nécessaire que les deux Congo soient ensemble sur plusieurs projets documentaires.

LDB : Il est aussi prévu une partie consacrée aux « Hommes du Festival »…

CHY : Si je fais du cinéma aujourd’hui, c’est grâce à deux hommes : le général Dabira qui m’a boosté lorsque je lui ai dit que je voulais faire un film alors que je n’en avais jamais fait. Le second est Bassek Ba Kobhio car il m’a ouvert le circuit des festivals de cinéma. Après, il y a Rasmané Ouédraogo, qui est un père pour les artistes africains, car jamais il ne se tient à l’écart d’un projet, qu’il soit cinématographique ou non : il est toujours partant et lorsqu’on avance, il faut savoir remercier et s’entourer des bonnes personnes. Mon réseau africain est essentiellement composé d’hommes. Serge Abessolo, par exemple, a joué dans plusieurs films. Il a ce talent d’entrer en contact avec le public congolais : je l’ai vu sur scène en stand-up. Il est à la fois comédien et producteur et lorsque je rencontre des gens pareils, j’ai envie de les emmener chez moi. Guy Kalou est l’acteur ivoirien dont on parle en ce moment. J’aime tout ce qui est bon pour mon pays et une fois que j’ai repéré les gens qui peuvent influer sur notre façon de faire les choses artistiquement, je les invite.

Hermione Désirée Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Claudia Haïdara Yoka (© DR).