Jean-Baptiste Tati-Loutard : une vie poétique éternelleSamedi 5 Juillet 2014 - 0:15 Le ver à soie naît poète, et c’est dans l’ordre des choses en histoire naturelle. L’homme ne le devient, quant à lui, qu’à partir d’une ascèse sur lui-même et un commerce assidu avec les mots, ainsi que ce regard aigu transfiguré par cette écologie subtile entre les mots et les choses dont il fait, désormais, son métier Jean-Baptiste Tati-Loutard essayait d’enfermer la vie dans une sorte de bulle dont la matière était faite de cette chimère d’écorce versicolore qui éclate au moindre contact avec les pépins de la réalité. Et qui, si elle n’a pas explosé en une myriade de problèmes nés de ces pépins, vous maintient dans une sorte d’apesanteur qui serait aussi, pour le profane, le siège de la parole poétique en la poésie. Encore faudrait-il, à supposer que l’on se mette à écrire sous de tels auspices, apprendre à sauter les silences. Sans quoi, comme de bien entendu et sans malice aucune, elle vous explose à la figure et vous mène droit à l’hospice pour vos cent coups férir et voir flétrir la vie des fleurs au jardin de Tarbes. La fleur de papayer suspend ses sporanges au bout d’une chimère de tige verte dont le creux sert aussi bien à la musique qu’à la poésie. Et, très tôt, l’enfant s’amuse à titiller ses deux muses. Des bulles de savon que son souffle expulse de la tige, il donne ainsi naissance à des milliers de mondes éphémères, certes, mais qu’il a vite fait de peupler de ses fables. Tout le jeu, une fois adulte, consistera à retenir cette grande leçon de pataphysique qui permet de maintenir la bulle intacte dans le champ de la métaphore. Par exemple, en la tenant coincée au bout de la tige de papayer, avant que le souffle poétique ne l’expulse et qu’elle s’envole – bateau ivre ou oiseau livre – jusqu’à cette évanescence dont le néant s’honore d’être le pourvoyeur, s’évapore et puis s’en va. D’où cette leçon étrange que La Vie poétique tirera comme conséquence quant à la fable de l’homme... Le ver à soie naît poète, et c’est dans l’ordre des choses en histoire naturelle. L’homme ne le devient, quant à lui, qu’à partir d’une ascèse sur lui-même et un commerce assidu avec les mots, ainsi que ce regard aigu transfiguré par cette écologie subtile entre les mots et les choses dont il fait, désormais, son métier. La poésie de Tati-Loutard naît de l’observation ténue des phénomènes de la nature. Par eux-mêmes, les éléments n’ont aucune consistance poétique : même belle, la réalité reste brute, et cet état de nature ne saurait constituer une fin esthétique en soi. C’est, cependant, la rencontre entre cette réalité brute et son intellection à travers le langage, à partir d’un traitement particulier de la syntaxe, des mots et des sonorités, que cette réalité va prendre une dimension nouvelle dont jaillira, à la lecture, à l’écoute, cette étincelle magique qui fait naître l’émotion esthétique et qui n’existe nulle part ailleurs dans la nature. La métaphore n’est possible qu’à partir d’une relation d’analogie propre au langage humain. Comme telle, elle ne peut donc s’inscrire que dans le champ de la culture. Voilà sans doute pourquoi, en tête des aphorismes de La Vie poétique, l’on trouve cette curieuse enseigne lumineuse : « La poésie n’existe que parce que la nature est imparfaite. » Pour mieux comprendre le phénomène du sentiment poétique, peut-être faut-il recourir à une autre analogie : celle, par exemple, que la psychanalyse a baptisée du concept de « sublimation ». Cette forme de catharsis inconsciente, nul doute qu’en sa fonction même elle ne trouve à s’employer en poésie. Elle travaille à une manière de transfiguration du réel extralinguistique pour opérer, salutaire face au spleen intérieur et aux désordres du monde extérieur, la catharsis suprême. Celle qui, inlassablement et au quotidien, opère la mue de l’âme sertie de bleus (comme une outre percée d’où coulerait mainte larme), en alarme d’un bonheur qui va poindre du fait de cette illumination poétique. Elle s’invente aussi une cosmogonie intérieure et qui, mieux que les traités scientifiques, apaise l’âme tourmentée par mainte mythologie ou quelque quête des origines. C’est « la danse et le songe », c’est « l’outarde éjointée », c’est « le concert matinal », c’est « la terre en semailles » et c’est toute « la vie poétique » dans la splendeur de sa syntaxe et la hauteur de ses vues. Raphael Safou-Tshimanga |