Jean-Baptiste Tati-Loutard : l’identité congolaise au carrefour des rencontres pluridisciplinairesSamedi 7 Juin 2014 - 1:15 La lyrique de Jean-Baptiste Tati-Loutard se présente comme étant une expérience personnelle et une expérience du monde. Son œuvre est avant tout une expérience de vie, de ses racines, de ses origines, de sa mémoire. Les faits vus et vécus constituent « la nourriture terrestre » de l’artiste qui écrit dans une sorte d’« élan vital » L’expérience du monde est très importante, compte tenu des racines, des événements et des personnes qui ont marqué la vie du poète. Il construit son propre univers et forge un nouveau langage et une nouvelle langue. Sa manière d’écrire et son « art poétique » mêlent de l’hermétisme d’inspiration mallarméenne, de l’onirique surréaliste, du sens ludique associé aux légendes et mythes africains. Mais en esquissant, métaphoriquement parlant, la « recette » de la poésie de Tati-Loutard, il faut souligner deux fois le cachet entièrement congolais de son œuvre. L’écrivain congolais prouve que la création peut enregistrer des fluctuations dans son évolution et des influences qui se matérialisent parfois dans le besoin de renouvellement, de recherche de formes originales. Il en résulte donc une poésie moderne qui cherche par l’intermédiaire du mot à réaliser des lieux secrets entre le moi créateur et le lecteur. Il serait impossible d’aborder la notion d’identité congolaise présente dans l’œuvre loutardienne sans la mettre en relation avec le milieu social congolais et les déterminations qui tiennent des repères continentaux. Tati-Loutard n’essaie pas de définir la culture de son peuple, car il ne donne ni définitions, ni images déjà faites, construites dans le creuset de l’imaginaire congolais ; il préfère vivre avec discrétion et d’une façon personnelle les réalités congolaises, le passé et ses expériences. Pour Tati-Loutard, les influences qu’il reçoit de l’extérieur sont imaginées sur une vaste scène où il est metteur en scène, acteur et porte-parole de ses compatriotes ; il restitue les drames et les déchirements vécus dans sa communauté. De même, Tati-Loutard arrive à rendre la dimension vécue de ce qui constitue précisément une culture et à libérer l’initiative collective et la créativité individuelle des contraintes imposées par le pluralisme culturel inhérent à tout processus d’évolution. Son intention n’est pas celle de « dénicher » cet endroit où se « cache » l’identité congolaise, parce que l’identité culturelle est vécue, indépendamment, par chaque individu de son pays ; elle est partout : dans les choses et à travers les choses. Tout lecteur de l’œuvre loutardienne s’apercevra vite et sans difficulté que le poète exploite l’espace congolais jusqu’à lui intégrer progressivement les éléments significatifs d’une esthétique de l’oralité, à savoir les légendes racontées au pied de l’arbre à palabres, les divers usages sociaux de la parole poétique qui constituent autant de formes d’expression de l’identité culturelle. En ressuscitant l’espace d’autrefois, en parlant d’une façon bien suggestive et en investissant les mots de toute leur force significative, le poète touche à la conscience historique et nationale de tout Congolais. Au-delà de cette réception nationale, la création artistique de l’écrivain est ouverte à toute autre lecture extérieure ou étrangère parce qu’elle vient à l’encontre de l’horizon d’attente d’un public provenant d’autres coordonnées géographiques. Le déchiffrement du message est possible grâce aux interférences culturelles – réalité incontestable dans le paysage culturel international. L’environnement est réinventé afin de reconstituer, symboliquement, l’unité perdue. L’aventure de l’individu dans le temps s’organise selon l’espace, parce que la période de vie correspond à un lieu « depuis » l’enfance, en passant par l’adolescence et la maturité pour aboutir à la mort : « Congo ! rêve caressé toujours retardé / Dans mes longs jours d’Europe et d’ennui. / Je ne sais ... je te précède ou te suis ? / J’avance dans une clarté pire que la nuit/ Le soleil n’éclaire que des lacunes. » (Racines congolaises – Retour au Congo) Le pays, le village natal, le foyer, les figures familières, le fleuve, l’arbre séculaire ramènent le poète à l’âge de l’enfance – un temps mythique, quand il se sentait bien protégé. De la concentration de son intimité la plus profonde, le poète fait surgir dans son œuvre son moi véritable – somme de son identité, de ses rapports avec autrui et de l’identité culturelle congolaise. Tati-Loutard développe toute une poétique du foyer, du cadre familier, ou des légendes racontées à la tombée du soir sur l’estran. En outre, l’identité de l’écriture congolaise est soutenue d’une manière cohérente par tous les écrivains provenant du même espace. Le dialogue avec la culture de l’autre et l’influence de l’expérience de l’autre sont présents partout dans l’espace littéraire congolais, mais il y a un dénominateur commun qui indique la direction à suivre par tous les écrivains, comme l’affirmait d’ailleurs Tchicaya U Tam’Si : « Il faut appartenir au monde qu’on fait soi-même, on au monde qu’on fait pour nous. » On le voit bien, il n’y a pas dans la lyrique loutardienne des enjeux identitaires et culturels déclarés, mais abordant tel ou tel aspect de l’imaginaire il touche subrepticement à celui congolais. Cristina Popescu-Roesch |