Interview. Yekima de Bel’art : « Les années Zaïre, c’est d’abord notre histoire à tous »Lundi 7 Mai 2018 - 16:45 Le 4 mai, le slameur a sorti le clip de son dernier single, "Les années Zaïre". Découvert par le grand public au travers de sa précédente vidéo, "Je te présente Kinshasa", décrite comme une carte postale sonore de la capitale. Le soldat du slam ou encore l’afroslameur, comme il aime à se faire appeler, a créé une sorte de nostalgie auprès des Kinois de sa génération à qui il a proposé une promenade allant de la Kinshasa de son enfance à celle d’aujourd’hui. Dans "Les années Zaïre", il s’offre une nouvelle escapade dans le passé dont il a bien voulu partager les contours au travers de cette interview exclusive avec Le Courrier de Kinshasa, à quelques heures de sa sortie suivie de près par ses fans.
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Que répondriez-vous à qui vous qualifierait de grand nostalgique ? Yekima de Bel’art (Y.B.A.): Grand nostalgique non ! Je pense juste que l’on devrait normalement raconter notre propre histoire selon que nous nous l’avons vécue. Et cela incombe aussi bien aux gens de la presse, aux écrivains congolais, à nos médias tous si distincts (affiche, internet, radio, télé, ciné, presse), ou peut-être plus, qu’aux artistes toutes disciplines confondues, aux musiciens qui singulièrement associent le sonore, le textuel et le visuel. « Si tu veux contrôler ton peuple, commence par contrôler sa musique », disait Platon. Et si nous laissons trop souvent les autres raconter à notre place, et à nous, et au monde entier, notre propre histoire, alors ils se feront le plaisir de ne nous exposer que ce qui leur plaît, bien ou mal. Ainsi, la mémoire collective risque de retenir grâce à un film, grand support informatif d’ailleurs, que Lumumba serait décédé à cause de sa femme, parce que le réalisateur a voulu passer subtilement ce message-là. Croyez-vous que cette partie du film ait été déposée là au hasard du scénario, ou plutôt qu’elle a été tournée comme ça à dessein, sachant l’influence que cela pourrait avoir dans l’appréhension du cinéspectateur lambda ? Bien au-delà de la musique et de l’innovation que cela apporte, notre histoire par nous est l’un des éléments motivateurs du titre "Les années Zaïre". L.C.K. : "Les années Zaïre", est-ce un devoir de mémoire ou un soupir qui traduit votre dépit face à un amour perdu ? Y.B.A. : (Rire) Amour perdu, hum, je ne le dirai pas comme cela ... "Les années Zaïre", c’est d’abord notre histoire à tous, on ne saute pas une période donnée quand on va à la rencontre de l’histoire d’autres pays ou quand elle nous est racontée, pourquoi sauter chez nous quand on est chez nous ? Qu’en est-il du devoir de mémoire ? Il y a toujours sur notre RTNC l’émission des éphémérides que nombre de faits méritent ? Comment, par exemple, oublier le journalisme de Lukunku, Katendi Zola ou Manda Tchebwa, les chansons pas salaces dont on ne se lasse dans le genre "Noblesse Oblige", "Mamou", "Manzili", "Nazoki Molangi", cette guitare de Franco, "Eau bénite" écoutée sur 33 tours ? Comment les jeunes sauront qu’avant les CD, les streamings, les MP3 et les IPods, il y avait les cassettes, les disques vinyles ? C’est ici qu’a eu lieu, le 30 octobre 1974, "The Rumble in the Jungle", le grand combat d’Ali et Foreman au stade Tata-Raphaël ; la Conférence nationale souveraine, comment vont-ils apprendre là-dessus ? Comment oublier Kabo wa Kabo ou Kangala Machine de guerre ? Ndaye, Kabongo Ngoy, Mamale, Korando ? Je veux raconter à mes filles qu’avant les "Novelas", il y avait "Dona Beija", "Linda De Suza", à mes garçons comment j’adorais "X-OR", "Puissance rouge", "Les chevaliers du ciel"," Super Copter", "K2000", I"nspecteur Derrick", "Winchester" ou "Shaka Zoulou" ... À mes bébés que nous, nous avions "Kimbo", "Judo Boy", "Capitaine Flamme", "Dartagnan" (Un Koukoukin Koukoukin), "Clémentine", … Comment ne pas se rappeler à l’heure du make up les tatous de nos mères, les « Lambada », ou « Sopana », « Mobondo », « Kanzaku », « coiffures antennes » ? Comment aussi oublier qu’on a vécu la dictature afin de nous interpeller sur la nouvelle histoire plus belle que celle-là que nous sommes censés écrire ? Spolier toute une culture, celle même qui reste en tête après avoir tout oublié ? L.C.K. : La toque du léopard, qui soit dit en passant vous va comme un gant, était-elle un objet de vos fantasmes d'enfant ? Y.B.A. : (Rire) J’aime vos questions en passant. Un peu oui. Mais, petite anecdote, quand Mobutu ne l’avait pas sur la tête, je ne pouvais pas le reconnaître. Mais du tout. Mobutu, c’est sa toque aussi pour moi. Je suis enfin heureux de l’essayer sur ma tête. Merci du compliment donc. L.C.K. : Serait-ce donc une des siennes qui coiffe votre tête dans ce clip ? Y.B.A. : Je garde ça pour moi. Mystère... L.C.K. : Quelle posture aviez-vous au moment de l’écriture de ce texte... un sourire en coin alors que vous vous perdiez dans vos souvenirs ou un fou rire qui allait jusqu’à vous faire couler des larmes ? Y.B.A. : L’histoire de ce texte est bien plus drôle qu’un sourire au coin de la bouche ou un rire qui ouvre les vannes lacrymales. C’est dire que le 5 septembre 2017, la soirée, oui la soirée, je reçois cette inspiration, un peu comme ça, comme un éclair de génie et je me mets à la retranscrire, je ne sais pas mais je crois que ça pourrait être le verbe exact vu que je copiais dans ce que je recevais car tout vient parfois mais pas toujours de façon claire. Le 7 du même mois, donc deux jours après, je vois sur Facebook beaucoup de publications sur "Les années Zaïre". Je pose la question à mon agent artistique, qu’y a-t-il, on m’a vu écrire ? Si non, ça se fait comment ? Vous connaissez la réponse pour la date du 7 septembre. Une coïncidence ha-llu-ci-nante ! J'ai donc décidé, alors même que mon album avait déjà été clôturé, de l’enregistrer au studio et de le sortir en single dudit album. Je crois que je l’écris en n’étant plus où je l’écrivais, j’ai fait un voyage aussi loin que cela a pu me projeter, me téléporter. L.C.K. : Faire ce clip, comment l’avez-vous vécu... une sorte de reconstitution ou une réécriture qui vous a permis d’enjoliver certaines choses... ? Y.B.A. : Les deux, une vraie heuristique aussi. Enjoliver, hum !... mais pas trop car, à trop mettre de mascara sur l’histoire, elle devient mascarade. Bien sûr que comme il y a du cinéma donc il s’ensuit un peu de fiction. Autre chose, je le dis comme ça, mais ça pourrait être un essai socio-anthropologique sonore et visuel, peut-être que c’est trop dire, je préfère me contenter d’un concept musico-poétique « clippé ». Et si à Thierry Michel il a fallu plus de trois épisodes de chacun 59’ pour raconter cette époque du Zaïre dans le film "Mobutu roi du Zaïre", nous n’avons utilisé que 4’11’’ pour le même exercice de façon concise et plus ou moins précise. L.C.K. : Ce texte est-il sorti tout entier de vos souvenirs ou quelques personnes, parents ou amis, ont-elles fait office d’aide mémoire ? Y.B.A. : L’inspiration oui, merci Seigneur, mais le travail d’après, beaucoup aussi, merci Seigneur. Je ne me contente pas toujours, voire jamais vraiment de la pleine beauté de premiers écrits, je les relis déjà plusieurs fois. Ensuite, je m’amuse dessus et prends mon pied avec. Oui des questions aussi, j’aime faire participer les gens autour de moi quand j’écris. C’est beau. Après, quand ils écoutent le rendu à la radio, ils sont contents. L.C.K. : Quel résumé feriez-vous de votre texte et quelle scène, partie du clip, la traduirait au mieux selon vous ? Y.B.A. : « Les années Zaïre ne sont pas toutes des années à haïr ». Une énigme. Cette phrase, quand on l’écoute pour la première fois, on ne la comprend pas tout de suite. Parce qu’on entend « Les Années zaïre ne sont pas toutes des années Zaïre » (rire). Et on se dit, parce que j’en ai eu des témoignages : « Mais il est fou ce gars, c’est quoi qu’il a voulu dire... ? ». Et quand on la devine ou déniche, alors on dit wow ! C’est le beau résumé. Un punch line qui résistera dans nos mémoires longtemps. Je pense que c’est le moment où j’énumère quelques souvenirs dans le clip. Ça fait rire hein ! Je m’imagine bien la tête que font les gens quand ils écoutent ou voient ça. Au fait, ce sont eux les vrais nostalgiques, pas moi (rire). L.C.K. : Vous parlez de Mobutu et maman Bobi, que vous évoquent-ils ? Y.B.A. : Des personnages d'une histoire que l'on ne peut pas détacher quand on la raconte. L.C.K. : Le maréchal, qui était-il, mieux qui est-il pour vous ? Y.B.A. : C'est mon homo, vu que je suis le Maréslam (rire), donc le maréchal du slam. Il y en a qui estiment que je fais l’apologie ou le panégyrique de Mobutu. Je tomberais donc moi-même, si tel était le cas, dans les Djalelos posthumes. Écoutez, j’ai l’occasion ici de dire : "Les années Zaïre", ce n’est pas qu’un son, pas qu’une musique mais l’histoire de tout un peuple, un moment dans son parcours de citoyen d’une République. Ce n’est pas qu’une danse ou un slogan musical pour le buzz ou scandé de façon opportuniste, c’est la nostalgie de toute une époque vécue par des gens certains, voire encore vivants. Je sais qu’on oublie vite par ici, qu’il faut s'actualiser tout temps dans les esprits : Je suis l’artiste de "Je te présente Kinshasa", un classique et dans cette discipline de poésie et dans la musique de mon pays. Un succès inattendu, passé partout, partagé à foison avec plaisir et sursaut par les Congolais d’ici et de la diaspora, les stars de tout horizon, les Africains congophiles et ceux qui simplement ont apprécié la nouveauté dans la musique ; joué dans des radios et télés locales et internationales, et même retenu pour le tour du monde de la Francophonie diffusé en direct sur Tv5 Monde. Comment rendre fiers son pays, ses amis, son Afrique et notre culture, sans prétention aucune que le témoignage d’un art. Cette carte postale orale, sonore et visuelle faite avec fierté brossant en quatre minutes chrono le portrait de toute une ville et de façon métonymique de tout un pays dans ses principales langues et sa culture. Ainsi, si avec cela, j’étais dans la géographie et l’espace, avec "Les années Zaïre", je nous téléporte dans l’histoire, l’espace, dans le temps. Encore une fois, autant nous cherchons à apprendre l’histoire des autres, autant les autres de partout apprennent la nôtre, ça passe par des livres, en googlant, le ciné, la télé, et aujourd’hui l’AfroSlam par un Congolais. Comme "Je te présente Kinshasa", ce dernier exercice auquel on s’est prêté offre là un nouvel outil pédagogique, didacticiel, une mine de renseignement, les deux pourraient aussi être écoutés dans des écoles et universités, y faire le tour, colloques et forums, est-ce trop estimer ? Dans son heuristique, le chercheur a-t-il aussi besoin d’éléments sonores ?
Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo 1 : "Les années Zaïre"
Photo 2 : Yekima, version du couple emblématique Mobutu-Maman Bobi
Photo 3 : Bandoki, un des romans connus de l’époque Zaïre écrit par feu Zamenga Notification:Non |