Interview. Véronique Joo’Aisenberg : « Redonner envie à la population de revenir au cinéma »

Mercredi 20 Août 2014 - 17:36

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Posant son diagnostic sur le cinéma congolais actuel, le 30 juin, à la clôture de la première édition du Festival international du cinéma de Kinshasa (Fickin), la responsable de la Cinémathèque Afrique du département cinéma de l’Institut français de Paris s’est réjoui d’avoir pris part à l’initiative de Bimpa Production qui, à son avis, « a su conquérir le public ». De quoi motiver les cinéastes à réfléchir sur des contextes de projection,  étudier toutes les formes possibles pour aller vers le public et susciter à nouveau son désir de se rendre au cinéma en dépit de l’absence de salles.

Les Dépêches de Brazzaville  : Comment pourrait-on vous présenter aux lecteurs  ?

Véronique Joo’Aisenberg  : Mon nom est Véronique Joo’Aisenberg. Je suis responsable de la Cinémathèque Afrique à l’Institut français de Paris, la plus importante collection au monde de films africains des années 1960 à ce jour. J’en fais la promotion à l’internationale et je diffuse en non commercial ces films depuis les années 1960 à aujourd’hui. Je participe à beaucoup de festivals qui cherchent des films pour leurs programmations ou à faire des rétrospectives avec des films anciens et actuels, tous les grands prix notamment et les découvertes qui peuvent se faire de pays en pays car tout est intéressant. Cela permet un rayonnement du cinéma africain. En 2013, il y a eu 6 000 projections de films africains dans le monde dans plusieurs festivals dans quatre-vingt-dix pays.

LDB : Votre présence à Kinshasa se justifierait-elle donc par la tenue de la première édition du Fickin  ?

VJ : Oui, j’ai été invitée par le festival. J’étais venue participer aux ateliers et table rondes qui se sont tenues à cette première édition afin de commencer à accompagner avec des idées de sorte à établir les bases des revendications des jeunes cinéastes d’aujourd’hui en République démocratique du Congo.

LDB : À quel niveau s’est situé votre apport à ce premier Fickin ?

VJ : Mon apport a porté sur mon expertise, des conseils à plusieurs niveaux. Ensemble, nous sommes parvenus à créer quatre commissions. Moi, j’ai fait partie de la commission communication et au niveau de la diffusion également je peux apporter mon expérience puisque je suis en lien avec plusieurs festivals. L’ensemble des festivals qui programment le cinéma d’Afrique. J’ai donc fait des suggestions, apporté des idées, des conseils, beaucoup de contacts parce que la mise en réseau est nécessaire. C’est très important que les artistes au Congo ne restent pas isolés, qu’ils créent un réseau, aient des contacts, disposent des bonnes adresses de bons partenaires éventuels qui s’intéressent habituellement au cinéma africain.

LDB : Sur quoi la communication a-t-elle tablé et comment le rôle de cette commission a-t-il été défini  ?

V.J.  : Nous nous sommes très vite aperçus qu’elle était très liée à la diffusion qu’elle touche de très près car pour communiquer, il faut aller vers le public. Donc il faut trouver des lieux de projection, créer des contextes de projection et étudier toutes les formes possibles puisqu’il n’y a quasiment plus de salles de cinéma ouvertes ou qui fonctionnent au Congo. Il est donc impératif de trouver d’autres formes pour aller vers le public et lui redonner envie de venir voir des films. Les solutions préconisées seraient le cinéma en plein air, aller vers les jeunes dans les milieux scolaires, organiser des cinés-clubs régulièrement, continuer cette aventure des festivals, en créer d’autres encore ici. Faire en sorte de redonner envie à la population de revenir au cinéma pour y voir des films.

LDB : Quelle impression le Fickin vous a laissée, auriez-vous à dire au sujet de l’organisation  ?

VJ  : Je trouve que cette première édition du festival a su conquérir le public. J’ai assisté à toutes les projections tous les soirs, c’est allé crescendo. Chaque soir l’on avait encore plus de public que la veille et même ce soir de fermeture, bien que les projections soient terminées, les gens sont encore là et discutent certainement de cinéma. Donc, déjà il y a eu un public très important, je pense bien au-delà de celui espéré. C’est là un premier point très fort. Parce que sans public, l’on ne peut rien faire. Puis, c’était intéressant pour moi de découvrir des œuvres congolaises, des réalisations de la jeune génération mais aussi surtout tous ceux qui étaient là, les cinéastes, les comédiens, les techniciens et tous les acteurs des métiers du cinéma. Et j’ai apprécié que même les plus jeunes ont vraiment envie de développer des projets intéressants et s’accrochent. Qu’ils aient envie de communiquer et d’aller plus loin. Je suis persuadée qu’il y aura une deuxième édition et je l’espère en tous cas.

LDB : En tant qu’experte du cinéma d’Afrique, où situez-vous celui de la RDC  ?

VJ  : Il y a eu des œuvres importantes du Congo dans la génération des années 1960-1970-1980. Cette période a connu de grands cinéastes puis il y a eu une sorte de coma, il n’y avait vraiment plus de création comme cela a été souligné dans les ateliers. En raison de problèmes politiques, de guerres, etc., le cinéma s’est arrêté. Mais aujourd’hui tout repart. Le contexte est apaisé, la création est là, elle n’attend que ressortir et faire des choses. L’on observe vraiment une nouvelle vague de cinéastes congolais avec également des jeunes femmes très intéressantes. Nous avons vu des courts métrages et des films d’animation incroyables. Le Congo avait une tradition de films d’animation et donc là, nous voyons que la jeunesse est repartie dans ce sens, c’est un élément très intéressant parce que le cinéma d’animation est rare sur le continent africain. Et puis, il y a tous ces courts métrages, je pense qu’il y en a beaucoup quoiqu’il y ait encore du travail à faire pour se professionnaliser. Et donc la seule solution serait de continuer à produire abondamment pour se développer. Mais il faut aussi dire que le Congo a obtenu de grands prix, ce qui est un fait très important, avec des films qui se sont vraiment distingués sur la scène internationale. Il y a eu de gros prix notamment pour Viva Riva ! de Djo Munga et les films de Dieudo Hamadi qui ont tout de même reçu plusieurs prix au prestigieux festival Cinéma du réel deux années de suite. Il faut aussi prendre en compte les films de Kiripi Katembo. C’est quand même un signe qu’il y a une création qui a pu s’exporter et qui est donc de qualité. C’est très important, ce sont là des signes précurseurs. Quand des films gagnent des prix dans des festivals à l’internationale cela veut dire que vraiment il y a quelque chose ici et de bons créateurs.

LDB : Personnellement, croyez-vous au cinéma congolais  ?

VJ  : Oui, bien sûr. Je crois au cinéma congolais. Il me paraît important d’ajouter que la France est très heureuse et  très satisfaite d’avoir accompagné le Fickin puisqu’il y a vraiment des créateurs à accompagner. Elle croit que l’initiative va se développer et qu’elle continuera à l’accompagner.

Propos recueillis par

Véronique Joo’Aisenberg à la clôture du Fickin

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Véronique Joo’Aisenberg à la clôture du Fickin