Interview. Pitcho Womba Konga : « L’objectif primordial était d’ouvrir cette piste de possibilités »Samedi 9 Septembre 2017 - 16:55 À la soirée de restitution d’un atelier organisé autour du projet Dramaturgie urbaine né d’un partenariat entre le KVS (le Théâtre royal flamand) et la Plate-forme contemporaine (PC) de Kinshasa, l’artiste venu de Bruxelles s’est épanché sur les contours de cette initiative. Dans cet entretien exclusif accordé au Courrier de Kinshasa le 11 août à Bandal, il évoque la suite de ce travail de laboratoire réalisé en douze jours avec six slameurs et six vidéastes. Le Courrier de Kinshasa : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Pitcho Womba : Je suis un artiste issu du milieu urbain premièrement, ensuite je peux juste décrire les différentes casquettes que je porte : rappeur, slameur, comédien, metteur en scène, réalisateur, directeur artistique et directeur d’une structure qui s’occupe de pas mal de choses liées aux arts urbains. L.C.K. : Laquelle ou lesquelles de ces multiples casquettes êtes-vous venu brandir pendant ce séjour à Kinshasa ? P. W. : Je suis à Kinshasa d’abord pour brandir mon amour pour les artistes congolais, ensuite pour partager avec eux mes expériences qui, à cause de mes différents chapeaux, sont plurielles. Et je trouve que c’est extrêmement intéressant d’avoir ce rapport avec plusieurs types de langage artistique parce que je pars du principe que l’on n’accepte pas la vérité mais que l’on s’y approche en apprenant, en rencontrant de plus en plus de choses et en se connectant à de plus en plus de choses. Je suis donc venu un peu coacher des artistes, travailler avec eux sur la dimension artistique et leur donner de la force mais ils m’en donnent aussi en retour. Ce qui m’a vraiment intéressé ici ce sont les rencontres. L.C.K. : Sur quoi ont-elles porté ces intéressantes rencontres ? P. W. : Elles ont porté sur la dimension artistique des artistes, leur vision de l’art en général, que ce soit dans le slam, l’écriture et aussi dans la vidéo. Ce qui était important, je le leur ai dit, mon rapport à l’artistique est la suivante : Je pense qu’il y a des codes intéressants mais qu’ils sont maximisés à partir du moment où l’on peut les déconstruire. C’est-à-dire apprendre pour apprendre à désapprendre aussi, pour créer des choses nouvelles ou de nouvelles connexions. Pour moi, le travail s’est fait à ce niveau. Par rapport au slam, je sais que le Congo est assez isolé et que la seule connexion réalisée venant de l’extérieur c’était avec Grand Corps Malade. Il était, à mon avis, important de leur dire qu’il existe plusieurs types, manières de slamer et plusieurs directions. Mais que, surtout, le slam, c’est l’expression. Il ne suffit pas seulement d’écrire, il y a un jeu théâtral derrière. Il y a aussi des sentiments, une mise à nu par rapport au public. C’est cela que j’ai amené au niveau du slam. Pour ce qui est de la vidéo, la plupart des cinéastes que l’on a rencontrés font beaucoup de documentaires. Nous leur avons dit que nous partons sur quelque chose d’abstrait : « Nous ne travaillons pas sur la base d’un documentaire, lâchez-vous, amusez-vous. Oubliez les codes que l’on vous a appris à propos de la réalisation d’un documentaire, emmenez-nous quelque chose qui vienne du cœur ». Je pense qu’ils se sont surpris eux-mêmes en voyant les résultats. Ils ont expérimenté de nouvelles possibilités et cela a résonné au niveau du public. Cette expérience est, à mes yeux, super intéressante et enrichissante parce que je me rends compte que c’est dans l’expérimentation que l’on gagne des choses ; en essayant et en trouvant des pistes. L.C.K. : Vos rencontres avec les artistes ont été présentées comme une sorte de laboratoire qui a servi à une expérimentation, quel en est l’objectif final ? P. W. : Dans un premier temps, le laboratoire a servi à voir si nous pouvions arriver au résultat qui a été présenté aujourd’hui. L’objectif premier était aussi de mettre en relation tous ces artistes, slameurs et cinéastes. Comme l’ont reconnu Peter et Anny, ils se voyaient mais ne se connaissaient pas, n’avaient jamais travaillé ensemble. Mais l’on se rend compte qu’au bout de deux semaines de travail, une réelle affinité s’est créée. Plein de connexions se sont mises en place, ils ont réalisé qu’ils devraient plus travailler ensemble et se disent qu’ils ont besoin les uns des autres. Je pense que c’est déjà là une première réussite. Ensuite, l’idée c’est que Roland, le vidéaste, et moi, qui sommes venus de Bruxelles, soyons en relation avec les artistes d’ici. Moi, je me considère toujours comme un pont, je ne me sens pas à cent pour cent comme un gars de là-bas mais en même temps, je ne suis pas non plus à cent pour cent quelqu’un d’ici. Donc, vu que j’ai la possibilité d’être dans cette configuration, j’en fais profiter à un maximum de personnes. L’esprit du laboratoire c’est de dire : « Nous avons des éléments dont nous prenons conscience ». Dans un futur proche ou lointain, je crois, c’est très clair, qu’il en sortira de bonnes choses. Que ce soit un long métrage ou des séries, etc. Utiliser certains slameurs et les mettre en mode comédien, organiser plusieurs choses… Par ailleurs, moi j’ai un festival à Bruxelles qui s’appelle Congolisation pour lequel je vais certainement inviter un slameur ou un cinéaste l’année prochaine et peut-être que pour celle d’après je me remettrai en contact avec eux pour un autre projet. Et, comme je suis acteur aussi, il s’en trouvera peut-être un qui me proposera de jouer dans un film ou alors, c’est moi qui demanderai à l’un d’eux de le faire dans un film que j’ai envie de tourner ici, etc. Donc, il y a plein de possibilités. Et pour moi, l’objectif primordial était d’ouvrir cette piste de possibilités. Après en ce qui concerne ce qu’il y a à faire sur le terrain, il faudrait le voir avec le KVS, parce que dans un premier temps, nous avons été mandatés par le théâtre flamand. C’est ce qui me permet d’affirmer que les films montrés ici vont être présentés au KVS pour donner le retour du travail qui a été fourni ici. Cela va peut-être ouvrir des pistes à des réalisateurs, des producteurs, etc., qui projetaient déjà de travailler au Congo et peuvent se décider à s’y mettre avec l’un ou l’autre artiste dont il aura vu et aimé l’ouvrage. L’ambition c’est de vraiment ouvrir cet espace au monde. Je pars toujours du principe, du concept que l’on est des fils du bled, des enfants du pays pour terminer hommes du monde. Et, je pense que les choses dites, racontées par les Congolais, peuvent aussi résonner dans le monde. Quelque part, nos histoires complètent celles des autres, mais un manque de travail culturel de la part de l’État, du gouvernement fait que des structures belges, françaises, etc., viennent travailler avec des artistes congolais. Ce n’est pas mal, je ne suis du reste pas du tout contre, mais je trouve que ce serait mieux d’installer certaines structures ici, de l’intérieur. La plate-forme de Dada Kahindo est un bel exemple du genre. Je trouve génial que cela existe. Cela est un motif de fierté de voir que des Congolais font aussi des choses ici et croient aux artistes qui sont ici et peuvent faire en sorte que leurs histoires résonnent à travers le monde. C’est un peu une espèce de mission que je m’assigne et que j’ai envie de réaliser. L.C.K. : Ainsi, à vous entendre, il faut s’attendre à la continuité de ce projet… P. W. : Exactement, oui ! Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo 1 : Pitcho Womba Konga lors de la soirée de restitution
Photo 2 : Les slameurs et vidéastes en plein atelier du projet Dramaturgie urbaine
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