Interview. Elisabeth Ndala : « Totally Mégalo a été une parenthèse artistique pendant laquelle j’ai pu penser, dire et exprimer physiquement le meilleur »

Vendredi 27 Octobre 2017 - 17:28

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Originaire de la République du Congo, la fondatrice de la galerie d’art « Bab’s Galerie », située à Paris, s’est mise en scène dans l’exposition « Totally Mégalo » en devenant la muse de 15 photographes durant six mois.  

Le Courrier de Kinshasa : Quel est votre parcours académique et professionnel ?

Elisabeth Ndala : Je suis détentrice d’un DUT de gestion des entreprises et des administrations, d’une maîtrise de sciences de gestion à la Sorbonne et d’un DESS en management de la fonction achats. J'ai démarré ma carrière professionnelle dans le secteur de l'énergie, en tant qu'acheteuse, plus particulièrement dans le nucléaire. J'ai exercé cette activité durant cinq ans. Ensuite, j'ai exercé la fonction de chef de produit marketing qui m'a permis de travailler à la conception de services pour les cibles « particulières» et « professionnelles ». Après dix années dans l'énergie, j'ai décidé de réorienter complètement ma carrière, pour suivre une envie née en 2002. Un bilan de compétence m'a permis d’affiner et de viabiliser mon projet. J'ai entamé un 3ème cycle de gestion de projet culturel. Un stage en galerie a fini de préciser mon projet professionnel : je souhaitais et devais être galeriste. J'ai donc ouvert ma première galerie fin 2012, puis une seconde en 2015 dans le 7ème arrondissement de Paris. J'ai aujourd'hui une quarantaine d'expositions à mon actif et une vraie légitimité dans la profession.

L.C.K : D’où vous est venue l’idée de l’exposition « Totally Mégalo » ? En quoi consistait l’exposition et quel en était le message principal ?

E.N : Après quatre années à la tête de la BAB's Galerie, j'ai fait un bilan des années écoulées. J'étais à mes yeux et à ceux de l’extérieur, une vraie galeriste avec une ligne artistique affirmée et une vraie envie de promouvoir le travail des artistes en qui je crois mais il me manquait quelque chose. J'ai décidé de monter une exposition « différente ». Inspirer en devenant le sujet de travail de quinze artistes photographes, une muse en quelque sorte…Le nom de l'exposition est arrivé comme une évidence, puisque je me lançais dans une expérience artistique potentiellement sujette aux critiques. Il fallait totalement l'assumer, d'où le nom « Totally Megalo ». L’organisation et le planning furent très vite posés. Durant six mois, Je suis devenue « Muse », le temps des séances photos. La règle du jeu : accepter d’entrer dans l’univers fort et singulier de chacun des photographes. Le projet avançant, de nouveaux enjeux se sont faits jour : une opportunité de revaloriser le travail des photographes professionnels, notamment en redonnant ses lettres de noblesse au portrait artistique, à l’époque du selfie roi. L’expérience était plus qu’un projet artistique, c’était aussi une vraie aventure humaine et introspective : une réflexion sur l’image, l’affirmation et l’estime de soi ; se donner l’autorisation de dire « Je » sans culpabilité ; accepter d’abandonner son image à une tierce personne ; accepter le regard de l’autre sur soi et les critiques qui vont avec ; s’interroger sur sa zone de confort, l’envie et la capacité à en sortir… Alors, prendre la pose, sans complexe, sans retenue, faire l’expérience de la fierté, j’ai eu le droit ! "Totally Mégalo" fut une parenthèse artistique pendant laquelle j’ai pu penser, dire et exprimer physiquement le  meilleur, en gardant la trace, le souvenir, comme le rappel de la grandeur qui est en moi..

L.C.K : Combien d’œuvres ont-elles été présentées et que représentaient-elles ?

E.N : Lors de la première exposition, dans la prestigieuse Fnac des Ternes, dix-huit œuvres ont été présentées. Il s’agissait des oeuvres des artistes Eric Ceccarini, Stéphane Thévenon, Brice Hardelin, Emmanuel Barrouyer, Marcella Martial, Quentin Houdas, Sylvie Marletta, Steven Lebras, Rémi Vinet, Séverine Metraz, Vladimir Vatsev, Leidylei Aggoun, Quentin Houdas, Nicolas Obery, Tanahe, Ishen Tlili et les collaborations de Richard Lailier, Les Ailes enchaînées, Djenowa Bijoux. L'exposition a permis de mettre en avant chacun des univers artistiques et de faire ressortir leur singularité avec un fil rouge: moi.

L.C.K : Quel bilan tirez-vous de cette exposition ? Pensez-vous avoir atteint votre objectif ?

E.N : Je pense avoir atteint, voire même dépassé mon objectif car, j'ai inventé une façon inédite d'être galeriste.  J'ai donné de ma personne pour exercer au mieux mon métier. Mais, au-delà de l’aspect artistique, j'ai fait émerger une nouvelle façon de se penser, de s'estimer de façon assumée. En effet, le projet a duré neuf mois, durant lesquels j'ai permis à certaines personnes de se positionner par rapport à leur image et à ce qu'elles pensaient d'elles. Elles se le permettaient parce que je me le permettais. J'ai reçu tout au long du projet des messages allant dans ce sens. Aujourd'hui, je souhaite poursuivre cette démarche qui va au-delà de l'art et de la galerie.

L.C.K : Comment l'art peut-il jouer un rôle important dans la démarche d’estime de soi assumée ?

E.N : Comme je l'ai vécu, être immortalisée par un artiste vous permet de devenir et d’assumer l’œuvre d’art que vous êtes. Cela permet de se rappeler à quel point vous êtes unique et à quel point vous pouvez être inspirant. La photographie devient alors la trace de ce moment d'estime de soi autorisé et assumé.

L.C.K : Vous êtes propriétaire de la Bab’s Galerie. Que signifie ce nom « Bab’s » et quelles sont les activités qui y sont organisées ?

E.N : Bab est un diminutif d'Elisabeth (Elisabeth, Babeth, Bab), c'est donc la Galerie d'Elisabeth, la mienne. C'est une galerie d'art qui expose peintures, photos, dessins, vidéo, danses, chant... L'essentiel étant que les œuvres me parlent et parlent autant que possible de la société. J'aime le fait que l'art soit ancré dans notre époque et permette un échange entre les visiteurs, quel que soit le support.

L.C.K : Vous avez l’ambition d’exercer votre métier de galeriste avec originalité et audace. Qu’est-ce qui, selon vous, fait l’originalité de votre galerie ?

E.N : A travers les expositions que je monte et les artistes que j'expose, je ne me pose pas la question de savoir si « ça se fait ». Je fais et parfois en dehors du cadre que constitue le marché de l'art. La première illustration de cet état d'esprit a été mon installation en banlieue, là où personne ne m'attendait.

L.C.K : Quelles sont les différentes expositions que vous avez déjà accueillies et quelles sont les thématiques qui vous intéressent ?

E.N : J'ai accueilli de nombreuses expositions, je vous en présente quelques-unes qui illustrent mon positionnement : la première « Des femmes », des artistes Juliette Delorme et Midou, m'a permis d’affirmer la place essentielle qu'a la femme à mes yeux. C'était réellement symbolique de commencer par cette thématique vue par un homme et une femme artistes. Il y a eu ensuite « Influences africaines » qui m'a permis de célébrer l'Afrique à travers le travail de dix artistes venus des quatre coins du monde, qui revendiquaient leur inspiration venue d'Afrique. « Art Business » a été l'occasion de m'interroger sur le rapport qu'entretiennent les artistes avec l'argent. Un rapport très complexe. En effet, vingt-trois œuvres ont été créées sur cette thématique. « Street Girl, etc. » a mis en lumière la place des femmes dans l'art et plus particulièrement, dans une discipline très dynamique qu'est le Street Art. Des femmes Street-artistes ont pu montrer toute la richesse de leur univers dans un monde artistique dominé par les hommes. L'exposition « En Corps », a présenté sept approches du corps, à une époque où il est voilé, nié, censuré. L'exposition présentait une déclinaison de corps athlétiques, sexués, déstructurés. De telles expositions permettent de prendre le pouls de la société et de mesurer à quel point les censeurs sont actifs. « Queer », de l’artiste Quentin Houdas, posait une réflexion sur les sexualités alternatives, à travers une exposition photographique qui avait pour but de rétablir, dans leur dignité, des personnes mises au ban de la société. J'ai pu aussi parlé de sexualité au féminin, avec « Eros est féminin » où quatre artistes femmes ont eu le droit, à travers leur art, de faire entendre leur voix sur la thématique du sexe. L'exposition « Des Gosses » avec le commissariat de Beya Gilles Gacha a permis une réflexion sur la place des artistes afro-péens. Tantôt renvoyés à leurs origines et niés dans leur francité, tantôt exclus de la scène artistique dite « africaine », parce que ne vivant pas sur le continent africain. En somme, une place pas toujours évidente à trouver, pour eux, dans le marché de l'art.

L.C.K : Quel(s) lien(s) gardez-vous aujourd’hui avec le Congo, votre pays d’origine, ainsi qu’avec les artistes congolais ?

E.N : Une grande partie de ma famille y vit, je gade donc un vrai lien avec le Congo. Je m'informe régulièrement de ce qui s'y passe. J'ai quelques contacts artistiques là-bas. Je suis tout particulièrement le travail du photographe Baudoin Mouanda. Aujourd'hui, j'aimerais monter une grande exposition mettant en lumière les artistes congolais. Avis aux amateurs et aux mécènes pour concrétiser ce beau projet.

L.C.K : Vous avez quitté votre travail dans le nucléaire pour ouvrir une galerie d’art, arrivez-vous aujourd’hui à vivre de cette activité ? Quel est votre modèle économique ?

E.N : Cela fait maintenant cinq ans que j'ai démarré cette activité. Lorsque j'ai commencé, on m'a indiqué qu'il fallait au moins cinq ans avant d’espérer en vivre. Je commence à trouver l'équilibre mais maintenant, il faudrait que des mécènes, investisseurs et autres soutiens intéressés par ma démarche m'accompagnent pour poursuivre ce que j'ai commencé seule. Sinon, le modèle économique est celui de la majorité des galeries d'art, celui de la commission sur les ventes.

L.C.K : Quels sont vos projets artistiques ?

E.N : J'aimerais que l'on me confie le commissariat d'une exposition réunissant les talents artistiques congolais, pas assez mis en lumière, à mon sens. Mais pour le moment, je poursuis l'aventure Totally Mégalo qui n'a pas encore exprimé tout son potentiel. Je vous donne, d'ailleurs, rendez-vous sur le site, afin de découvrir l'univers qui se construit.

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photo1 Elisabeth Ndala Photo2: Une vue de l'exposition Totally Mégalo Photo L'expo Totally Megalo au sein de la BAB's Galerie Photo4 Une oeuvre de la photographe Monika Nowak dans le cadre de l'exposition

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