Interview: Criss Niangouna ou la relève du théâtre congolaisVendredi 13 Mars 2015 - 10:45 Criss Niangouna, l’acteur congolais, était à l’affiche du spectacle de Sony Congo ou une petite vie bien osée de Bernard Magnier dans une mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté de la compagnie « Deux Temps Trois Mouvements », du 11 au 14 février 2015 au Tarmac, à Paris. Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez joué dans «Sony Congo ou une chouette petite vie bien osée» du 11 au 14 février... Criss Niangouna : Oui, cette année, on fête les 20 ans de la mort de ce grand auteur qu'est Sony Labou tansi. Et il y a un an, jour pour jour, Hassane kassi Kouyaté le metteur en scène Burkinabé m'a parlé de ce projet, en tant qu'acteur de théâtre je ne me voyais pas dire non, d'autant plus que l’immanence de sa pensée me poursuit… Par quel texte avez-vous découvert Sony Labou tansi ? Hou la! La!, je ne saurai vous dire avec précision quand j'ai découvert l'écriture, l’oeuvre de Sony Labou tansi. Et maintenant que vous m'en parlez, tout se mélange dans ma tête. J'ai comme l'impression que Sony a toujours été dans ma vie, dans mon univers. Vraiment. Aussi longtemps que je remonte le fil de ma mémoire, je me souviens d'un roman: «L'État honteux». Ça été le choc, le retournement, le bouleversement, le tsunami... Je me souviens, je faisais déjà du théâtre. Ce livre m'a comme dépucelé. Je n'avais jamais rien lu de pareil avant. Il y'a tout dans ce roman. J'ai lu tout Sony (Je pense avoir lu tout Sony), et pour moi «L'État honteux» reste la meilleure de ces œuvres. Quel est votre grand souvenir de l'auteur? Une fois avec un ami Lukaya qui est aussi comédien, nous sommes allés assister à une répétition de théâtre de Sony. À l'époque le Rocado Zulu Théâtre répétait dans un amphi de l’actuelle faculté des sciences à Brazzaville. Et là, il y'avait Sony au milieu, un petit bonhomme qui ne payait pas de mine, simple et humble qui dirigeait une troupe de pas moins de dix-huit comédiens. Ils étaient là autour de lui à boire ses idées, ses mots, ses phrases, ses élans comme du petit lait. C'était assez impressionnant pour moi de voir tous ces corps en sueur, et Sony au milieu qui parlait, qui expliquait... Cette image ne m'a jamais quitté. Direz-vous comme votre frère, le dramaturge, metteur en scène et acteur Dieudonné Niangouna que Sony Labou Tansi vous a influencé en tant qu'acteur ? Non, je ne dirai pas comme mon petit frère, mais je dirai comme moi je vois, je pense et surtout comme j'ai ressenti les choses. On a tous eu notre part de gifle de la part de cet auteur qu'est Sony Labou tansi. Je dis bien tous, les auteurs, les comédiens, les peintres, les danseurs, les simples lecteurs. Sony a sonné un certain réveil dans le monde littéraire et artistique du Congo. Nous sommes un pays d'auteurs, de grands auteurs, pas besoin de les citer, nous sommes une terre d'écriture, une terre de création artistique....c'est clair. Mais avec Sony, les choses ont pris une autre dimension. Pour moi, Sony c'est le Beckett, le Koltes congolais, c'est avec lui à mon sens que commence le théâtre contemporain de notre pays. Vingt ans après sa disparition, avez-vous le sentiment que le théâtre de Sony Labou Tansi vit encore où il est mort avec l'auteur ? Un auteur ne meurt jamais, il continue à vivre et à nous parler à travers ses œuvres. Sony est parti, mais «La parenthèse de sang, Je soussigné cardiaque, Moi veuve de l'empire, Antoine m'a vendu son destin, Qui a mangé madame d'Avoine Bergotha, Qu'ils le disent, qu'elles le beuglent, La rue des mouches, Une chouette petite vie bien osée...» et toutes les pièces que j’oublie, sont là. Il nous les a mises entre les mains, c'est un héritage qui nous appartient aujourd'hui et c'est à nous de les faire vivre et les faire connaître. Peut-on aborder le théâtre africain sans citer Sony ? Sony est un auteur majeur du continent africain. Il a porté l'exercice de l'écriture à un niveau important, très important. Il est et a été reconnu par ses pairs. Savez-vous que le Nigérian Wolé Soyinka, lui avait dédié son Prix Nobel de Littérature, parce qu'il pensait que c'était Sony qui le méritait. Le texte «Sony ou la chouette petite vie bien osée», est écrit par Bernard Magnier, un français, la mise en scène est signée Hassane K. Kouyaté. Deux acteurs, comédiens congolais, cela montre-t-il l'universalité de Sony ? Je ne sais pas. Cela relève peut-être d'un hasard de casting. Bernard Magnier était l'ami intime de Sony, ce qu'il raconte dans le texte est un vécu qu'il porte. Hassane Kouyaté n'est plus à présenter dans le paysage théâtral africain, et Marcel Mankinta et moi sommes Congolais et avons vu ou connu Sony à travers ses œuvres. Ça ne peut être qu'un heureux hasard. Par contre l'universalité de Sony n'est plus à discuter, au moins chez ceux qui le connaissent. L'auteur a traversé les frontières avec sa verve, sa colère, sa façon de manier la langue française. Je le répète, c'est un auteur majeur de la littérature mondiale. Et le spectacle que nous allons jouer n'a pour objectif que de faire mieux connaître Sony, et aussi de lui rendre un hommage à sa dimension…universelle, bien sûr. Vous êtes né d'un père universitaire, grammairien. Quelle place occupait Sony Labou Tansi dans votre bibliothèque familiale ? Pas une grande place. Mon père me poussait plutôt vers la littérature française. Il n'y avait pas une priorité bien dessinée pour les textes africains à la maison. C'est grâce à une gourmandise, une curiosité personnelle, aussi et surtout grâce au théâtre que j'ai connu l'auteur Sony et ses œuvres. Pensez-vous comme d'autres que Sony Labou Tansi est un auteur méconnu au Congo, mais pas inconnu ailleurs ? En témoigne l'état de l'unique centre culturel qui porte son nom ? Dénommé un Centre Culturel, Sony Labou tansi, c'est bien mais cela ne règle pas tout. C'est l'auteur qu'il faut faire connaître par ses œuvres, par la pratique théâtrale, par des lectures. Nos dirigeants doivent comprendre qu'il faut un vrai programme culturel pour notre pays, au lieu de n'avoir que de ministère de la Culture de nom. Les simples formules ne marchent pas. Quand à Sony, l'auteur, c'est tout un paradoxe ! Il reste un grand auteur mais pas très connu. Même à Brazzaville sa ville. Essayez de passer un micro trottoir à Brazzaville en demandant aux gens s'ils connaissent Sony, je parie que nombreux vous diront-non. Et en France aussi il reste méconnu en dehors du milieu théâtral, chez certains libraires, et chez certains Français amoureux des lettres africaines, ou encore ceux qui ont un pied en Afrique. Le texte de Bernard Magnier ne vise qu'à mieux faire connaître l'auteur. Propos reccueillis par Roll Mbemba Légendes et crédits photo :Photo 1: L'acteur et comédien congolais Criss Niangouna; (Crédits photo: Kinzenguele)
Photo 2: Répétition du spectacle "Sony Congo ou une petite vie bien osée" de Bernard Magnier dans une mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté
Photo 3: Sony Labou Tansi |