Gervais-Hugues Ondaye : « La ville créative est une plate-forme lancée par l’Unesco pour mettre en valeur le potentiel culturel des villes »

Samedi 16 Novembre 2013 - 15:00

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L’Unesco, par la voix de sa directrice générale, Irina Bokova, a consacré la ville de Brazzaville première ville créative de musique au niveau continental. Jusque-là, les Brazzavillois, pour certains, ne comprenaient rien à ce concept. C’est pourquoi Les Dépêches de Brazzaville se sont rapprochées de Gervais-Hugues Ondaye, expert en la matière, qui a conduit la délégation congolaise à Pékin pour défendre le dossier de la ville de Brazzaville lors du sommet mondial des villes créatives de l’Unesco, a expliqué comment ce projet a été mené depuis trois et surtout l'apport de la Sape. Car l’articulation « Musique et Sape » a contribué à la désignation de Brazzaville

Les Dépêches de Brazzaville : Brazzaville a été consacrée première ville créative de musique de l’Unesco. Qu’est-ce que cela veut dire, ville créative ?
Gervais Hugues Ondaye :
Ville créative est une plateforme lancée par l’Unesco en 2004 qui consiste à mettre en valeur le potentiel culturel des villes. Il a été constaté que dans le monde 60% de la population se trouvait concentrée dans les villes. Et donc les villes deviennent des centres de création et également des centres à problèmes. L’Unesco a pensé par ce réseau des villes créatives renforcer la gouvernance culturelle des collectivités locales en les mettant en relation les unes avec les autres à travers des thématiques bien précises. On n’entre pas dans ces réseaux comme on veut, on y entre en choisissant un secteur que vous voulez développer. Il y a le design, le cinéma, l’art plastique, la musique, l’art culinaire. Il y a au total sept thématiques pour lesquelles une ville peut postuler. Et Brazzaville a postulé à ce réseau dans le secteur de la musique.

Pourquoi avoir choisi ce secteur alors qu’il y en a bien d’autres ?
Il y a deux ans, le député-maire de la ville de Brazzaville avait mis en chantier les experts que nous sommes pour doter la ville capitale d’une politique culturelle et d’une stratégie de développement culturel. C’est ce qui fut fait, et dans cette politique de développement culturel de la ville, en dehors de l’instrument de gouvernance qu’est la direction du développement culturel et touristique, en dehors de l’instrument de mémoire qu’est le comité d’histoire de la ville de Brazzaville, en dehors de l’instrument d’accompagnement qu’est le fonds de soutien à la culture de Brazzaville, il est fait mention que la musique est la dominante stratégique de cette politique, autour de laquelle doivent s’articuler les autres activités de développement culturel de la ville de Brazzaville. Et en matière de stratégie, il était question que nous puissions solliciter un label pour mettre en valeur et inscrire Brazzaville dans le cercle des grandes villes culturelles du monde. C’est ainsi que le maire de la ville de Brazzaville a sollicité de l’Unesco de déposer la candidature de sa ville pour devenir ville créative dans le secteur de la musique.

Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur ce dossier et sur quoi vous êtes-vous appuyés ?
Nous avons travaillé sur ce dossier de près de 200 pages pendant trois ans. C’est donc ce dossier qui nous a permis d’arracher ce label. Je dirai que le dossier était articulé autour des points suivants : d’abord sur le plan historique. À ce propos, Brazzaville est le berceau de la rumba africaine, les Bantous de la capitale en sont encore les porte-étendard à ce jour. C’est dire que Brazzaville à un atout important que nous avons mis en place et que nous avons exploité dans ce dossier. Le deuxième atout est l’effervescence musicale de la ville elle-même. Il y a d’un côté les créateurs, des milliers d’artistes, et de l’autre le marché de consommation. En effet, nous avons des night-clubs, bars, dancings… La musique fait partie de l’urbanité de Brazzaville. Au troisième plan de ce dossier, il y a l’événementiel : Brazzaville est la capitale du Fespam, une émanation de l’Union africaine ; il y a des festivals qui sont internationaux pour certains, dont Feux de Brazza, Mantsina sur scène… C’est un aspect important pour nous, et Brazzaville aujourd’hui abrite le siège du Conseil africain de la musique, la branche régionale du Conseil international de la musique, donc partenaire de l’Unesco dans le domaine de la formulation des politiques musicales dans le monde. À côté de cela, il y a une petite particularité qui fait peut-être la différence de Brazzaville, c’est l’articulation « Musique et Sape ». La Sape a été un élément du dossier de candidature de Brazzaville pour que les gens puissent découvrir autre chose qu’on ne trouve pas dans d’autres villes. La Sape est une particularité, et le maire de la ville pense qu’il faut désormais mettre en exergue cet atout culturel en l’articulant avec les grands couturiers du pays pour que la Sape contribue dorénavant au développement de la ville.

Et pourtant un véritable quiproquo a alimenté certains milieux brazzavillois. Bon nombre ont pensé que cette désignation de première ville africaine émanait du passage de la directrice générale de l’Unesco au Congo lors de la célébration de la fête musicale africaine, le Fespam…
C’est faux ! C’est méconnaitre les efforts déployés par le maire de Brazzaville pour inscrire la culture au cœur du développement humain. Je crois que ceux qui ont suivi le discours de la directrice générale de l’Unesco à l’ouverture du Fespam l’ont bien compris. Elle a félicité les efforts fournis par le maire de Brazzaville pour développer la culture. Et elle a informé officiellement le peuple congolais et le président de la République de la candidature de Brazzaville. C’est donc une démarche du maire de la ville qui a bien voulu solliciter l’Unesco pour avoir un regard sur le développement culturel de la ville de Brazzaville, dont le dénouement est la consécration de la ville comme première ville musicale continentale de l’Unesco. De toutes les façons, le Fespam vient d’avoir lieu, alors que le dossier de Brazzaville est peaufiné depuis trois ans. Ce n’est pas de leur faute, c’est peut-être parce que nous n’avons pas voulu communiquer pour éviter les fuites.

Quelle a été la place de l’association Bisso na Bisso que dirige Jean-Baptiste Massamba dans cette belle aventure ?
L’association Bisso na Bisso, il faut le dire, est un petit musée musical brazzavillois. Le maire a déjà fait don à cette association de quelques ordinateurs. Vous allez vous rendre compte qu’ils ont collectionné des milliers et des milliers d’œuvres musicales qu’on ne trouve plus sur la planète, mais à Brazzaville. Cette association fait un grand travail de collecte. L’objectif d’avoir le label ville musicale de l’Unesco est de mettre toutes ces associations en lumière de sorte que les chercheurs du monde viennent y travailler. Le député-maire compte sur la société civile pour que Brazzaville soit connue comme ville musicale. Ce n’est pas à la mairie de faire ce travail, nous, le ferons faire par les associations, mais il y a d’autres actions que nous allons mener.

Quel est l’impact de cette désignation à long terme sur la musique congolaise et précisément sur les opérateurs culturels congolais ?
C’est une plate-forme que nous offrons aux opérateurs culturels. Aujourd’hui par le biais du réseau, ils peuvent être invités par les 34 villes créatives du réseau, ils peuvent développer leur coopération, échanger des projets, des modèles, bénéficier de transferts de compétences, de la création d’emplois dans la ville. Il va falloir que l’on structure totalement le secteur musical de Brazzaville pour qu’il joue son véritable rôle de tête de poule de la politique culturelle de la ville capitale. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls, nous le ferons avec les villes du réseau. L’État doit aussi faire son travail à travers la ville de Brazzaville, les opérateurs culturels ainsi que les créateurs eux-mêmes. Je tiens aussi à noter que les autres secteurs qui n’ont pas fait la candidature de Brazzaville, les cinéastes, les plasticiens, par exemple, ne sont pas rejetés. Tous pourront profiter du rayonnement de Brazzaville à travers ce réseau.

Que reste-t-il à faire maintenant que Brazzaville est consacrée première ville créative de musique africaine par l’Unesco ?
Justement ! Brazzaville a aujourd’hui la lourde responsabilité de porter le label. Et si dans deux ans, nous n’avons pas les résultats escomptés, nous devrons sortir du réseau. C’est pourquoi nous nous sommes déjà mis au travail et avons lancé un appel à candidature pour le logo, parce qu’il va falloir que l’Unesco valide le logo qui va désormais accompagner Brazzaville. C’est lorsque nous aurons le logo que nous allons commencer à travailler. Mais il est prévu une série d’activités pour célébrer cette consécration. J’en laisse la primauté au maire de la ville.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo : Gervais-Hugues Ondaye brandissant le document de 200 pages qui a permis à Brazzaville d’être consacrée première ville musicale africaine. (© DR)