Germaine Acogny : « Pour asseoir notre indépendance, il faut défendre cette danse contemporaine »Samedi 17 Décembre 2016 - 21:30 Du 26 novembre au 3 décembre 2016, la dixième édition de la triennale « Danse l’Afrique danse » a réuni à Ouagadougou plusieurs générations de chorégraphes et danseurs africains. Et parmi ces personnalités africaines qui ont marqué profondément la danse contemporaine du continent, se trouve incontestablement Germaine Acogny, « maman Germaine ». Danseuse, chorégraphe, pédagogue et fondatrice de l'école des Sables, à 72 ans « la mère de la danse africaine » continue d’imposer sa silhouette athlétique, son crâne rasé et surtout son franc-parler dans cet univers en pleine mutation. Rencontre avec une personnalité hors pair qui ne cesse de se mettre au service de la danse en Afrique. Les Dépêches de Brazzaville : Comment se porte l’école des sables ? Germaine Acogny : L’école des sables se porte bien dans la mesure où artistiquement ça va. J’ai passé le relai à mon fils Patrick Acogny parce que, je trouve que la transmission c’est quelque chose d’important. Artistiquement, il assure. Tout va bien parce que je trouve que le dialogue entre les aînés et les jeunes est productif. A un moment donné, c’était moi qui leur conseillait quel livre lire, ou quel film visionné ; aujourd’hui ce sont eux qui me recommandent des choses. C’est extraordinaire. Cependant sur le plan économique, ce n’est pas pareil parce que c’est toujours l’étranger qui nous aide pour la formation des danseurs. Dans ce festival (Danse l'Afrique danse ! Ndlr), c’est la France qui a apporté le plus de moyens. Je trouve que les gouvernants doivent comprendre que pour que nous ayons notre indépendance, ils doivent donner les moyens pour que la culture se développe. Un peuple sans culture est un peuple qui disparait de la carte. Alors, on nous dit la priorité ce sont les hôpitaux, la santé, l’éducation. Mais l’éducation sans la culture n’est rien. Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu ne sauras jamais où tu vas aller. Je trouve que pour asseoir notre indépendance, il faut défendre cette danse contemporaine, cette danse d’aujourd’hui. Pourtant, au lendemain des indépendances on a vu des gouvernements soutenir les ballets nationaux. Cela aurait pu continuer en soutenant l’évolution du secteur … Effectivement. Il y avait beaucoup de ballets nationaux qui allaient dans le monde entier. C’est là qu’on a découvert de nombreux ballets ainsi que tous ces gens inspirés par le Fodéba Kéïta. Et maintenant ? Vous savez, la sud-africaine Nadine Gordimer disait une chose fondamentale, « le budget de la culture devrait être égal au budget de la défense. » Je pense que si nos gouvernements prenaient en compte ce cri que nous lançons, on aurait cette indépendance de création, de visibilité. Parce que c’est toujours la France qui nous fait tourner. C’est vrai, depuis que l’école des sables existe et depuis qu’il y a d’autres centres de formation on a plein de festival. C’est simplement parce qu’il y a un réseau qui se fait entre les jeunes. L’Afrique culturelle bouillonne. Partout les artistes africains n’arrêtent pas de progresser. Cependant, cette épineuse question de l’absence de financement de la création contemporaine par les Etats ne cesse de prendre de l’ampleur. Qu’est ce qui n’a pas été fait et qui devrait être fait pour espérer un véritable sursaut ? Je ne sais pas ! On ne va pas prendre les armes ou aller nous asseoir avec nos casseroles et battre le tam tam. La culture est une arme positive et pas agressive pour réussir. Ils le savent car lorsqu’ils ont des visites officielles, ils demandent des artistes. Donc ils savent que les artistes peuvent défendre les couleurs d’un pays. En près de 50 ans d’engagement dans la danse, vous avez vu beaucoup de choses. A ce jour, quel est votre regard sur la danse et son évolution ? J’ai eu trois générations. Il y a eu Mudra Afrique avec Irène Tassembédo dont je suis très fière. Elle est aujourd’hui à la tête de EDIT (Ecole de danse Irène Tassembédo Ndlr), son école de formation qui lui ne rapporte rien. C’est une belle actrice, elle fait du cinéma et peut gagner beaucoup plus d’argent avec ça. Mais elle a cet amour de la chorégraphie, de la danse et de la transmission. Ensuite, il y a Salia Sanou qui appartient à la deuxième génération. Il fait des créations partout, à travers le monde. Puis la troisième génération est celle que nous voyons sur la triennale. Selon moi, la danse c’est comme du bon vin. Il y a des bon cru, et il y a des moins bon cru. Mais, je trouve que la création se porte bien. Vous ne dirigez plus l’école des sables aujourd’hui. Que faites-vous de votre temps désormais ? Je suis l’ambassadrice de l’école des sables tout comme mon mari Helmut. En même temps, je me concentre sur moi-même puisque je continue à danser. Je passe ma vie à travailler sur moi, à conseiller les jeunes, à répondre à mes mails, trouver des partenaires et à faire mes tournées. Je donne des masters class à l’extérieur de l’école des sables. En ce moment, je suis sur scène avec deux solo créés par Ollivier Dubois. Quotidiennement, je me lève à 6h du matin. Je prends du temps au bord de la mer, je marche dans l’océan une heure avant de faire de la méditation. Propos receuillis par Meryll Mezath Légendes et crédits photo :Germaine Acogny est une figure historique de la danse en Afrique Notification:Non |