Les Dépêches de Brazzaville : Qu’est-ce qui explique votre engagement depuis quelques années à promouvoir les cultures du royaume téké, notamment par le biais de l’écriture ?
Eugénie OPOU : Je suis issue du royaume téké et j’appartiens à l’une des six grandes familles royales (famille Akouatsan) dans lesquelles on puise les rois. Naturellement, dès mon jeune âge j’ai appris au travers des contes et récits de nombreuses choses sur la culture et les croyances du royaume. En grandissant, mon intérêt pour la valorisation de cette culture si riche s’est accru. La tradition africaine en général et la tradition dans le royaume téké en particulier étant orale, Il y avait très peu d’écrits, juste quelques-uns éparpillés mais rien de consistant. J’ai senti un appel pressant, une nécessité d’écrire afin d’apporter la lumière et de pérenniser les valeurs culturelles, morales et éthiques du royaume téké, une des plus anciennes civilisations d’Afrique. Mes écrits trouvent leur source dans ce que j’ai appris à la fois auprès de ma grand-mère et des dignitaires du royaume, de véritables bibliothèques, dans le but de préserver les valeurs culturelles, ce savoir ancestral et de laisser des repères dont bénéficieront les générations futures.
La royauté est dirigée par un homme. Certes il y a la figure très connue de la reine Ngalifourou, cela n’empêche que l’on puisse s’interroger sur la place de la femme au sein de la société royale téké ?
Jusqu’à lors, dans le royaume, on a connu que des rois, Cela ne veut pas dire que cette entité n’est dirigée que par les hommes, loin de là. Il suffit d’y pénétrer pour remarquer que la femme tient une place fondamentale dans le royaume. Par exemple, un roi choisi ne montera pas sur le trône tant qu’il n’est pas reconnu par la reine Ngatsibi, gardienne du temple. La femme est également reconnue détentrice de pouvoirs surnaturels dans le royaume. C’est ainsi que pour les cérémonies des rituels, les jeunes filles vierges et les femmes ménopausées occupent une place privilégiée
On vous appelle reine et pourtant vous n’êtes guère l’épouse du roi ?
Dans le royaume téké, la reine n’est pas automatiquement la femme du roi. C’est une autre organisation. La reine Ngalifourou a été certes la femme du roi, mais elle n’est pas devenue reine simplement parce qu’elle était l’épouse du roi, c’est parce qu’elle a été initiée reine. Sans cette initiation, la femme du roi est la femme du roi sans être reine. À partir du moment où elle est initiée, elle est mise dans la fonction d’une reine. En ce qui me concerne, étant native d’une des six familles royales où l’on puise des rois, je suis ce que l’on appelle « femme-roi ». Cette appellation désigne une femme qui est appelée à être roi et non pas à être reine. Dans la langue téké, roi c’est ounko, « le pont » qui relie un peuple à un autre, une rive à une autre, l’invisible et le visible. Une femme-roi se dit ounko wou oukei.
Comment inscrivez-vous le politique dans vos textes ? Quelles sont les spécificités de votre engagement ?
Il n y a pas plus politique que la culture. C’est mon engagement culturel qui m’a propulsée en politique. On se souvient que la révolution culturelle chinoise a commencé par la culture. Il n’y a pas de politique sans culture, ce serait naviguer dans le vide. La culture est le moteur qui m’aide à avancer. Quand je m’engage en politique, c’est parce que j’ai des causes à défendre et la première d’entre elles c’est la culture.
Au lendemain votre échec aux dernières élections législatives congolaises, vous avez publié un livre où vous revenez sur cette expérience et votre rapport à la politique. Pourquoi ? Avez-vous des regrets ?
Écrire, c’est informer et laisser des traces pour ceux ou celles qui sont à l’affût d’une certaine vérité. J'ai été plusieurs fois élue en France, ce combat pour les législatives au Congo m’a instruite et a fait office d’école. J’écris d’abord pour contribuer à rendre accessible le combat électoral aux femmes et naturellement pour raconter cette aventure, car la campagne est une belle aventure et surtout une occasion de découvrir l’espace riche de notre beau pays. La campagne m’a permis de faire le tour de la circonscription d’Ignié et ses 72 villages, le majestueux fleuve Congo, et m’a facilité la rencontre avec la population. Cela dit, je n’ai aucun regret car j’ai tiré des leçons et mieux encore, j’assume. L’échec emmène toujours des victoires, et lorsque l’on s’engage dans un combat comme la course aux élections législatives, il faut s’attendre à tout.
On voit très peu de femmes s’engager en politique. Comment expliquez-vous cette absence d’engagement de la femme congolaise ?
Il m’est difficile de parler à leur place. Sans doute la peur de l’inconnu peut expliquer cela. Je n’ai pas eu de difficultés à m’imposer parce que j’ai l’avantage d’une expérience de l’organisation des campagnes électorales en France sous mes responsabilités de secrétaire de section du parti socialiste. J’ai l’habitude du fait. Mais la femme doit se battre d’avantage. Ce que je puis souligner, c’est que les hommes congolais sont machistes. Et si ce machisme existe, c’est parce que la femme congolaise ne prend pas sa place. La place ne se donne pas, si l’on attend qu’un homme s’écarte pour nous laisser la place l’on attendra une éternité. Nous devons apprendre à casser la baraque avec intelligence, tact et doigté. L’homme et la femme sont complémentaires. Notre société ne trouvera pas son équilibre tant que la femme sera mise à l’écart des pôles de décision.