ÉpilogueDimanche 7 Décembre 2014 - 13:15 Lancé en 2013, à la faveur de la célébration des 60 ans de la littérature congolaise (1953-2013) et portée par l’association œuvrant pour la promotion de l’exception culturelle congolaise (Agora), avec sa devise Va, va, ta pensée dans les mains, le Salon du livre de Brazzaville a pour vocation de promouvoir le patrimoine culturel congolais par le biais du livre. Sa troisième édition prévue pour les dates du 4 au 8 décembre 2015, avec comme thème général « Le Fleuve Congo et nous », est consacrée à l’émergence culturelle du Congo sur le plan international. Pour ce faire, la maison d’édition Clé sera l’invitée d’honneur, pour avoir édité les premiers écrivains congolais en emboîtant le pas à Présence Africaine. L’écrivain invité d’honneur viendra de la République démocratique du Congo (RDC). La deuxième édition rend hommage à la femme Liss Kihindou ou la voix des Congolaises de plume est celle par qui la littérature congolaise féminine enfante… Pour preuve, ces quelques voyages de l’esprit qui portent les empreintes de Liss. Les femmes s'emparent de la plume au Congo 60 ans après, les femmes du Congo Brazzaville s'affirment sur la scène littéraire. En effet, en 1953 paraissait la première œuvre littéraire congolaise. Il s'agit de Cœur d'Aryenne, de Jean Malonga. Ce roman marque donc l'entrée du Congo Brazzaville dans l'ère de la littérature écrite. Depuis, le Congo s'est distingué, dans toute l'Afrique et dans le monde par le nombre et la qualité de ses écrivains, parmi lesquels on compte Sony Labou Tansi, Tchicaya Utam’si, Emmanuel Dongala, Henri Lopes, Alain Mabanckou. Des voix masculines en particulier, au milieu desquelles on peine à entendre des échos féminins. Au moment où la littérature congolaise célèbre ses noces de diamant, il est intéressant de s'interroger sur la place de la femme dans cette littérature. 1953 – 2013, le soixantième anniversaire de la littérature congolaise ne pouvait laisser indifférents les filles et les fils du Congo. Des festivités se préparent cette année, au Congo aussi bien que dans sa diaspora (France, Canada...), sous la houlette de l'association Agora, via son porteur de projet Aimé Eyengué, écrivain. Sous le nom de « Festivités 60 », elles se donnent pour objectif de mettre en valeur toutes les productions littéraires congolaises de 1953 à ce jour. Pour ce faire, jusqu'à décembre, des rencontres se tiendront, en particulier du 20 au 22 décembre, point culminant des festivités, où, durant trois jours, seront organisés des colloques et des tables rondes, animés par l'intelligentsia congolaise: professeurs d'université et gens de lettres. Pendant ces trois jours, à Brazzaville, la littérature congolaise sera examinée, génération après génération, thème après thème; ses points forts, ses points faibles, ses sources d'inspiration... tout ou presque sera débattu, avec le concours d'un public que l'on espère intéressé et intéressant. Mais les « Festivités 60 » sont surtout marquées par la parution d'un ouvrage collectif, auquel ont participé des hommes et des femmes de lettres du Congo. Les 60 ans de la littérature congolaise, est non seulement l'occasion de mettre en lumière la richesse et la diversité des productions littéraires congolaises, mais aussi de se retrouver les uns les autres autour d'un projet commun, pour consolider les liens et donner encore plus de valeur aux talents respectifs des auteurs. La citation de Martin Luther King, reproduite dans le dossier de presse des « Festivités 60 », est judicieusement choisie: « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » Ainsi, depuis plusieurs mois, les écrivains, les écrivaines en particulier se manifestent, se découvrent ou plutôt se laissent découvrir, et l'on est obligé de faire la remarque suivante: la littérature congolaise ne se lit plus seulement au masculin, elle comporte également une essence féminine de plus en plus forte. Aurore Costa, Emilie Flore Faignond, Liss Kihindou, Marie Léontine Tchibinda, Ralphanie Mwana Kongo, Marie Louise Abia, Marie Françoise Ibovi, Ophélie l'Insondable... Voilà des femmes congolaises que vous prendrez plaisir à lire. Mais il n'y a pas que celles qui ont participé à cet ouvrage, intitulé « Noces de diamant », il y a toutes les autres : Ghislaine Sathoud, Aimée Mambou Gnali, Noëlle Bizi Bazouma, Jeannette Balou Tchichelle, Amélia Nene, Evelyne Mankou Ntsimba, Aleth Félix Tchicaya, Lina Florence Ramona Mouissou, Aurore Foukissa... Les femmes s'emparent de la plume au Congo. Marie-Françoise Ibovi Moulady et sa Rue des Histoires vue par Liss Kihindou Rue des Histoires (Nouvelles, Edilivre, 134 pages, 19 €) est un recueil de vingt nouvelles, tantôt réalistes, tantôt fantastiques, se déroulant principalement au Congo, entraînant le lecteur dans ses différentes villes : Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie, Mouyondzi... chacune est le théâtre des aventures, ou plutôt des mésaventures qui surviennent aux personnages. Ceux-ci, le plus souvent jeunes, doivent résoudre les problèmes qui se posent souvent à la jeunesse, sous tous les cieux : la recherche du travail, les émois amoureux et leurs conséquences, la nécessité de prendre ses responsabilités... Cette dernière question ne concerne pas seulement les jeunes, les moins jeunes également doivent répondre de leurs actes et étonnent parfois par la légèreté avec laquelle ils se conduisent, par leur manque de maturité, on a même envie de dire leur "bêtise". N'est-ce pas bête par exemple de ne pas saisir la deuxième chance que vous offre la vie ? Le héros de la nouvelle intitulée "Le Test" se croit porteur du VIH, c'est ce que disent les résultats que son médecin a voulu lui communiquer en personne. Du coup, il culpabilise, pensant notamment à sa femme qu'il a souvent trompée et sans penser à se protéger, à ses enfants qu'il va laisser orphelins. Finalement, les choses se retournent à son avantage mais ce n'est pas pour autant que, lui, change de mentalité. Marie-Françoise Moulady Ibovi laisse souvent le lecteur tirer les leçons des expériences de ses personnages. Il s'agit parfois simplement de rapporter une expérience, sans qu'il n'y ait forcément une intrigue. Quand il y en a une, elle semble parfois se développer trop vite. La rigueur dans la construction de l'histoire, l'auteure, qui signe avec la Rue des histoires sa première œuvre littéraire, l'acquerra sans doute au fil des publications. J'ai apprécié entre autres "Le portefeuille ensorcelé", peut-être parce que cette nouvelle m'a fait penser au "Veston ensorcelé", de Dino Buzzati. Les deux textes ont beaucoup de ressemblance. Certaines histoires accordent une grande place au dialogue, si bien que, si la nouvelle est la version courte du roman, ces "histoires" de Marie-Françoise Ibovi auraient pu être de courtes pièces de théâtre. Cette hésitation entre narration et théâtre, on la perçoit dans le texte dont la mise en page fait parfois penser à celle des pièces de théâtre. Récit d'expériences propres à faire réfléchir le lecteur, à l'inviter à privilégier l'effort à la facilité, la Rue des Histoires, premier recueil de nouvelles de Marie-Françoise Ibovi, préfacé par Emilie-Flore Faignond, est surtout marqué par la forte présence du Congo. Invitée d’honneur de la deuxième édition du Salon du livre de Brazzaville, Marie-Françoise Moulady-Ibovi est auteure de quatre ouvrages. Deux recueils de nouvelles intitulés « Rue des histoires » parues en 2012 et « Etonnant ! Kokamwa ! » en 2014 ; une pièce de théâtre « l’Imprudence» en 2013, portée sur la scène par la compagnie Zacharie théâtre. Et enfin un recueil de sketchs autour des expressions françaises intitulé « Les z’expressions cocasses » en 2014. Elle est l’initiatrice et co-auteure de l’anthologie des femmes écrivaines du Congo Brazzaville, paru aux éditions L’harmattan en 2014. Marie-Léontine Tsibinda répond à une étudiante appelée Liss Je suis retournée au Congo seulement en décembre dernier. Je l’avais quitté après les guerres de 1997 et 1998, qui nous avaient obligés à user d’astuces pour préserver nos biens. Nous avions par exemple placé la belle vaisselle que nous avions dans une malle que nous avions enterrée derrière la maison. Nous l’avions retrouvée, intacte, avec son contenu, lorsque la vie normale reprit son cours. Des événements que je raconte dans Détonations et Folie. Pour les livres, les dictionnaires surtout, j’étais sûre qu’ils n’intéresseraient pas les pilleurs : lourds, encombrants et trop lents à écouler. Mais quand ceux-ci débarquaient dans une demeure, ils saccageaient tout et emportaient quand même sans réfléchir ce qu’ils pouvaient, se réservant le soin de trier par la suite. Je ne savais donc plus, de tous mes biens précieux : ces livres, ces documents, cette paperasse qui a pour moi une valeur aussi inestimable que des photographies du passé, je ne savais plus ce qui m’était resté, ce qui avait pu être sauvé, ce qu’on avait retrouvé. En retrouvant les miens à Brazza, j’ai eu cette agréable surprise de voir qu’ils avaient bien mis à l’abri, dans cette même malle qui nous avait jadis servi à soustraire certains biens à la convoitise des pilleurs, tous mes documents ! Combien je les remercie ! En ouvrant cette malle, c’était comme si j’ouvrais une boîte pleine de trésors : nombreux des livres qui constituaient mon ancienne bibliothèque, mes documents de la Fac, comme ma carte d’étudiante, les manuscrits de mes nouvelles, certaines publiées dans J’Espère, d’autres inédites, d’autres textes inédits, comme des poèmes, plein de choses qui ont fait ressurgir des souvenirs ! Marie-Léontine et Anniversaire Papoune 334 Dans la malle, je tombe sur des feuilles dont l’écriture n’est pas mienne. Qu’est-ce ? À la lecture des premières lignes, je me souviens ! Je me souviens être allée au Centre Culturel Américain de Brazzaville pour rencontrer la poétesse Marie-Léontine Tsibinda. Je voulais l’interviewer, après avoir lu ses recueils de poèmes. Je ne sais plus si c’était pour le compte du journal Ngouvou que je voulais réaliser cette interview. C’était en quelle année ? Je ne me souviens plus. Je me souviens seulement que Marie-Léontine Tsibinda m’avait accueillie sans problème, en toute simplicité, et vu qu’elle était sur son lieu de travail, je crois que j’avais dû lui laisser les questions et que j’étais allée récupérer ses réponses. Ce sont ces réponses qui figurent sur ces feuilles et que je reproduis ici. On devine les questions en lisant les réponses. La vie nous réserve de ces surprises ! J’ai retrouvé Marie-Léontine sur la toile, grâce aux réseaux sociaux. Nous sommes régulièrement en contact, entre autres à travers le groupe « Femmes écrivaines du Congo Brazzaville », créé par Marie-Françoise Moulady, née Ibovi, ce groupe ouvert à toutes ces femmes originaires du Congo qui écrivent, certaines depuis la première heure, d’autres ayant seulement commencé l’aventure de l’écriture. Mais comme dans la parole des ouvriers loués à différentes heures, que l’on peut lire dans le chapitre 20 de l’évangile selon Mathieu, nous sommes toutes au même pied d’égalité devant le lecteur, notre maître, notre juge, celui de qui dépend notre sort à toutes ! Marie-Léontine et Anniversaire Papoune 335, puis réponses à certaines questions Je ne regrette pas d’être née femme. Je l’accepte. Je suis femme avec mes défauts, mes qualités, mes rêves. Franck Stéphane est mon fils. J’ai été à la fois le père et la mère jusqu’au jour où mon destin a croisé le destin d’un autre poète, aujourd’hui mon époux. Je suis une femme qui se cherche et qui, au contact des autres, apprend à mieux comprendre la vie, avec tout ce qu’elle charrie : chagrin, joie, impuissance, aspiration et espérance. 2) ‘‘Maronda’’ dans la langue de ma mère, le lumbu, veut dire en effet ‘‘merci’’. Et c’est le nom que j’aurais dû donner à mon fils si j’avais été au courant du rêve bien avant sa naissance. Mais l’explication du songe est arrivée bien après, c’est-à-dire en juillet, quand je suis allée à Girard chez mes parents accompagnée de Franck Stéphane. C’est ma grand-mère, Moungayi Marie, morte en 1981, qui a parlé à mon oncle pour annoncer la naissance de l’enfant. 3) Je crois avoir répondu à la question au N°2. Mon oncle Job qui habite à ‘‘Les Saras’’, a rêvé de ma grand-mère. Elle lui disait : ‘‘ne crains rien, l’enfant naîtra, un garçon, au nom de Maronda.’’ 4) Née le 6 septembre 1953 à Girard, je suis deuxième d’une famille de quatre enfants. Nous ne sommes plus que trois. Je suis mariée et mère de famille. Je travaille comme bibliothécaire au Centre Culturel Américain de Brazzaville, pour gagner ma vie et apprendre un peu la littérature et la civilisation américaines à travers les ouvrages de la bibliothèque. C’est un voyage aux facettes multiples à travers les USA. Je suis diplômée de l’Université Marien-Ngouabi. J’ai publié quatre recueils de poèmes et deux nouvelles en participant au concours de la meilleure nouvelle de RFI. Nouvelles : « Quand gronde l’orage », RFI, 6ème concours ; « L’Irrésistible Dekha Danse », RFI, 8ème concours Poésie : Poèmes de la terre, Editions littéraires congolaises, Brazzaville, 1981 ; Mayombe, Editions Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1980 ; Une lèvre naissant d’une autre, Editions Bantoues, Heidelberg, 1984 ; Demain un autre jour, Editions Silex, Paris, 1987. Depuis, Marie-Léontine Tsibinda a publié d'autres textes. Je suis sûre aussi que, si on avait été à l'aire des téléphones aux multiples fonctions comme aujourd'hui, je l'aurais photographiée, mais je n'ai que les images qui se trouvent dans ma mémoire, et l'image la plus nette, c'est celle de ses ongles au vernis transparent, ses beaux ongles dont mes yeux avaient du mal à se détacher ! Briseurs de rêves suivi de Rêves de Brazzaville, d'Aimé Eyengué paru aux éditions (L'Harmattan-Congo, 2012, 104 pages, 12 €) Pour qui a déjà lu Aimé Eyengué, il ne fait aucun doute que cet auteur comporte dans son encrier un fond de poésie qui nourrit souvent sa plume. Mais de là à penser qu'il produirait une œuvre entièrement poétique, c'est ce qu'on ne soupçonnait point, et c'est pourtant ce qu'il a fait en publiant, en décembre 2012, le recueil Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville. C'est un recueil qui invite le lecteur à observer "le babillage et l'habillage de notre monde" (propos liminaire). Et notre monde se caractérise surtout par son altérité, par sa promptitude à transformer les "danses" en "décadences", par son hypocrisie ou plutôt sa perfidie, car sous un masque fait de sourire et de bonhomie, il peut dissimuler l'arme avec laquelle il a l'intention de vous briser. "Briseurs de rêves" dénonce cette société où "L'humanité s'écroule/ La justice recule", une société faite de flagrantes inégalités : "Les pauvres en minuscule, les riches en majuscule". Notre société, au lieu de le fuir, déroule le tapis rouge à "l'ogre financier", de sorte que celui-ci dévaste tout sur son passage, il est même la cause de la décadence évoquée ci-dessus, comme l'illustre le roman de Ralphanie Mwana Kongo, La Boue de Saint-Pierre, où un personnage, époux fidèle, père exemplaire et frère attentionné, voit sa vie muer en cauchemar dès lors qu'il se laisse conduire par cet ogre. Prosternez-vous devant le dieu Argent et vous verrez vos rêves se briser en menus morceaux. L'Argent est, on l'aura compris, un des thèmes principaux de ce recueil, avec la religion et les mœurs. Mais Aimé Eyengué parle aussi de politique, régimes comme figures emblématiques : Le manifeste du silence, C'est aussi le taux d'abstention élevé, le rêve en déclin, Dans les démocraties à l'emporte-pièce. (poème "Le manifeste du silence") Dans Briseurs de rêve, recueil en quatre tableaux, Aimé Eyengué crie sa révolte : contre l'Argent-roi, contre les profanations et les diffamations, contre tout ce qui empêche les libertés de s'épanouir et les enthousiasmes de s'exprimer. Mais Briseurs de rêve est aussi et avant tout un objet littéraire. L'auteur s'amuse avec la langue, avec les rimes, il fait s'entrechoquer les sons pour faire éclater le sens. On l'observe déjà dans les titres des poèmes : "Fa sol la Sida" ; "L’aura Je" ; "Mille milliards de mille Sodome". On peut le voir aussi dans cet extrait, où le jeu avec les pronoms personnels permet la dénonciation de l'ego surdimensionné. Le poème est justement intitulé "Vieux jeu" : Vieux jeu, le je Aigrit le Tu Avale le Il (...) Le "Moi, je" tue Bref, c'est à une dégustation poétique aussi bien que philosophique que nous invite Aimé Eyengué dans Briseurs de rêves. Liss Kihindou
Bruno Okokana Légendes et crédits photo :Photo 1 : Liss Kihindou
Photo 2 : Marie Françoise Ibovi Moulady et sa Rue des Histoires
Photo 3: Briseurs de rêves, d’Aimé Eyengué,
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