Entendre les bruits de la terreVendredi 11 Décembre 2015 - 20:24 « Avant l’arrivée des robes noires dans nos territoires, nos peuples ainsi que la nature, étaient en santé. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus utiliser la farine des roseaux quenouilles comme autrefois pour préparer le pain, parce que les étangs et les lacs étouffent. Les petits fruits n’ont pas les vertus d’antan ; nous ne pouvons plus les utiliser pout teindre nos vêtements. Les femmes n’osent même plus laver leur visage avec l’eau des rivières… Vous ne savez pas encore qui est le diable ? Eh bien, je vais vous le dire. Le diable est celui qui a apporté la destruction avec ses savoirs et ses besoins de domination… » (Témoignage d’un vieil algonquin du Canada, tiré de l’ouvrage : « On nous appelait les sauvages », éd. Le jour, p.23). Il y a longtemps déjà que la beauté du monde est menacée du fait même de l’homme, bien en amont des terribles accidents climatiques et des catastrophes nucléaires. Les assises de la Cop 21 donneront-elles, enfin, les pistes mais surtout l’élan d’une prise de conscience collective, susceptible de ralentir le déclin précoce – déjà trop gravement avancé – de l’écosystème de la planète ? Au cours de ces assises sur la santé de notre terre-mère, des interrogations ont été portées sur les modèles de production et de consommation. On a opposé les pays riches aux pays émergents, articulé des concepts sur la transition énergétique, totalisé des chiffres pour évoquer les gaz à effet de serre, parlé des avancées de la technologie, des modèles politiques et économiques à suivre ou à bannir, disserté sur les changements des sociétés, etc. Le langage aura été celui des savants, des spécialistes, c’est-à-dire celui de la preuve, de la connaissance, de la vérité scientifique. Soit ! Cependant, nous en sommes à la 21° conférence, et sans résultat ou presque ! Et malgré nos connaissances accumulées dans ces différents domaines – scientifiques, politiques, économiques, sociaux, etc. – il est remarquable de constater aujourd’hui à quel point il nous manque l’essentiel : plus que jamais l’homme peine à vivre son humanité. Plus que jamais nous demeurons à la lisière de l’immense parcelle qu’est la vie dans l'univers – la vie, cette offrande qui chaque matin renouvelle ses énigmes et ses merveilles, afin que nul être ne puisse prétendre la conquérir entièrement. Alors, s’interroger sur l’état de notre planète, revient aussi, me semble-t-il, à nous délester de nos savoirs, de nos concepts et de nos références ; le temps d'une méditation, tout simplement. Méditer par exemple sur la portée de cette parole de notre ancêtre algonquin : il est temps d’apprendre à nous éloigner de ce qui nous éloigne du sens de la vie. Elle nous exhorte à nous rapprocher davantage de notre terre-mère, pour être en harmonie avec la nature, en pleine santé, et non dans l’ivresse désordonnée de notre soif de pouvoir, dans l’économisme et le consumérisme. Car l’expérience est là, chaque évènement nous le rappelle : notre source de vie est fondamentalement friable et l’accroissement des activités de l’homme pousse la nature à l'agonie. Là où gémit l’arbre, périt l’homme. L’animal, l’arbre et l’homme partagent la même fragilité d’être au monde. Ce monde dont l’équilibre, dit le poète, repose sur les genoux d’une fourmi ! Méditer par exemple sur le nécessaire dialogue des civilisations et des peuples, tenant compte de leur histoire, du système de leurs croyances et de leurs identités, tout en considérant le monde qui nous entoure comme un seul corps humain, c’est-à-dire une sorte de monade, une même et unique entité dans le cours du vivant. Car l’homme demeure le témoin de l’homme partout sur le globe et les cultures sont là comme autant d’aqueducs qui aident à cheminer dans le partage. Partager, c’est témoigner. Témoigner, c'est partager. Et le dialogue est ce qui aide l’homme à préserver ses multiples mémoires afin d’apprendre à respecter la fragilité inhérente à la vie. Oublier ou renoncer à sa culture, combattre ou dépouiller les traditions de l’autre de leurs possibilités d’expression et d’évolution pour les dissoudre dans une vision monolithique de l’existence, sont autant d’entraves graves à la marche de l’humanité. En somme, la responsabilité incombe à chacun de préserver la part du sacré que recèle la nature et la vie humaine dans sa diversité, pour donner à vivre et à revivre au cœur de l’humanité le bonheur de l’émerveillement – celui qu'accorde naturellement au regard de l’espace infini de la bonté du monde.
Gabriel Mwènè Okoundji,Poète Notification:Non |