« Dernière marche : Kinshasa » : le discours ultime de Dorine MokhaVendredi 24 Juin 2016 - 21:44 Le danseur et chorégraphe katangais installé à Kisangani veut que la performance, sa dernière création en date, présentée à l’entrée de l’Académie des Beaux-arts (ABA) au début du mois soit perçue comme son dernier discours, s’il en eut fallu un.
« Moi, je pense que l’on a tous des choses à dire, les danseurs y compris. Je me dis que si demain c’était le chaos, ou la fin, parce que nous vivons des moments assez tendus dans le pays, que pourrais-je dire alors ? Ça serait cette performance. C’est l’une des possibilités de ma prise de parole en tant qu’artiste », c’est de la sorte que Dorine Mokha a expliqué Dernière marche : Kinshasa aux Dépêches de Brazzaville. Et, pour la petite histoire, il dit avoir commencé à écrire un petit texte un jour d’inspiration. « Dans ces écrits j’essayais de me poser la question de savoir ce que j’aurais envie de faire si c’était ma dernière prise de parole à faire dans une ville. Et au final, peut-être que cela pourrait devenir une performance. », pensa-t-il à ce moment-là. C’est bien ce qui advint quelques mois plus tard. Il décida d’en faire une performance qui s’installerait dans différentes villes avec des artistes locaux. Kinshasa a eu droit à la sienne, la fameuse Dernière marche : Kinshasa exécutée le 9 juin dernier devant l’ABA. Ainsi l’aventure a débuté à Lubumbashi avec quelques danseurs et la fanfare de la SNCC prenait ses quartiers dans la capitale. Invité à Kinshasa, Dorine Mokha nous a dit avoir tout de suite pensé l’y présenter : « Les Journées utopiques, je me suis dit que c’était le contexte idéal pour imposer cette performance ». A un moment de cette pièce de danse, les danseurs debout, sur la pointe des pieds se livrent à une sorte de batailles de main. Le chevauchement de mains où chacune veut être au-dessus de l’autre, Dorine le décrit comme « une vraie lutte de pouvoir ». Ce qui va à l’opposé du vœu qu’il nourrit pour l’avenir. Car, dit-il : « Tel que j’essaie d’imaginer le futur, j’imagine des espaces où le pouvoir se partage. L’idée de toute la performance c’est d’être différents de corps et d’accepter que l’on est vraiment différent, que l’on a des points de vue différents mais que l’on peut vivre dans un même espace ». Le chorégraphe se désole qu’ « aujourd’hui, en 2016, on ait du mal à accepter les différences mais aussi du mal à accepter de partager le peu qu’il y a. Le peu d’espace, d’argent, de pouvoir que chacun peut avoir, comment le partager avec les autres » ? Plusieurs corps, plusieurs propos Qu’importait le lieu, même si pour tout son travail, Dorine préfère avoir la possibilité de disposer d’un espace adéquat, il a apprécié le faire dans la rue. « Ce qui est différent cette fois, c’est que j’ai performé dans un espace public, ce n’est pas un podium. Mais, il me reste toujours mon corps à travers lui, je peux dire des choses. J’ai besoin d’être utile à ma communauté et pour moi, c‘est important même qu’en tant que corps plus ou moins muet, d’être en mesure de dire quelque chose », a-t-il affirmé. La performance a été accomplie avec neuf autres danseurs. Pour Dorine, il était essentiel de le faire à plusieurs : « Quelques fois, on a du propos, mais il y a tellement de propos et de corps, qu’il est important de se mettre ensemble pour rendre plus bruyante sa petite voix. Si l’on est seul, ce n’est pas pareil. Et donc, pour moi, pour cette dernière marche, il était important qu’il y ait plusieurs corps parce qu’il y a tellement d’histoires que l’on veut raconter et je ne pouvais pas y arriver tout seul avec un seul corps. Et aussi, pour faire avancer ce pays, c’est clair qu’il faut tout le monde ». Commencée devant l’enceinte de l’ABA, Dernière marche : Kinshasa s’est achevée sur l’autre versant de la route. La traversée d’une chaussée à l’autre, il l’explique ainsi : « Pour moi, lorsqu’on naît au Congo, l’on naît déjà en étant comme un projet pour ses parents. Les temps sont tellement durs économiquement parlant que quelques fois les parents oublient que chacun a ses rêves. Et que l’enfant peut avoir les siens et donc ne songent pas à l’accompagner pour qu’il puisse s’épanouir. Et, souvent en grandissant, l’on finit toujours par être séparés par quelque chose. Pour moi, c’est cette chaussée. Mais c’est clair qu’à un moment dans la vie on se retrouve face aux autres, de l’autre côté. Quel rapport l’on arrive à avoir, à garder avec les autres ? » Nioni Masela Légendes et crédits photo :Photo 1 : L’extrait du chevauchement de mains dans Dernière marche : Kinshasa
Photo 2 : Les danseurs traversant la chaussée dans Dernière marche : Kinshasa
Notification:Non |