Les Dépêches de Brazzaville : Quel est l’état de la formation supérieure au Congo ?
Bernard Ngazo : La formation supérieure au Congo souffre d’un manque de structures crédibles capables d’offrir des programmes de formation qui répondent aux exigences académiques et aux standards internationaux. Il n’existe qu’une seule université publique, l’université Marien-Ngouabi, localisée à Brazzaville. Une deuxième université est en création dans le nord de la capitale. On constate ainsi qu’une grande ville comme Pointe-Noire, la capitale économique, ne dispose pas d’université, ni de grandes écoles.
À côté de cette pénurie d’organismes de formation supérieure, on note une absence de cadre normatif pour la délivrance de certains diplômes nationaux. Ainsi, il n’y a pas de programmes officiels pour le BTS, qui reste un diplôme d’établissement. Par ailleurs, les enquêtes montrent que les enseignants sont mal formés, car dans bien des cas, l’enseignement reste un moyen pour compléter des revenus courants. La recherche universitaire peine à décoller, et les programmes de formation s’adaptent difficilement aux besoins des entreprises. À cet environnement, on peut ajouter le manque de centres de documentation, ce qui ne facilite pas l’apprentissage.
Tout cela explique pourquoi on assiste à un flux massif de jeunes diplômés congolais qui vont poursuivre leurs études à l’étranger alors que ceux qui restent sur place constatent avec amertume la perte de compétitivité de leurs formations locales. Il s’agit là d’un constat alarmant qui demande la mobilisation de tous les acteurs publics et privés afin d’y apporter une réponse forte et rapide.
Vous dirigez une école spécialisée dans la formation de managers, où placez-vous la femme congolaise dans votre dispositif et dans l’échiquier national en termes de formation et d’employabilité ?
La recherche de la promotion de la femme congolaise et la prise en compte de sa situation professionnelle restent une préoccupation majeure dans notre dispositif. Il s’agit de permettre tant aux jeunes filles qu’aux mamans d’accéder à des formations adaptées. La solution passe par la recherche d’une adéquation entre la formation et l’emploi. Le problème se pose surtout pour les filles qui sont en échec scolaire. Il faudra bâtir des passerelles afin de permettre à ces jeunes filles de reprendre le chemin de l’école par la voie de l’apprentissage, système qui a fait ses preuves dans d’autres pays. Nos systèmes privilégient trop le diplôme au détriment de la compétence. Cherchons comment valoriser le potentiel de ces jeunes filles et nous trouverons les mécanismes pour améliorer leur employabilité.
L’économie informelle, où les femmes sont très présentes, reste très importante au Congo. Quelle stratégie pourrait y mettre fin ou la réduire ?
L’économie informelle est une réalité et une dimension très importante du tissu économique congolais. Elle fait vivre une grande partie de la population et génère des revenus considérables qui ne transitent pas (pour une grande part) par le circuit bancaire. Elle constitue par ailleurs une des caractéristiques des économies africaines. Peut-on y mettre fin ? À court et moyen terme, cela s’avère impossible en raison même de son caractère endogène et de l’absence de justifications objectives de la part des acteurs concernés. Peut-on la réduire ? Oui, en mettant en œuvre toute une batterie de mesures (économiques, fiscales et autres) et en déployant certains dispositifs qui favorisent la bancarisation de l’économie. Cela reste un grand chantier qui devrait mobiliser l’énergie des décideurs politico-économiques.
Quels sont les freins au développement du secteur privé formel ?
Quelle est la situation actuelle ? On constate une grande faiblesse (c’est peu dire) du secteur privé local qui reste très marginal dans le tissu économique. Cette réalité provoque de grands déséquilibres dans le partage du fruit de la croissance économique puisqu’une partie de la population reste sur le bord de la route du développement économique du Congo alors que les besoins sont énormes et les opportunités d’investissement nombreuses. Les raisons à cette réalité sont multiples : la difficulté à identifier les porteurs de projets ; l’absence de mécanismes d’accompagnement des porteurs de projets ; des projets mal présentés (pas de business plan) qui ne trouvent pas de financement ; l’absence de fonds propres de la part des porteurs de projets ; et surtout un système financier inadapté constitué uniquement de banques commerciales frileuses et qui ne s’engagent que très timidement dans le financement de projets de création d’entreprises.
Quel peut être l’apport de la diaspora pour l’émergence du Congo ?
Je suis convaincu que la diaspora a un rôle important à jouer dans le processus de développement du pays. La diaspora constitue un levier de mobilisation de l’épargne et des compétences pour la dynamisation du secteur privé. Elle contribue au renforcement des capacités et au transfert des technologies et des compétences techniques et intellectuelles avec un haut niveau d’adaptation aux réalités locales. Elle va participer à l’adoption de bonnes pratiques managériales et de bonne gouvernance en relation avec la globalisation des marchés et la compétition internationale. Grâce aux réseaux développés à l’étranger, la diaspora devrait faciliter le renforcement des partenariats économiques, consolider la responsabilité environnementale et l’émergence de l’économie verte.