Interview. Guy MafutaKabongo : « La MEPS est un pas de géant vers une sécurité sociale beaucoup plus effective »

Jeudi 1 Février 2018 - 18:04

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Suite et fin de la première partie publiée dans notre livraison d'hier.

Le Courrier de Kinshasa ( L.C.K.): Lorsque vous parlez de votre mutuelle,  vous n’évoquez que de l’EPSP. Qu’entendez-vous par enseignants ?

Guy MafutaKabongo (G.M.K) : L’enseignant, c’est celui qui exerce dans le secteur public, qui est géré par le Service de contrôle de la paie des enseignants, qui est un service du ministère de l’EPSP. Donc, l’enseignant qui est concerné est celui du primaire, secondaire et professionnel.

L.C.K : Pourquoi cette catégorisation ?

G.M.K : Celui qui avait initié le projet était à l’EPSP en son temps. C’était plus facile pour lui et ce ministère offre un élément important que beaucoup de ministères n’ont pas, le fichier des enseignants. Je pense qu’au Congo, s’il y a un fichier très fiable et à jour, c’est celui des enseignants. Cela est une facilité parce que les bénéficiaires sont des personnes contenues dans ce fichier. Cela nous aide à savoir qui a droit au service pour éviter des fraudes massives.

L.C.K. : Devons-nous donc comprendre que tous les enseignants de l’EPSP sont membres de votre mutuelle ?

G.M.K .: Absolument. Il y a ce que nous appelons le droit en veille, c'est-à-dire que tout enseignant de l’EPSP est d’office membre. Mais il ne bénéficie de ce droit que le jour où il se fait identifier. Là, le droit devient actif et il peut bénéficier des soins de santé.

L.C.K. : Par rapport à ce dernier aspect, combien de membres compte la mutuelle ?

G.M.K. : Dans la ville de Kinshasa, l’effectif attendu est de quarante-trois mille enseignants. Actuellement, nous sommes déjà au-delà de quarante mille. À Mbandaka, nous avons déjà identifié plus de trois mille, pratiquement les 100%. À Lubumbashi, nous sommes à neuf mille. Ce qui fait que là où nous sommes déjà déployés, au bout d’un temps, nous avons atteint des proportions assez satisfaisantes, notamment au-delà de 90 % d’enseignants identifiés.

L.C.K. : Quelle est la hauteur du bénéfice par rapport à chaque membre ?

G.M.K. : Nous prenons en charge les soins de santé pour la famille restreinte et avons limité le nombre d’enfants à trois. Il s’agit donc de l’enseignant, sa conjointe et ses trois enfants. Mais il y a également une exception que nous faisons avec les couples que nous appelons XXL à qui nous accordons la prise en charge jusqu’à six enfants.

L.C.K. : Quelles sont les perspectives pour 2018 qui vient de commencer ?

G.M.K. : D’abord, ce qui est vraiment important pour nous, c’est de lancer les villes de Kisangani et Tshikapa, avant de choisir d’autres villes. Mais, pour ce faire, il faut absolument avoir les moyens conséquents. Ces derniers ont connu quand même une période de déliquescence, déjà au mois de décembre 2016, quand le cadre macro-économique a commencé à bouger. Vous savez, on est passé à une longue période de quiétude où le taux du dollar était stabilisé à 920 FC, pratiquement quatre ans, où on pouvait même épargner en monnaie locale. Mais depuis décembre, les choses ont commencé à bouger. Et là, nous sommes au taux de 1600 FC pendant que la subvention ou les cotisations ne sont perçues qu’au taux de 920FC, créant ainsi une perte pratiquement de 40 %. Ce qui, d’ailleurs, ralentit suffisamment le déploiement de la mutuelle. Nous espérons que le franc congolais puisse récupérer son pouvoir d’achat pour nous permettre d’aller un peu vite. C’est un problème qui touche tout le pays et même le budget de l’État est fixé au taux de 142 FC le dollar alors qu’on applique le taux de 920 FC. Et nous payons le fisc au taux de 1600 FC le dollar. Aussi, les services que nous achetons, nous le faisons au taux de 1600 FC. C’est un peu dur pour nous. Face à cette situation, nous avons a eu à repréciser le calcul des soins. Nous avons pris certaines mesures d’austérité en interne pour passer cette période assez difficile.

L.C.K.: S’il faut considérer ces plaintes, pouvons-nous affirmer que la mutuelle connaît quand même des difficultés pour réaliser ses projets ?

G.M.K. : Absolument. La gestion d’une structure d’assurance maladie, parce que nous le sommes, est tributaire de ce que l’on appelle des réserves techniques. Vous devez avoir constamment dans votre gibecière certaines réserves des ressources financières pour faire face à certains évènements impondérables dont les épidémies. Si la mutuelle a fonctionné pendant une année, 2017, sans interruption, c’est parce que durant toute la période de quiétude financière, nous avions pu constituer des réserves. Pour résister pendant une année, nous avions eu recours à la précision des paquets des soins, ce que les autres appellent réduction des soins, pour que les gens aient accès à une catégorie de soins bien précise pour nous permettre de faire face à cette situation.

L.C.K. : Entre autres difficultés que vous rencontrez, c’est l’interférence du gouvernement. Comment expliquer qu’une association à but non lucratif censée fonctionner librement puisse avoir une proposition d’implantation émanant du chef de l’État ?

G.M.K. : Interférence, oui et non. Il faut dire que nous sommes une structure qui bénéficie de la subvention de l’État à la hauteur, actuellement de 40 %, c'est-à-dire qu’à côté des cotisations des enseignants membres de la mutuelle, l’État apporte aussi sa subvention. Ce sont des deniers publics et c’est de bon droit que l’État cherche à savoir ce que nous en faisons. Nous demeurons autonomes malgré cette orientation du chef de l’État. C’était une instruction qui cadrait avec les circonstances de l’époque. L’intervention du président de la République avait été motivée par le problème qu’il y avait à l’Équateur. Ce n’était pas par plaisir qu’il l’avait fait. Maintenant, nous avons un document de politique générale d’expansion, qui n’existait pas à l’époque. Aussi la mutuelle est-elle au cœur de beaucoup de services. Sur le plan légal, nous dépendons de la tutelle du ministère du Travail et de la prévoyance sociale. C’est la loi sur les principes généraux applicables aux mutuelles récemment promulguée, qui met les mutuelles de santé sous la tutelle technique du ministère précité. Mais, puisque nous touchons à la santé, nous avons des accointances avec le ministère chargé de ce secteur. Chaque trimestre, il y a des inspecteurs pour prendre des données qui permettent aux dirigeants d'orienter aussi leurs politiques sanitaires. Les enseignants constituent un pourcentage important dans les fonctionnaires. Et c’est la Fonction publique qui intervient alors qu’il y a également le ministère de l’EPSP de qui nous dépendons, parce que le fichier sus-évoqué est produit par ce dernier et même les ressources nous mettent en contact avec l’intersyndicale ministère du Budget-EPSP. Il y a également des services comme l’Inspection générale des finances, la reddition des comptes, qui ont également un œil sur ce que nous faisons. Nous sommes donc au carrefour de plusieurs services. Chaque trimestre, nous devons établir des rapports. Cela est facile si chaque service sait jouer son rôle et sait là où il doit se limiter. Mais, dans la terre des hommes, rien n’est facile. On peut poser les pas plus loin que le prévoit le texte.

L.C.K. : Les choix que vous opérez pour les provinces ne vous sont-ils pas proposés par le gouvernement ? Parce que vous dites qu’il contribue à 40 %. Et, on le sait, la main qui donne a une certaine supériorité.

G.M.K. : C’est vrai que le gouvernement a un droit de regard. Nous recevons beaucoup de correspondances.  Il y a même des gouverneurs de province qui écrivent, voire des groupes de sénateurs qui peuvent se constituer en commission en vue de plaider pour leurs circonscriptions électorales. Cela arrive mais la société est organisée de telle sorte qu’à un moment, nous devons également nous imposer et nous assumer en mettant sur la table ce qui est faisable. Par contre, nous laissons toujours une brèche en permettant notamment aux gouverneurs, aux notables d’un coin, etc., qui nous facilitent ou nous allègent la tâche en termes de budget d’investissement (en mettant à notre disposition un siège, une ambulance, les moyens de transport, etc.), de bénéficier de notre faveur dans le sens de l’implantation. Jusque-là, il y a ceux qui pensent agir dans ce sens-là, mais ils ne l’ont pas encore concrétisé.

L.C.K. : Déjà, le nombre d’enseignants dans le grand Bandundu vous fait-il réfléchir ?

G.M.K. : Bien sûr. Plus il y a un grand nombre, plus aussi les dépenses de régime seront importantes. Mais, comme c’est l’enseignant congolais qui est visé, nous serons obligés d’être l’église au milieu du village. On finirait par y aller. Je vois les grands pays comme le Canda, la France, qui ont aussi beaucoup d’habitants mais qui arrivent à mettre en place une politique de prise en charge.

L.C.K. : Vous avez cité l’Intersyndicale. Quelle relation la mutuelle entretient-elle avec cette structure ?

G.M.K. : Même dans l’organisation de la mutuelle, il y a un équilibre qui est observé. Pratiquement, la moitié de l’assemblée générale est composée de membres de l’Intersyndicale. C’est la même chose avec le conseil d’administration, composé de dix membres, dont cinq sont de l’Intersyndicale. Cela, pour rassurer les uns et les autres. Pour annihiler cette méfiance constatée dans le chef de différents partenaires (gouvernement, enseignants, etc.), nous avons permis que chacun ait un droit de regard.

L.C.K. : S’il vous était demandé de faire une proposition à l’État, que lui direz-vous ?

G.M.K. : Par rapport à l’État, c’est le problème de taux de change. Je lui demanderais de voir en quelle mesure même indexer ce que nous recevons comme subvention par rapport au vrai taux et également penser à l’expansion. Ailleurs, on devrait avoir une cagnotte spéciale à titre de budget d’investissement mais ici, ce sont de petites réserves que nous constituons qui nous permettent de lancer des villes. Le grand problème, c’est aussi la qualité de l’offre médicale. Nous, nous sommes une mutuelle, nous n’avons pas d’hôpitaux propres et nous n’en créons pas. Mais la qualité du service que nous rendons est également fonction de la qualité des infrastructures médicales disponibles. Il y a des provinces où il est difficile de trouver un hôpital ou un centre de santé digne de ce nom, du point de vue hygiène ou la qualification du personnel. L’État a donc son rôle à jouer dans la qualité du médecin et de l’infirmier que l’université produit. Il doit donc améliorer la qualité de l’infrastructure médicale, la qualité du médecin, etc. Nous ne soignons pas, nous sous-traitons le traitement. Pour rendre un bon service, il faut donc que les partenaires, l’État ou l’hôpital, qui travaillent avec nous, parlent le même langage que nous. Que chacun joue parfaitement sa partition.

L.C.K. : Cela ne vous amène pas à penser à avoir, dans certains coins du pays, vos propres hôpitaux ?

G.M.K. : À un moment, nous avions pensé à cela. Mais on a fini par conclure que ce n’était pas une bonne option. Même en France, des mutuelles qui ont eu des hôpitaux les vendent aujourd’hui, parce que la gestion d’un hôpital, c’est aussi une équation. On est déjà en difficulté ici, on ne va pas en rajouter. Une fois, par exemple, j’ai fait venir quelques pharmaciens pour essayer d’étudier les questions liées aux médicaments. On pensait avoir notre propre pharmacie mais les conclusions de ces ateliers nous ont découragés de suivre cette voie.

L.C.K.: Vous rassurez que les membres sont contents du service leur offert. Mais, comme il ne pourra pas manquer de mécontents, que leur promettez-vous ?

G.M.K. : Par jour, nous avons une moyenne de huit cents contacts médicaux. Sur ce nombre, il y a deux ou trois plaintes. Je me dis qu’il faut chercher à les résoudre mais également, je pense que l’on doit se satisfaire de cette moyenne. On a mis en place un monitoring, la commission d’évaluation du taux de satisfaction, qui a comme objectif de passer auprès des enseignants en vue de récolter leurs avis sur la qualité des soins et services. Cela permet de découvrir ce que l’agent de la mutuelle n’a pas communiqué à la hiérarchie. Cela donne une idée de ce qui est fait en vue d’apporter de correctifs. Par contre, l’enseignant, qui est l’auteur de cette œuvre, peut également protéger sa structure. On n’est pas obligé de voir un médecin pour tout ce qui nous arrive. Il faut donc aller à l’hôpital quand c’est vraiment nécessaire. Et, je regrette que, comme il y a la mutuelle, même le petit sacrifice d’un père vis-à-vis de son fils a disparu. J’invite donc les bénéficiaires de la mutuelle à la souplesse, à beaucoup plus d’humanisme. Le fait que la mutuelle existe n’enlève pas les responsabilités d’un mari vis-à-vis de son épouse, par exemple.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Guy Mafuta, président de la MEPS / photo Adiac

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