Les forêts du Bassin du Congo à la COP 19 : entre facture et fracture climatiqueVendredi 6 Décembre 2013 - 10:10 La problématique des forêts d’Afrique centrale s’analyse aujourd’hui de façon quasi corrélative au réchauffement climatique et au financement de son atténuation. C’est sans nul doute en raison de la fracture climatique mondiale et de la facture qui en résulte entre, d’un côté, les pays industrialisés qui sont les plus gros pollueurs de la planète, et de l’autre, les pays en développement, moins pollueurs et détenteurs des ressources forestières, mais aux prises avec la déforestation, responsable de 12% à 18% des émissions du CO2 Dans une économie mondiale où la concurrence est la règle et où les agricultures et les tissus industriels nationaux sont inégalement productifs, la fracture climatique se mêle au déséquilibre agricole mondial, dans lequel l’agriculture sur brûlis et l’approvisionnement en bois-énergie en Afrique fragilisent les efforts de conservation forestière et donc en partie de lutte contre le réchauffement climatique. C’est autour de ces constats que la question forestière figure dorénavant en bonne place dans les tribunes internationales sur le climat comme il en sera question à Varsovie à la COP 19. En mettant l’accent de façon « politiquement correcte » sur les enjeux de cette COP 19 à Varsovie, on est rapidement écartelé entre d’un côté la lourdeur de la facture climatique de 100 milliards de dollars et de l’autre, la difficile préservation des ressources forestières. Écartèlement entre la facture climatique et la préservation des ressources forestières Si l’idée de pollueur-payeur peut sembler séduisante à bon nombre d’observateurs et de citoyens, elle ne peut occulter le fait que, dans un contexte de crise économique, les déficits économiques des pays développés pollueurs pourraient fortement contrarier les engagements financiers publics pour régler ladite facture climatique. De leur côté, les pays émergents asiatiques, nouveaux pollueurs, contestent l’idée d’un mécanisme de financement reposant sur la taxation du transport aérien. De facto, la COP 19 s’ouvre comme la chronique d’un échec annoncé. Même dans une perspective optimiste, on peut toujours s’interroger sur le scénario de référence en matière de déforestation pour récompenser les efforts de déforestation contrôlée. En effet, les pays à fort taux de déforestation en Asie notamment et ceux à faible taux de déforestation en Afrique en particulier s’opposent diamétralement dans l’évaluation de cet effort de déforestation évitée. En ce sens, le ralentissement de la déforestation dans les pays à fort taux de déforestation peut résulter tout simplement de la raréfaction de la ressource forestière et non d’un effort de préservation. Rémunérer ces pays reviendrait implicitement à pénaliser les pays qui ont jusque-là préservé leurs forêts, même si cette préservation en Afrique s’est faite de façon passive en raison des difficultés d’accès à la ressource et au manque d’infrastructures. Il y a donc là une situation à régler collectivement de façon intelligente, car les pays d’Afrique ont également des aspirations au développement dont la mise en œuvre pourrait se faire au détriment des forêts. La gouvernance forestière Au demeurant, abstraction faite des deux aspects précédents, un troisième type d’interrogations concerne la gouvernance des États. De façon quasi unanime, une bonne gouvernance est une condition sine qua non pour garantir la sauvegarde des forêts au niveau local en y intégrant également la question foncière et celle des droits de propriété et d’usage des terres. En effet, les exemples sont légion où les lacunes en matière de gouvernance forestière se sont conjuguées à des contestations de légitimité politique des décideurs nationaux par bon nombre de leaders politiques locaux. Cela a fortement contrarié la mise en oeuvre d’une gestion responsable des ressources forestières pouvant intégrer des aspects à la fois biologiques et sociaux dans l’exploitation de la ressource. Sur cet aspect, il faut reconnaître le sursaut politique dans le Bassin du Congo avec le sommet de Yaoundé en 1999, qui a créé la Commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac) chargée de la politique sous-régionale de coordination et de la mise en œuvre du Plan de convergence. En 2005, le traité de la Comifac a été signé entre les pays membres afin de consolider la conduite des actions prévues dans le plan de convergence. Aujourd’hui, ces efforts pourtant louables sont quelque peu sapés par l’absence d’une harmonisation des politiques forestières nationales ou du moins de coordination. Pendant ce temps, l’exploitation forestière reste entachée de pratiques illégales, et ce ne sont pas les récentes mesures d’interdiction de grumes prises au Gabon qui vont fondamentalement changer la donne à court terme. Signalons que derrière la question du bois illégal se trouve celle de l’exploitation humaine des jeunes en mal d’insertion sociale et désœuvrés, ainsi que celle de la concurrence déloyale par la mise sur le marché de bois ayant échappé à la réglementation. Il eût fallu que l’Union européenne mette en place un dispositif réglementaire appelé Flegt (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) qui exige, grâce aux accords de partenariat volontaire, de justifier de la légalité des produits bois entrant sur le marché européen. La mise en œuvre effective de ce mécanisme pourrait améliorer la gouvernance des États, mais pas forcément celle des marchés mondiaux des marchandises, dont on sait qu’ils peuvent être à la fois facteur de déforestation et facteur de conservation des forêts. La nécessaire intégration de la production agricole Par ailleurs à l’écart du dispositif Flegt se trouve la question de l’agriculture vivrière sur brûlis qui se pratique au détriment de la forêt. L’agriculture vivrière sur brûlis dans ces pays est caractéristique de l’actuel déséquilibre agricole et alimentaire mondial, fragilisant de facto les efforts de lutte contre la déforestation et la destruction de la biodiversité forestière. Cette question agricole n’a pas été résolue pour autant, ni dans le plan de convergence de la Comifac, ni dans Flegt. L’agriculture vivrière sur brûlis continue d’être en compétition avec l’usage des terres forestières pour la satisfaction des besoins alimentaires des populations. Dès lors, on comprend que la résolution de la question climatique en lien avec la lutte contre la déforestation ne doit pas se limiter à un simple débat sur la facture climatique et au versement des subits de la part des pays développés pour des émissions de CO2 évitées ou à éviter. Mais, au contraire, elle doit participer à l’émergence d’un nouveau modèle de développement qui prenne en compte la forêt dans sa relation avec le développement et particulièrement les activités agricoles afin d’ouvrir des chantiers d’investissement agricole productifs et responsables, de restauration des forêts dégradées, de gestion des aires forestières protégées, tout en facilitant une certification forestière crédible. De l’ensemble de ces réalisations pourrait résulter la réduction de la fracture climatique. Jean Bakouma Légendes et crédits photo :Jean Bakouma, Docteur ès sciences économiques spécialisé dans les aspects économiques et institutionnels de la gestion durable des forêts tropicales, les marchés mondiaux des bois et de l’analyse du risque associé à l’approvisionnement en produits bois. Expert Gedac (Groupe d’experts de la diaspora d’Afrique centrale). |