Afrique : les lignes qui bougent inquiètent

Jeudi 28 Novembre 2013 - 17:58

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L’intrusion de la religion dans les conflits en Afrique suscite de la préoccupation chez les politiques, les économistes et dans la société civile en Italie

« La situation en Libye nous empêche de dormir tranquilles. » De qui est cette déclaration ? De Paolo Scaroni, administrateur délégué du géant pétrolier italien ENI, qui s’inquiète des retombées à moyen et long termes des tensions politiques, sur fond religieux, dans le pays de l’après-Kadhafi. Par exemple, le blocage pendant deux mois, de terminaux pétroliers de l’est du pays, a occasionné une baisse des revenus de 80%, indiquait la semaine dernière le Premier ministre Ali Zeidan. Des milices tribales se plaignant d’une mauvaise redistribution des ressources, menaçaient (peut-être l’ont-ils fait d’ailleurs!) de vendre eux-mêmes directement le brut prélevé sur leur zone.

Ces tensions, devenues cycliques, ont été résolues. Mais il ne se passe pas de jour dans la ville où Benghazi ne deplore une attaque meurtrière ou une confrontation entre miliciens. Bengha commence à s’imposer comme point focal des soubresauts à l’est libre, après avoir été le point de départ de l’insurrection qui a abouti en octobre il y a deux ans à la destitution de Kadhafi. Ces violences sont la résultante à la fois de revendications sociales, autonomistes mais aussi de luttes d’influence entre les islamistes et les musulmans modérés autour de la volonté d’imposer la charia, la loi islamique, à tout le pays.

La société italienne ENI est la première partenaire de la Libye en matière de pétrole. L’absence d’une autorité de cohésion politique dans le pays ou, pire, l’éclatement de celle-ci en autant de centres de commandement, inquiète à Rome. « ENI est une compagnie essentiellement africaine. C’est de cette zone qu’elle tire les 60% de sa production. Nous restons quand même confiants. Nous regardons la Libye dans une prospective historique ; nous y sommes depuis l’époque du roi Idriss. On peut comprendre que nous nous posions des questions », affirmait encore récemment à Rome Paolo Scaroni.

Société civile et Église inquiètes

Mais les inquiétudes des pétroliers sont une chose. Il en va autrement lorsque, toujours sur fond de risques religieux, c’est la société civile qui s’interroge. La fondation italienne ICSA a récemment présenté un rapport au Parlement, à Rome, sur le risque djihadiste de l’immigration. Le fameux “Printemps arabe”, on le sait maintenant, a surtout agi comme un catalyseur des visées islamistes extrémistes. En Égypte, en Tunisie, en Libye : les islamistes naguère dans la discretion, sont maintenant aux affaires ou aspirent à y parvenir. La guerre libyenne, surtout, a débridé des potentiels d’insécurité. Ces ondes de choc se font de plus en plus sentir de la seule région du Maghreb.

Le préfet de police Alessandro Pansa est d’avis qu'il ne faut pas baisser la garde. « Il devient chaque jour plus possible que les masses d’immigrants qui débarquent sur nos côtes, à Lampedusa, soient inflitrées par des extrémistes ou influencées par eux. « Comme il s’agit de personnes desespérées, fuyant des conditions extrêmes, on peut comprendre qu’elles soient facilement influençables » par des partisans de la guerre sainte. « Ce risque, nous ne devons pas le sous-évaluer ; l’Europe ne doit pas le sous-évaluer », renchérit de son côté Marco Minniti, sous-secrétaire du gouvernement italien chargé des services de renseignement.

Donc, qu’il s’agisse du milieu économique, de la société civile ou des organismes gouvernementaux en Italie : il y a une certaine unanimité à s’inquiéter d’un avenir lourd de menaces. Et encore le tableau ne serait pas complet si l’on devait s’arrêter à ces seuls milieux d’influence ! Les Églises elles aussi semblent ne pas trop apprécier la multiplication des attaques et enlèvements de chrétiens, par exemple, dans un pays comme le Nigéria ou le Kenya. Tout se passe comme si un cercle était en train de se refermer sur l’Afrique, pour y voir émerger un ordre nouveau, fait d’intolérance religieuse surtout, se découpant sur les contours ethniques. Mélange explosif !

Il est assez significatif que dans sa toute première exhortation apostolique, Evangelii guadium, le pape François dont pourtant on commence à apprécier l’esprit d’ouverture, ait jugé utile d’y insérer un chapitre sur le dialogue avec l’islam. Il y « implore humblement » les pays musulmans d'assurer la liberté religieuse aux chrétiens, en « prenant en compte la liberté dont les croyants de l'islam jouissent dans les pays occidentaux ». Le fait est que les violences contre les chrétiens, l’ostracisme à l’encontre des catholiques, inquiètent de plus en plus au Vatican.

Vous avez dit « liberté religieuse » ? Chacun, apparemment, l’entend à l’aune de ses propres intérêts. L'Organisation de la coopération islamique (OCI) s'est déclarée « choquée et consternée » par les informations faisant état de la décision du gouvernement angolais d'interdire l'islam et de démolir les mosquées du pays. Il appelle l'ONU et l'Union Africaine à agir « avec fermeté » face à cette décision qui constitue « une violation flagrante des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». On sait, depuis, que le gouvernement a démenti cette volonté et tenté de clarifier sa position, mais la polémique a rebondi de plus belle lorsque des communautés musulmanes ont confirmé s’être vues imposer la volonté d’abandonner des lieux de culte ensuite détruits.

On se retrouve donc ici en face de lignes de confrontation ; des lignes qui bougent. Après une demie-décennie d’accalmie, les conflits rebondissent sur le continent. Avec le fait nouveau que la religion commence à exercer sur eux l’effet du soufflet du forgeron. Les flamèches d’hier risquent de se traduire assurément en brasiers incontournables. Surtout si l’on ajoute la réactivation des conflits jadis éteints comme cela se voit maintenant au Mozambique, où la Renamo a repris les armes sous le prétexte de ne pas assez bénéficier des retombées gigantesques des ressources gazières, pétrolières et charbonnières du pays.

Lucien Mpama