Numéro spécial Francophonie : Senghor, plus que jamais près de nous

Mercredi 19 Novembre 2014 - 4:00

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Lorsque Les Dépêches de Brazzaville ont offert l’hospitalité de leurs pages à ces quelques lignes d’un amoureux de la poésie, enfant de la terre du patriarche des lettres africaines et père de la Francophonie, s’il est vrai qu’à ce moment-là mes pensées se sont d’abord tournées vers les inoubliables Sony Labou Tansi et Jean-Baptiste Tati Loutard, c’est ensuite vers l’auteur de Chants de la graine semée qu’elles s’en sont allées

Hamidou SallCelui-là, enfant du Congo, c’est mon ami Gabriel Okoundji, admirable sentinelle avancée d’un dire et d’un beau-dire qui, passant par la langue que nous avons en partage, me sont parvenus dans toute la splendeur de sa parole poétique. Poésie, émergence fugace, mais précieuse de l’essentiel. Salut Gabriel, frère essentiel !

Or donc, nous voici à Dakar à l’occasion du XVe sommet de la Francophonie. Vingt-cinq ans : c’est le temps qui sépare les deux sommets que la capitale de mon pays natal aura accueillis. Dakar 1989, Dakar 2014… Un quart de siècle après son premier passage en terre africaine du Sénégal, au pays de celui qui dans son œuvre poétique nous fit entendre les rhapsodies du fleuve Congo, j’ai comme le sentiment que la Francophonie revient chez elle, là où elle a été bercée par son père spirituel, Léopold Sédar Senghor. Ce n’est donc pas un hasard si le Sénégal est, pour l’instant, le seul pays africain où la Francophonie se soit réunie deux fois en sommet. Plus qu’un symbole, c’est peut-être une nécessité que de revenir de temps en temps dans son pays d’attache, car, comme le disait Saint John Perse, un autre grand poète de la langue française : « On est toujours du pays de son enfance. »

Aujourd’hui, s’il m’est demandé de poser quelques lignes sur ce moment tant important dans la vie de cette noble aventure qu’est la Francophonie, c’est, je crois, parce que j’ai passé douze années d’heureux labeur aux côtés de son Secrétaire général, un labeur qui touche à sa fin, car, venu avec Abdou Diouf, je m’en irai avec lui. Cependant, il me plaît de rappeler qu’avant de devenir un fonctionnaire de la Francophonie, j’en étais déjà depuis bien longtemps un militant par ma filiation senghorienne.

Léopold Sédar Senghor, le poète ancré dans la culture de son terroir, mais si ouvert aux apports fécondants de l’ailleurs, m’avait certes donné le goût des sources, lui dont les racines de l’œuvre poétique sont au plus profond de l’humus de son royaume d’enfance. Homme d’enracinement et d’ouverture, il m’avait montré très tôt que l’on pouvait être d’ici et d’ailleurs, et sa fascination pour la langue française avait fasciné le jeune écolier que j’étais. D’ailleurs, enfant, ses discours étaient pour moi un trésor de mots savants. L’accent, le rythme et la mélodie de sa parole ont bercé mes rêves et guidé mes premiers pas dans le cercle sonore de la danse des mots de cette langue française qui entrait dans ma vie d’enfant.

À travers l’humanisme qui se dégageait de l’homme et de ses mots, j’ai grandi. À l’ombre tutélaire de son savoir et de sa culture, j’ai mûri. C’est tout cela qui contribua à m’attacher à cette langue que j’acquérais sur les bancs de l’école et qui aujourd’hui est devenue, à côté de ma langue peule ancestrale, ma compagne fidèle pour dire non seulement mon être au monde, mais aussi pour scruter mon passé lumineux longtemps à moi voilé par une restitution non fidèle, sélective et orientée, de ceux qui, pour le seul triomphe de la leur tentèrent d’étouffer la mienne, celle reçue de mes ancêtres.

Aussi pour moi la langue française, ce merveilleux instrument ramassé dans les décombres de la colonisation, pour reprendre le verbe de Senghor, devint une arme miraculeuse, pour parler comme le frère de l’autre rive, le grand poète martiniquais Aimé Césaire. Grâce à la chimie du renversement, la langue française m’est devenue un espace où je dialogue avec l’autre, si différent, mais si semblable. C’est grâce à la Francophonie que je chemine vers ce monde au-delà de ma petite terre et que j’entrevois cette force universelle qui relie les hommes et qui les délie de leurs préjugés, de leurs frontières.

C’est avec joie et nostalgie qu’à l’occasion du XVe sommet de la Francophonie je m’en reviens fouler le sol de ma terre primordiale, le sol de mon royaume d’enfance, pour un banquet de l’esprit qui sera le lieu du donner et du recevoir avec le souvenir et la nostalgie de cet immense poète majeur et souverain qui fut à l’aube de cette odyssée. Cette odyssée, aujourd’hui, ne doit pas s’arrêter au milieu du gué, mais bien continuer sa formidable aventure voulue par ses pères fondateurs en réussissant à surmonter les épreuves nombreuses dans un monde en crise où la langue française n’est pas toujours considérée comme moteur d’avenir. Il est donc important de parvenir à faire perdurer le souffle qui a animé la Francophonie depuis plus de quarante ans, un âge où l’on sait prendre du recul sur le travail accompli tout en regardant les ambitions à venir avec envie.

Je crois fermement que ce XVe sommet marquera l’histoire de la Francophonie, non seulement parce qu’une page de douze années se fermera, mais aussi parce qu’une nouvelle ère va s’installer dans la continuité innovante ou, devrais-je dire, dans l’innovation continue, chose qui a toujours caractérisé la volonté de cette organisation. Preuve en est le thème du sommet : « Femmes et Jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement ». Ce sont bien là deux sujets essentiels. Car il est aujourd’hui important de donner envie aux futures générations d’apprendre la langue française en montrant les valeurs qu’elle véhicule, en donnant un intérêt qui dépasse le simple cadre linguistique.

L’action du président Abdou Diouf a permis de rendre la Francophonie plus crédible sur la scène internationale en la positionnant comme un acteur politique majeur du développement et de la paix. À la prochaine équipe de continuer ce remarquable travail, d’en poursuivre les chantiers et d’en ouvrir de nouveaux !

Hamidou Sall est écrivain, conseiller du président Abdou Diouf

Hamidou Sall