Numéro spécial Francophonie : Entreprendre dans les technologies pour préparer le monde de demainMardi 11 Novembre 2014 - 17:00 Alors que l’OIF se prépare à élire à Dakar son nouveau président, Vérone Makou livre aux Dépêches de Brazzaville ses réflexions sur les mutations en cours dans le monde avec un vœu : faire du continent africain une terre de technologies. Témoignage Après un court séjour aux États-Unis, j’ai été invité à intervenir devant divers auditoires à Bruxelles, Lille et Paris avant de regagner Brazzaville. Si j’ai souhaité faire part de mes impressions, c’est qu’il ne s’agit pas d’un carnet de voyage mais de réflexions à partager alors que notre avenir se dessine en ce moment. L’intérêt des rencontres que j’ai vécues et des débats auxquels j’ai participé, avec des personnalités des cinq continents, pourrait tenir en une formule : entreprendre pour préparer le monde de demain. Le changement, c’est maintenant Tout change. La Silicon Valley en Californie reste le territoire du numérique et des nouvelles technologies. On y côtoie de très grandes entreprises comme des start-up, ces petites structures innovantes où se créent les technologies et les produits d’aujourd’hui comme les innovations qui permettront à l’avenir de nouveaux progrès. Ces petites graines sont appelées pour beaucoup d’entre-elles à devenir les géants de demain. Qui pouvait imaginer il y a encore peu de temps que ces majors que sont Microsoft, Google, Intel verraient leurs meilleurs ingénieurs développeurs les quitter pour rejoindre ces start-up ? De même, qui pouvait penser que les firmes chinoises de haute technologie recruteraient dans les firmes américaines que je viens de citer les meilleurs ingénieurs et programmeurs. ? C’est ce qui se passe aujourd’hui. À nous d’intégrer ces paramètres pour que demain l’on vienne chercher nos jeunes talents. L’avenir est en ces filières, aux nouvelles technologies pour faire de l’Afrique une terre d’excellence avec l’aide de tous, dont nos frères de la diaspora. C’est cela la mondialisation, la globalisation de l’économie. Le monde change à toute vitesse, il faudra nous y faire. Et l’Afrique dans tout cela ? Je peux résumer ma participation aux différents forums par une seule expression : l’Afrique bouge et nous sommes, si nous nous en donnons les moyens, au cœur de ces évolutions. À Bruxelles, le thème était celui de « la rencontre entre l’Afrique et le monde au cœur même de l’Europe », avec pour fil conducteur : comment faire pour que notre continent soit au rendez-vous de l’émergence ? Au-delà de cette question que depuis longtemps j’ai fait mienne pour notre pays, tous les sujets qui ont été abordés sont au cœur de mes réflexions. Cette manifestation ayant lieu dans la ville siège des institutions européennes, le débat a porté sur l’impératif pour l’Afrique de notre intégration sous-régionale puis régionale, à l’instar de ce qu’ont su faire les Européens. Au-delà, accéder à l’émergence implique la mobilisation de toute la société. Ainsi ont été mis en évidence le rôle des femmes, de leur leadership économique et donc de leur contribution au développement, mais aussi la nécessaire intégration de la jeunesse à ce processus. On a trop souvent tendance à s’en remettre à l’État. Cette rencontre a mis en exergue l’importance du secteur privé dans le co-développement sans pour autant nier les difficultés en termes de financement des projets et d’en appeler à des partenariats qui peuvent se nouer tant au plan national qu’international. C’est aussi poser une question récurrente : comment faire pour que la finance soit au service de l’économie et du développement ? L’économie responsable À Lille, chaque année, le World Forum rassemble plus de 6 000 participants, 200 intervenants de 40 nationalités autour du thème du développement durable et des moyens de changer l’économie de manière responsable. Problématique abordée : comment les entrepreneurs vont-ils faire face aux nouveaux défis alors que le monde connaît des bouleversements ? Entre 2000 et 2050, la population de la planète sera passée de 6 à 9,5 milliards d’êtres humains. Dans le même temps, le PIB global pourrait avoir quadruplé, essentiellement sous l’effet de la croissance des pays émergents. Nous devons considérer cette augmentation de la population non comme une source de déséquilibres supplémentaires mais au contraire comme une opportunité. Entrer dans le club des émergents est un objectif que nous, Congolais, nous devons relever, comme nous y incitent nos autorités. Le forum avait retenu pour ces débats, une liste de neuf défis. Parmi-eux, ceux de la science et des technologies, de l’éducation, des ressources, de l’emploi… Les ressources ne sont pas illimitées. Au-delà d’une gestion raisonnée se pose la question pour de nombreux pays : que faire après ? L’une des réponses est d’investir dans les nouvelles technologies, c’est le combat que je porte. Le constat est simple : la révolution internet, et plus largement le développement du numérique, ont entraîné de profonds bouleversements. À l’avenir, d’autres mutations vont intervenir, avec pour corolaire des avancées nouvelles qui vont se traduire en termes de produits, d’applications et de services. Ce défi du numérique et des technologies ouvre l’ère de la nouvelle économie, et nous en voyons déjà les prémices. Il concerne tout le monde : la société civile (citoyens et entrepreneurs) comme l’État et toutes les structures et instances qui lui sont liées. Faire de notre pays, du continent africain, des terres de technologies impose de relever un autre défi, celui de l’éducation. Éduquer, former… les seuls moyens pour permettre à certains de nos concitoyens, en particulier les jeunes, d’être en capacité d’entreprendre. Cette approche est d’autant plus importante que les évolutions démographiques font que le nombre de jeunes va s’accroître. C’est à terme le seul moyen de créer des emplois et de réduire les inégalités, ces autres défis qui ont été abordé au World Forum de Lille. Au-delà, il nous faudra organiser la formation tout au long de la vie pour permettre de répondre au mieux à l’évolution des qualifications et des compétences qu’exigent les progrès technologiques et les mutations à venir. À Paris, la Librairie-Galerie Congo, un avant-goût du retour au pays Cet espace n’est pas seulement une librairie, c’est un lieu qui expose des artistes contemporains et organise des rencontres. Dans ce cadre, je me suis exprimé sur le thème « Congo et entrepreneuriat », intervention suivie du vernissage de l’exposition de photos intitulée Made in Congo du photographe Baudouin Manga. En un même lieu, mettre en avant la création, l’entrepreneuriat et notre pays ne pouvait que me combler. J’imaginais déjà la contribution du Net pour faire connaître nos créateurs – plasticiens, musiciens… – en Afrique mais aussi à travers le monde. Car c’est encore bien de cela qu’il s’agit, du Congo dans la mondialisation. Les nouvelles technologies peuvent être de formidables outils pour mettre en valeur notre patrimoine culturel comme la richesse de notre création contemporaine et donc actuelle. Un deezer, service de musique à la demande permettant d’écouter des artistes, titres, albums, consacré uniquement à nos musiques est un moyen de partager mais aussi de promouvoir nos artistes. Un netflix (à l’instar de cette société américaine qui propose des films et séries télévisées en flux continu sur internet) consacré au cinéma africain ou un site sur les œuvres de nos jeunes plasticiens présente des possibilités créatives et entrepreneuriales que l’on peut imaginer mettre en place rapidement tant au niveau du Congo que du continent. C’est aujourd’hui à notre portée. Ces produits culturels, dans un environnent et avec les possibilités qu’offrent le numérique, ne vont pas seulement permettre de créer des entreprises et des emplois, mais elles participeront aussi au rayonnement culturel et en termes d’image tant du Congo que du continent. Au-delà, c’est l’importance des initiatives, de la création comme de l’entrepreneuriat qui doit être mis en exergue. Ces opportunités offertes à de jeunes entrepreneurs existent. C’est le sens et la vocation du Bantuhub, un espace de co-working et d’émulation qui devrait faciliter l’émergence de start-up dans notre pays, que j’ai créé à Brazzaville. Le fantastique dans le numérique et les nouvelles technologies, c’est que si une personne est passionnée et qu’elle possède des connaissances, le champ des possibles lui est ouvert. À elle, alors, d’entreprendre, de créer son entreprise et de construire l’économie de demain. Regardons les choses en face. Sans même évoquer les Brics, les États-Unis ou les pays de l’Union européenne, une réalité s’impose à nous. Dans l’Europe de l’Est, on dénombre 135 000 entreprises privées, 230 000 en Asie du Sud-Est, et seulement 26 300 en Afrique ! Nous avons l’ardente obligation de relever le défi de l’entrepreneuriat… et comme le dit un ancien proverbe chinois : « Ceux qui pensent que l’on ne peut pas y arriver devraient s’ôter du chemin de ceux qui le croient. » Vérone Mankou, âgé de 28 ans, est le président-directeur général de VMK, une entreprise congolaise créée il y a cinq ans, connue pour avoir mis sur le marché la première tablette tactile conçue en Afrique en 2011. Vérone Mankou a été classé en 2013 par le magazine Forbes parmi les trente meilleurs entrepreneurs de moins de trente ans en Afrique, puis en 2014 parmi les vingt bâtisseurs de l’Afrique de demain Vérone Mankou |