Italie : bataille entre partisans et adversaires d’une grande mosquée à MilanLundi 21 Avril 2014 - 13:44 Dans les deux camps, il faut compter aussi avec les partisans modérés et les adversaires résolus. Polémique À l’occasion de l’Exposition universelle qui ouvrira ses portes dans la capitale économique italienne en juin 2015, la communauté islamique de la ville avait avancé la nécessité d’une grande mosquée. L’événement s’attend à un afflux de participants et de visiteurs, dont nombreux sont de religion musulmane ; il faut donc mettre à leur disposition un lieu de culte capable d’accueillir la multitude et de satisfaire leurs exigences spirituelles. C’est cela la donnée base sur laquelle a commencé à travailler la communauté urbaine de la capitale économique italienne, aussitôt rejointe et dépassée par les extrémistes de tous bords. « Nous apprenons que la communauté urbaine a déjà fait le choix du lieu d’implantation de cette mosquée, au 146 de la viale Certosa. Or cet immeuble était le siège d’un concessionnaire automobile, comme si une mosquée pouvait s’implanter n’importe où, même là où se vendaient des voitures ! » Cette protestation provient de l’opposition au conseil municipal. Elle a été formulée par le parti de droite Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), qui promet une dure bataille à la mairie au moins contre le lieu de construction de la future mosquée. Le parti Fratelli d’Italia, fondé par l’ancien ministre de la Défense Ignazio Benito La Russa, un proche de Silvio Berlusconi, y met la forme mais son opposition à cette structure projetée est loin de se distancier de la violente opposition manifestée par le parti xénophobe de la Ligue du Nord. Les fondamentalistes de ce parti soutiennent que la Lombardie n’a pas vocation à offrir plus de lieux de culte aux musulmans qu’elle n’en présente aujourd’hui. La Ligue s’est déjà manifestée par des gestes de protestation radicaux, notamment en répandant du sang de porc sur un lieu de construction d’une future mosquée acceptée dans son principe par la ville. Fratelli d’Italia soutient qu’une mosquée « n’est pas comme un paquet postal que l’on peut adresser à n’importe qui, ou un siège communal que l’on peut implanter où l’on veut ». Observation d’apparent bon sens que dément toutefois la véhémence d’une proposition qui n’entend négliger aucune bataille juridique ou règlementaire. « Pisapia (Giuliano Pisapia, maire de gauche de Milan – Ndlr) devra bien formuler un projet urbain pour y parvenir. Il devra alors passer par notre réclamation maintes fois repoussée d’un référendum pour que les Milanais se prononcent sur ce projet », soutient l’opposition. Proposition démocratique et habile certainement, mais surtout parce que son résultat ne fait l’ombre d’aucun doute ! À Milan et dans bon nombre de villes du nord-italien, le sentiment anti-islam n’est pas seulement théorique. La région de Lombardie (dont Milan est la capitale) est présidée par l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Berlusconi, Roberto-Ernesto Maroni, qui est aussi par ailleurs le secrétaire fédéral de la Ligue du Nord. En Italie, la totalité des mairies contrôlées par la Ligue du Nord depuis les dernières municipales se situent au nord, à l’instar de Vérone, la mythique ville de Roméo et Juliette ! Une mosquée, oui : mais pourquoi une seule ? Le parti de Fratelli d’Italia multiplie les restrictions, suscitant des doutes sur sa volonté démocratique d’aider à la sortie de terre d’une mosquée géante pour l’Expo-2015. Une telle structure, détaillait son chef de file au conseil communal, devrait répondre aux normes de sécurité, interdire les sermons en arabe, ne recruter que des imams qui parlent italien, interdire l’accès aux extrémistes, etc. En somme, soulignait un commentateur de télévision, il ne manque plus que l'obligation aux fidèles à porter veste et cravate avant de venir prier à cette fameuse mosquée de l’Expo-2015 où des imans devront exhiber leur diplôme en langue italienne pour l’agrément de ce lieu ! Les opposants ne manquent pas de rappeler que les mosquées de Milan ont été par le passé les foyers d’un fondamentalisme agissant. « C’est pourquoi il nous faut éviter que se répètent des expériences comme celles de viale Jenner où l’imam Abu Imad a fini en prison pour avoir commis des actes délictueux contre l’État italien », soutiennent-ils. Donc, si l’opposition aligne aujourd’hui des arguments parfaitement légaux pour multiplier les manœuvres de retardement, la mosquée de l’Expo-2015 va naître – si elle naît - dans un contexte fragilisé par un passé récent où même la lointaine guerre américaine en Irak a eu des répercussions locales. Des souvenirs pas très gais, que ne cessent de remuer habilement les opposants dans les mémoires des Milanais et des Lombards. Mais les partisans de la mosquée, eux non plus, ne se satisfont pas de la seule acceptation du projet par la mairie ; ils exigent plus. « Qui nous propose une seule mosquée pour Milan ne connaît vraiment pas la réalité de la ville. Il y a 100 000 musulmans à Milan, une seule mosquée ne pourra pas répondre aux exigences de tous », estime Reas Syed. Responsable des questions juridiques à la Coordination des associations islamiques de Milan (Caim), il pousse la mairie à se prononcer d’ici la fin du mois sur la question du nombre, du lieu, des soumissionnaires et des architectes. Plus de mosquées à Milan ? Peut-être, répond une autre communauté musulmane de la ville, mais qui va proposer le projet à retenir ? La confraternité des soufis de Lombardie estime au préalable qu’il n'y ait qu'un seul interlocuteur sur cette grave question. L’imam Mouelhi Mohsen, qui est le deuxième plus haut responsable de cette confraternité, reconnaît la difficulté : « Notre problème, c’est notre division. À Milan, il n’y a pas de cohésion entre le Caim, la mosquée de via Padova, celle de via Jenner et d’autres réalités. Il nous faut une seule mosquée contrôlée par l’administration pour pouvoir unir toutes les entités de Milan », estime-t-il. Le problème se pose donc sous la forme de deux propositions dans les deux camps : non à tout projet de nouvelle mosquée grande ou pas, ou bien d’accord pour une mosquée à condition de consulter les administrés de Milan par référendum, c’est la double attitude d’un côté. Nécessité d’une grande mosquée pour la capitale économique, ou bien une grande mosquée à côté de lieux de culte plus modestes, soutiennent de leur côté les partisans de cette structure. Alors une nouvelle mosquée verra-t-elle effectivement le jour d’ici à juin 2015 ? Rien ne peut le soutenir, mais le fait qu’il y ait un débat public est déjà en soi une bonne chose, soutiennent musulmans et organisations militantes. « Chez nous, on dit que l’impossible se fait tout de suite, mais que les miracles demandent plus de temps. Pour moi, ce que nous vivons maintenant est plutôt un miracle », estime Mouelhi Mohsen. Une manière comme une autre de souligner qu’il faudra sans doute donner du temps au temps pour que l’idée fasse son chemin dans les mentalités, le plus long des voyages commençant toujours par un premier pas. Lucien Mpama |