Immigration : l’Italie de nouveau en alerte devant les débarquementsJeudi 10 Avril 2014 - 17:18 Le Vatican appelle à unir les efforts pour contrer la criminalité qui prospère sur les trafics multiformes d’êtres humains Cette fois, les flux de clandestins venant par la mer vers l’Italie n’ont pas attendu la saison chaude. Il a suffi d’une embellie de quelques jours cette semaine pour que les milliers de clandestins qui se massaient en bordure de mer en Libye (où ils étaient favorisés par le chaos politique et sécuritaire du pays pour tenter la traversée) se jettent littéralement à l’eau. L’opération Mare Nostrum (Notre Mer, ainsi que les Romains appelaient la Méditerranée) chargée par le gouvernement italien de patrouiller en Méditerranée pour intercepter les bateaux des clandestins et les sauver de la mort, affirme avoir ainsi pu venir en aide à près de 20.000 désespérés depuis octobre de l’an dernier. Octobre – le 3e jour de ce mois – est devenu la mesure et la date de la gravité de la situation. Ce jour-là quelque 366 clandestins à bord d’un rafiot fatigué, avaient sombré au large du petit port sicilien de Lampedusa, pratiquement devant les caméras du monde. C’est pour tirer les leçons de cette tragédie (qui n’était pas la première et ne fut d’ailleurs pas la dernière) que le Premier ministre italien de l’époque, Enrico Letta, mit sur pied l’opération Mare Nostrum : cinq navires militaires avec leurs hélicoptères, plus de 900 soldats qui patrouillent nuit et jour en Méditerranée. « Depuis lors, soit du 18 octobre 2013 au 10 avril 2014, nous avons sauvé 18.546 migrants en mer. Il n'y a pas eu un seul naufragé. Il n'y a pas davantage d'immigrés, il y a simplement moins de morts. » C’est ce qu’explique l'amiral Giuseppe De Giorgi, chef d’état-major de la marine militaire italienne, prenant un peu le contre-pied des politiques qui parlent déjà d’invasion inarrêtable. Cela, a ajouté l’amiral De Giorgi, « nous coûte environ neuf millions d'euros par mois, entièrement financés sur le budget de la Défense. Pour y faire face j'ai coupé les manœuvres militaires d'entraînement ». Le coût est donc énorme pour une Italie en pleine crise économique et qui demande en vain à ses partenaires au sein de l’Union européenne, d’apporter leur aide à cet effort. L’Italie, de par sa situation de péninsule, est cernée par la mer de tous les côtés, autant de points de débarquement pour les immigrés déterminés à percer la forteresse européenne. Qui plus est, le pays est celui qui, de toute l’Union européenne, est le plus rapproché de l’Afrique si on exclut l’Espagne dont les deux villes de Ceuta et Melilla, en territoire marocain, sont des enclaves jouissant comme toute enclave qui se respecte, de l’avantage de la souveraineté mais pas de celui de l’homogénéité territoriale. Rome fait donc face seule à ce que d’aucuns, notamment chez les xénophobes de la Ligue du Nord qui jouent la surenchère, on continue de brandir comme une menace pressante. Le secrétaire de ce parti, Matteo Salvini, expliquait jeudi matin qu’il allait introduire un projet de loi au parlement pour rétablir le délit de clandestinité récemment abrogé grâce, notamment, aux efforts de l’ex-ministre de l’Intégration, l’Italo-Congolaise Cécile Kyenge, sa bête noire pour ainsi dire. Deux autres députés de la Ligue du Nord, Nicola Molteni et Guido Guidesi, sont passés à l’attaque. « Nous n’instrumentalisons rien du tout : que celui qui veut se cacher derrière le nombre de morts pour se chercher les alibis de sa propre incapacité à gérer les politiques migratoires nous apporte la contradiction. Mais nous ne voulons pas d’un seul immigré mort (chez nous, Ndlr) ; nous ne voulons pas davantage d’un seul clandestin de plus ! » La croix de Lampedusa Pendant ce temps, le pape François continue d’appeler à l’humanité de traitement des cas de ces désespérés qui viennent à la recherche d’un mieux-être, politique ou social. Lui qui, après une première tragédie de noyades de clandestins à Lampedusa en juin dernier, s’était rendu sur place pour « aller pleurer ces morts anonymes », avait invité le monde à sortir de « la globalisation de l’indifférence ». Mercredi, après la traditionnelle audience générale où il rencontre les pèlerins du monde entier place Saint-Pierre, le chef de l’Église a béni « la croix de Lampedusa ». Elle a été construite avec le bois des embarcations des naufragés tentant de rejoindre les côtes de Lampedusa. Elle fera ensuite, en un mois, le tour de tous les diocèses italiens. Symbole mais aussi engagement d’un pape qui sait ce que veut dire immigration, lui qui est né de parents italiens émigrés en Argentine dans les années 1930. Le pape entend aussi agir sur les causes de l’immigration et, également, sur tous les rouages de l’illégalité qui prospèrent et gravitent autour de cette tragédie. Ce jeudi, s’est achevée au Vatican, une conférence des chefs de police du monde destinée à réfléchir à la manière de contrer le trafic des êtres humains. Derrière chaque clandestin qui traverse une frontière, affronte le désert du Sahara (pour les Africains qui sont les plus nombreux) et prend la mer, il y a une chaîne de commandement criminelle. Ces trafiquants, ces passeurs, font de juteuses affaires sur le désespoir de personnes déterminées à tout, de la violence à la mort, pour quitter leurs pays et venir en Europe. L’Eldorado. Selon les estimations des organisations internationales, le trafic des êtres humains génère, bon an mal an, un chiffre d’affaires de quelque 32 milliards de dollars. Il concerne près de deux millions et demi de personnes. Ces trafics ne consistent pas seulement en l’action d’aider les migrants à obtenir frauduleusement un passeport ou à regarder volontairement ailleurs quand ils franchissent la frontière en ayant glissé un gros billet dans un quelconque document. Femmes et enfants sont concernés pour le travail, la prostitution, l’exploitation des clandestins, le recrutement des enfants soldats, pour les ateliers clandestins, l’esclavage domestique mais aussi pour le trafic d'organes ! Au cours d’une récente conférence au Vatican, l’association érythréenne Gandhi a dit avoir pu mener une enquête saisissante d’où elle a ramené des photos montrant de nombreux corps éviscérés dans le Sinaï, abandonnés dans les morgues du Caire ou flottant en bordure de la Méditerranée et manquant de la plupart de leurs organes vitaux. « La traite des êtres humains est une plaie dans le corps de l'humanité contemporaine, une plaie dans la chair du Christ. C'est un délit contre l'humanité », a dit le Pape. « Le fait de nous trouver ici ensemble pour unir nos efforts signifie que nous voulons que les stratégies et les compétences soient accompagnées et renforcées par la compassion évangélique, par la proximité aux hommes et aux femmes victimes de ce crime ». La conférence du Vatican a rassemblé notamment des responsables du FBI la police fédérale américaine, d'Interpol et d'Europol. C’est-à-dire, a relevé le pape François, « les autorités de police engagées surtout dans la lutte de ce triste phénomène avec les instruments et la rigueur de la loi, et les opérateurs humanitaires, dont la mission principale est d'offrir l'accueil, la chaleur humaine et la possibilité de reconstruire une vie nouvelle. Ce sont deux approches différentes, mais elles peuvent et elles doivent aller de pair ». La conférence, deuxième édition dans cette formule au Vatican, a été présidée par l’archevêque de Westminster Vincent Nichols, récemment promu cardinal. Lucien Mpama |