Jean-Célestin Edjangué : l’Afrique et le casse-tête de l’emploi des jeunes

Dimanche 30 Mars 2014 - 7:15

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« Investir dans les populations, la prospérité et la paix », tel est le thème principal du quatrième sommet UE-UA de Bruxelles, en Belgique, les 2 et 3 avril 2014. Une rencontre qui devrait accorder une place de choix à la question de la jeunesse

Jean-Célestin EdjanguéJean-Célestin Edjangué est diplômé en histoire de l’université d’Angers et en sociologie de l’université de Nantes, en France. Il est auteur de nombreux ouvrages sur le Cameroun et sur l’Afrique. Journaliste, il a travaillé notamment à Ouest-France et à La Nouvelle République du Centre-Ouest avant d’être grand reporter au Messager, un quotidien du Cameroun, et par ailleurs son correspondant en Europe. Il a également été présentateur et coproducteur d’émissions de télévision et de radio au Cameroun. Il est aujourd’hui chef de l’information à Africa24. Son dernier ouvrage, Afrique, que fais-tu de ta jeunesse ? Les paradoxes d’un enjeu moteur de développement, est paru aux Éditions L’Harmattan en octobre 2013.

L’Union africaine (UA) a proclamé 2009-2018 Décennie pour le développement des jeunes. L’élaboration du plan décennal de l’institution panafricaine en faveur de la jeunesse du continent comporte à la fois la déclaration de la promotion de la formation technique professionnelle, l’établissement de l’union panafricaine et de centres d’excellence aux standards internationaux, la plateforme de développement des sciences et technologies et TIC. Objectif de cette mobilisation : gagner le pari de l’emploi des jeunes.

Mais les résultats tardent à être à la hauteur de l’urgence que représente la question de l’emploi des jeunes. « L’Afrique est le continent le plus jeune du monde, avec 70% de sa population qui a moins de trente ans. Malgré les avancées enregistrées sur le plan de l’éducation et de la croissance économique, les progrès restent encore fragiles et les jeunes rencontrent les plus grandes difficultés à trouver des emplois décents et à participer aux prises de décisions. En effet, les jeunes représentent déjà 60% de chômeurs en Afrique, et l’emploi de nouvelles générations reste donc un défi majeur tant au plan économique que sécuritaire », soulignait le président ivoirien Alassane Ouattara, lors du sommet de l’UA à Malabo, en Guinée équatoriale, en juillet 2011. La Côte d’Ivoire organisait à son tour les troisièmes Assises nationales de la jeunesse du 28 octobre au 1er novembre 2013. L’Union européenne n’est pas non plus épargnée.

Dans une étude de l’OCDE parue dans le quotidien belge Le Soir, il apparaît que la proportion des 15-29 ans qui ne vont ni à l’école ni au travail, les tristement célèbres « ninis », tend à augmenter en Europe. Cette proportion atteint les 24% en Espagne, 16,4% en France, 13,9% en Belgique et 11% en Allemagne. En revanche, le Luxembourg avec 7,2% et les Pays-Bas (6, 9%) enregistrent les taux les plus bas des « ninis ». La même étude de la l’OCDE précise que si l’on s’en tient à la tranche d’âge 15-19 ans, ce sont près de 40 000 jeunes (6,1%) qui se retrouvent en marge du système scolaire et du monde de l’emploi en Belgique, y compris la formation professionnelle. Un taux légèrement inférieur à celui de la France (7,1%), mais nettement supérieur à celui du Luxembourg (2,3%), des Pays-Bas (3,4%) et de l’Allemagne (3,5%). Et les experts de l’OCDE de conclure : « Quand le marché de l’emploi se détériore, les jeunes qui sont en transition de l’école au travail sont les premiers à éprouver des difficultés. Les employeurs ont tendance à privilégier des travailleurs plus expérimentés pour les nouveaux emplois disponibles. »

Beaucoup d’initiatives, peu de résultats

Ainsi, lors du dix-septième sommet tenu à Malabo, l’emploi des jeunes s’est invité au cœur des discussions, conformément à la huitième session à Yaoundé (Cameroun) de la Commission du travail et des affaires sociales de l’institution panafricaine. L’engagement avait été pris de « réduire le chômage des jeunes et des femmes d’au moins 2% chaque année dans un délai de cinq ans et harmoniser les systèmes d’information sur le marché du travail en soutenant l’élaboration, la mise en place et l’évaluation des politiques d’emploi ». L’UA confirmait ainsi ses intentions affichées lors des entrevues de Lilongwe, au Malawi en mars 2010, à l’occasion de la troisième conférence conjointe UA-UE des ministres des Finances, de l’Économie, de la Planification et du Développement.

À Malabo en 2011, les chefs d’État et de gouvernement avaient décidé de sortir des bonnes intentions et résolutions prises jusque-là pour enfin passer aux actes. À ce propos, Jean-Pierre Ézin, Commissaire de l’UA en charge des ressources humaines, de la science et de la technologie, a rappelé les conditions nécessaires pour pallier le taux de chômage élevé des jeunes Africains : « Créer dans tous les États membres un environnement propice à la création d’emplois, allouer des ressources additionnelles pour la mise en œuvre des politiques de l’emploi et investir massivement dans l’éducation afin de mieux préparer les jeunes pour le futur », insistant par ailleurs sur la détermination de l’UA à lutter contre le chômage des jeunes du continent.

L’engagement de la Commission de l’UA dans plusieurs programmes et projets en vue de renforcer la capacité de la jeunesse et assurer sa participation conséquente

Parmi ces initiatives, l’adoption en juillet 2006 de la charte africaine de la jeunesse entrée en vigueur en août 2009 marquait le commencement d’une ère dynamique pour la participation des jeunes à des dialogues, à la formulation de politiques et d’initiatives de développement pour veiller à ce que leur opinion soit prise en compte. Les indicateurs ne manquent donc pas, qui témoignent de l’action de l’UA en faveur de l’emploi des jeunes. Une thématique qui était encore au cœur du sommet de l’UA de mai 2013 à Addis-Abeba. Mais, la jeunesse africaine sait qu’elle doit aussi prendre en main son propre destin si elle veut participer de manière active à la bataille de l’emploi et contribuer au développement durable du continent.

L’action des ONG

Les initiatives prises par des ONG et par les jeunes eux-mêmes semblent incontestablement plus efficaces. Qu’il s’agisse de l’action de la diaspora ou des jeunes vivant en Afrique, les résultats apparaissent plus concrets, palpables. Thioné Niang, un jeune Sénégalais vivant aux États-Unis, a lancé Give One Project (donner ou créer un projet) pour aider les Africains de sa génération à s’investir dans le développement économique et politique du continent. Il est l’un des conseillers du président Barack Obama pour les Affaires africaines. À travers cette initiative, il entend permettre aux jeunes Africains de prendre leur destin en main « afin de faire du continent une Afrique libre et prospère », avec au centre de sa préoccupation l’emploi des jeunes.

Thioné Niang sillonne le continent pour porter son message : « Les jeunes Africains doivent savoir qu’ils sont la force et l’espoir du continent en matière de création d’emplois et d’affermissement de la démocratie. Ils détiennent le pouvoir réel de participer activement à la construction de l’Afrique qui gagne », raconte-t-il. Un message qui a touché des centaines de jeunes et les a amenés à créer un projet qui, espère Thioné Niang, contribuera au développement de l’Afrique.

Dans un autre genre, l’Agence pour l’emploi des jeunes des banlieues du Sénégal a choisi de tisser des liens de coopération avec des communes en Europe pour maximiser les pistes de création d’emplois. En décembre 2012, elle a signé une convention avec la commune de Saint-Omer (France) avec pour objectif de réduire le taux de chômage des jeunes au Sénégal, qui était à cette époque de 40%. Quant au Forum des jeunes de Guinée, il organise depuis sa création en 2006 un Salon international pour l’emploi des jeunes qui a permis à plus de 35 000 jeunes de trouver un emploi du côté de Conakry et sa région.

Parfois, ces jeunes s’organisent à l’échelle d’une sous-région pour mieux échanger et partager leurs expériences. Le premier Forum des jeunes de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (Cémac), qui s’est tenu à Brazzaville, la capitale du Congo, en 2013, sur le thème « Action collective de la jeunesse pour l’intégration sous-régionale maintenant » en est une illustration. Les jeunes d’Afrique centrale manifestaient ainsi leur volonté de participer activement à l’accélération de l’intégration de cette partie du continent. Une rencontre qui avait poussé les dirigeants des pays de la Cémac à décider de l’entrée en vigueur du passeport Cémac, symbole de la libre circulation des personnes et des biens pour le 1er janvier 2014. Reste à matérialiser cette effectivité.

Vérone Mankou, Benjamin Lékoua, Arthur Zang

Enfin, nombreux sont les jeunes Africains qui ont décidé de créer leur propre entreprise, notamment dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et des communications. Ainsi en est-il du jeune Congolais de 27 ans, Vérone Mankou, auteur du premier smartphone africain en 2012. Vendu à un peu plus de 80 000 FCFA à sa sortie, ce smartphone n’a rien à envier à ses concurrents européens, asiatiques ou américains. Deux autres jeunes, camerounais ceux-là, Benjamin Lékoua et Arthur Zang, ont inventé pour l’un, le premier téléphone portable entièrement fabriqué par un technicien du pays devenu depuis une tablette numérique, et l’autre, la première tablette numérique à usage médical. Comme si l’Afrique était progressivement en train de mieux arrimer son système éducatif aux besoins du marché. Car il est évident que le continent semble avoir pris la mesure de l’importance de l’enseignement technique professionnel, celui-là même qui forme les cadres supérieurs dont la planète a le plus besoin aujourd’hui.

Déjà dans un ouvrage paru en 2005, je ne concevais le développement de l’Afrique que par la promotion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Au Cameroun, où le chômage des jeunes atteint les 14% de la population active selon le Fonds national de l’emploi, Pauline Noël Amougou a créé Retraise 20-70 dans le but de permettre aux retraités et jeunes chômeurs de trouver un emploi. Une démarche pour le moins novatrice et basée sur l’actionnariat populaire. Alors qu’au Bénin, où le secteur informel concerne 70% à 80% des travailleurs, Louis Ériola travaille à son propre compte comme vulcaniseur après avoir suivi une formation de quatre ans. Une cellule de certification des métiers de l’informel a été mise en place. Le ministère de la Formation professionnelle avait recensé en 2003 environ 245 métiers relevant de ce secteur.

L’Afrique n’a certainement pas fini d’étonner. Elle a dans sa jeunesse une formidable mine d’or qui ne demande qu’à être judicieusement exploitée. Le déclenchement des événements du Printemps arabe à partir de l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi, en Tunisie, démontre que la jeunesse africaine est désormais consciente de la force qu’elle représente et qu’elle sait exactement le rôle qu’il lui revient de jouer dans cette planète en perpétuelle mutation et où le continent africain entend plus que jamais être le creuset des civilisations. L’économiste et théoricien politique français, Jean-Bodin, aimait à le dire et à le répéter : « Il n’y a de richesse que d’hommes ! »

Jean-Célestin Edjangué